- Je voudrais que tu me promettes de ne jamais écrire sur moi.
Gilles Fabian a demandé à Claire Lancel de lui faire cette promesse. Et elle l'a faite:
Parce que les gens heureux n'ont pas d'histoire.
Or, au moment où elle fait cette promesse, elle et lui sont heureux. Il n'y a rien à dire, encore moins à écrire.
Dès le début de cette histoire, le lecteur a un doute, parce que, s'il lit attentivement Ta promesse, il se rend compte que quelque chose a dû se produire entre eux pour que Claire s'adresse en ces termes à quelqu'un qu'elle appelle Maître, vraisemblablement un avocat.
La raison pour laquelle Gilles a demandé à Claire de faire cette promesse?
- Parce que moi [...], moi je veux être dans ta vie, pas dans tes livres.
Le lecteur apprend que Claire est une auteure à succès, mais qu'elle ne veut pas que soient confondues narratrice et auteure, ce qui est proustien; que Gilles fait de la mise en scène et qu'il est un marionnettiste, c'est-à-dire un manipulateur au sens propre.
Au moment où ils se rencontrent, elle est célèbre, lui inconnu.
Un peu plus loin, les yeux du lecteur commencent à se dessiller: une amie de Claire répond à un interrogatoire sur celle-ci.
Entre deux témoignages d'amies, Claire donne sa version. Et, notamment, quand et où elle a fait la connaissance de Gilles: le réveillon de l'an 2014 et chez son amie Carole, qui l'avait invitée à venir, au dernier moment, c'est-à-dire comme elle était, pas déguisée.
Claire est divorcée. Elle a une fille, Alice. Lui est en train de se séparer de Violetta. Elle note qu'il a dit, et il le répétera, comme un mantra:
Je ne veux pas souffrir.
Gilles apparaît à Claire comme l'homme idéal: il est beau, bon amant - c'est très important pour elle -, et prévenant, qui plus est, semble-t-il, bon père, de trois enfants.
Apparemment les choses se sont gâtées entre eux puisque le Maître dont il s'est agi plus haut est son avocate et qu'elle, elle a été retrouvée hagarde et ensanglantée...
Alors le roman devient une déconstruction de l'idylle, au cours de laquelle le lecteur apprend quelle promesse Gilles a faite à Claire en contre-partie de la sienne et comment, le premier, il ne l'a pas tenue. Or, le lecteur le sait dès les premières pages, Claire pense qu'en la matière le manquement de l'un [annule] l'engagement de l'autre.
Aussi, après bien des avanies, la narratrice conclue-t-elle l'histoire de leur amour en ces termes, qui montrent combien leurs points de vue étaient divergents:
La fiction continuait de s'écrire mais tu faisais semblant dans la vie tandis que je faisais semblant dans un livre. Ça faisait une grande différence.
Francis Richard
Ta promesse, Camille Laurens, 368 pages, Gallimard
Livre précédemment chroniqué:
Romance nerveuse (2010)
