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Une femme humiliée

Publié le 27 août 2025 par Alexcessif
femme humiliée

— C’était une femme humiliée!

Il était parti un soir, calmement les mains dans les poches avec seulement les vêtements qu’il portait comme s’il allait promener leur chienne sauf que Polette était sur le canapé et regardait Sophie avec ses yeux étonnés de cocker croisée épagneul. C’était violent! Il était revenu qq minutes plus tard pour emmener la chienne avec lui. Polette avait compris. Elle refusa d’être un bagage accompagné et resta sur le canapé prés de sa maîtresse. Cet animal avait choisi sans que la question « tu préfères ton papa ou ta maman? »ne lui fût posée. Pour Sophie la violence était frontale. Bien sûr depuis qq années les relations étaient fraîches mais elle ne souffrait pas de cette cohabitation. Juste parce qu’elle avait envie de plus en plus souvent d’improviser un câlin sans passer par l’épilation et de faire des tartes aux pommes pour quelqu’un, ils s’étaient mariés invitant à la noce le banquier qui préfère les couples légitimes pour lâcher un prêt immo.

Un temps elle s’accommoda d’être à deux pour ranger la couette dans cette putain de housse et la sexualité rituelle arriva sournoisement comme le partage des tâches. Le sexe une fois par semaine et l’aspirateur en exclusivité!

Elle avait perdu le pouvoir sous la couette mais se rattrapait aux fourneaux comme on s’accroche aux branches. Et puis il y avait la maison. C’est important un toit sur la tête. Cela mérite qq concessions. Comptait pour elle, autant que pour le qu’en dira-t-on, la présence de ce grand corps de mâle rassurant lisant Romain Gary sur le canapé. Simulacre pour simulacre cela l’encourageait à tapisser le couloir, rénover la salle d’eau et à repeindre le plafond de la chambre. Du temps où l’espace était conjugal elle avait remarqué le jaunissement de la teinte pendant que Jérôme se passait de son consentement entre deux coups de rein. Naturellement et sans faire de drame il s’installa dans la chambre d’amis puisqu’ils n’avaient pas d’amis. Pour Sophie, les apparences étaient sauves, le budget en équilibre et les câlins comblés par le coq du village voisin. Jérôme, libraire sans librairie et mâle sans femelles disponibles dans un rayon de cent kilomètres, était plus vulnérable. Inutile donc pour Sophie de déclarer les hostilités. Les rares conversations n’évoquaient pas une séparation. En ville le couple n’aurait pas survécu mais dans un hameau de dix feux au fond du bourbonnais la symbiose des deux organismes vivants tenait en équilibre, crut-elle, ainsi qu’un groupement d’intérêt économique. Encore dix ans et la baraque serait à elle. Si elle n’avait pas prévu de se présenter aux élections, la vox populi hors les murs la préoccupait. La porte n’avait même pas claqué aux oreilles de voisins inexistants mais en un instant la donne avait changé. Dans une semaine maxi la nouvelle se serait répandue. C’est qu’elle le tenait son petit monde! Le gros des troupes avait entre 70 et 80 piges. A la soixantaine on était un jeunot dans ce désert médical, la communale avait fermé sans avoir eu le temps de devenir une école primaire et l’édile était plus souvent sur son tracteur qu’à la mairie, Sophie était le savoir et le pouvoir et, parmi tous ces vieux, la jeunesse éclatante. A Paris elle aurait torché des culs dans un Ehpad ici, elle avait le prestige d’un chef de clinique.

La grande histoire connaissait la petite. César franchissant le Rubicon affirma à son lieutenant « Je préfère être le premier dans ce village que le second à Rome » Elle se souvint de cette phrase franchissant le pont sur l’Andelot avec sa Clio et ouvrit un compte face book pour se répandre et un Insta pour les photos. Sa plume et son statut de femme libérée attira qq renards. Car elle tira la première: ce n’était pas lui qui était parti, c’était elle qui l’avait viré. Ainsi les grabataires qui avait entendu entre une piquouze et une tension artérielle les louanges de cet homme merveilleux, pivot de ce couple idéal, érudit, brillant, en congé sabbatique afin d’écrire une biographie de Romain Gary s’adaptèrent à la nouvelle version d’un parasite, chômeur ne comprenant rien à Gary pas plus qu’à Ajar et hop ça dégage. Sa réputation de femme trahie réfugiée dans le labeur qui trouvait, un peu à leur insu,  le temps de tartiner sa générosité et son dévouement sur les R.S augmentait. 

La qualité relationnelle autour d’une tasse de thé à la hausse, les soins à la baisse limités à l’empreinte rapide de la carte vitale. N’est-ce pas Germaine, il vaut mieux être seule que mal accompagnée — T’entends-ça, Lucien ? Le féminisme entra dans le bourbonnais. Lucien acquiesça dans un râle de fin de vie et elle partait avec Polette et un pot de confiture made in Germaine des prunes de son jardin. Une Florence Nightingale qui ne s’encombrait pas du secret médical pour un public du cloud acquis à sa silhouette et à sa plume.  Bien sûr il avait fallu se battre! Un peu. Elle avait l’autorité et le prestige d’un border collie sur un cheptel

Elle était partie du pays à une époque où il y avait des consignes dans les gares et des costumes en Tergal dans les vitrines de Vichy

Elle se souvenait de tout. Depuis ce mari lâcheur qui était parti comme on saute par la fenêtre. Elle avait été longue à refermer le livre — et la fenêtre — qu’il lisait au moment de partir. « La vie devant soi » tu parles! Elle était sans nouvelles. Il était à l’âge où les cadres ont des maîtresses et le plombier va aux putes mais ici… non, il n’était parti pour personne! Et c’était encore plus humiliant. 

Est-ce vraiment de ce jour qu’elle détesta les hommes? De cet instant elle sut être une promesse sans trop donner de sa personne. Nonobstant qu’elle aimait le sexe, elle s’autorisa à les traiter de haut et les voir venir de loin fiers de cet appendice qui ne leur appartenait  pas vraiment.

Ah les hommes, quelle déception! 

Jérome était agréable mais il était fiable comme une Renault  d’occasion. 

   Elle revoit sa vie, ses études à Paris, son métier. Elle rêvait de carte vitale! On ne soigne pas les escarres de ses contemporains par hasard. Elle revoit le cerisier du jardin des plantes qui doit être blanc en ce moment. Sa routine rue d’Alesia, Losserand, le Luxembourg, la rue Soufflot pour aboutir devant Louis-le-Grand, son lycée  rue Saint Jacques. L’été elle allait nager sur la Seine où était posée dans une barge aménagée la piscine Joséphine Baker au pied de la BNF François Mitterand et dîner au retour place de la Contrescarpe en haut de la rue Mouffetard en songeant émue et contente à la sorcière de son enfance. 

Capsule temporelle dans ce moment suspendu un jour de grève du métro. On refait le match à ce moment cinétique où tout accélère: la puberté!Ce jour où la petite fille cessa de jouer  à la marelle. Une nuit, une étrange sensation s’étaitemparée de son jeune corps vrombissant comme un insecte ailé.  Elle mit du temps à se découvrir. Elle était forêt, dunes, rivières, exploratrice ardente, impudique déversant son essence en gouttes chaudes et puissantes. L’âme envolée elle mit une jupe. Ce désir d’un alter devenu soudain prégnant rendait vulnérable cette partie d’elle qui n’était pas protégée. Son cercle relationnel s’étendit aux pharmaciens et aux gynécologues. Adolescente, avec un sens du discernement en devenir, les sentiments n’aidaient pas. Un coup à ramener un artiste fauché à la maison et des tensions émotionnelles au moment d’annoncer — Je suis enceinte! Entre la poire et le fromage. Il est des fins de repas où il est plus prudent de parler des emprunts Russes.

— Souvent la petite fille aux genoux écorchés recherche la figure paternelle.

Ainsi commença la quête d’un Capitaine Kirk avec la fine moustache de Don Diego de la Vega. Un lointain souvenir de cette étrange téléportation qui la voyait s’endormir naguère à l’arrière de la voiture et se réveiller bien au chaud dans son lit. Des bras forts, un baiser sur le front, redevenir fragile, elle ne désirait rien d’autre. 


Un seul homme avait vu ses jambes au dessus du genou. Elle décida que c’était un peu trop peu
— Elle connut des poètes ennuyeux, des végétariens à fesses molles, des intellectuels bavards, un libraire illettré et des coiffeurs hétéros, Marc Ogeret, le gorille du Jardin des Plantes, un philosophe imberbe, la paruline à sourcils blancs, Yves Simon, un gypaète barbu et Pierre Garain dit-le-sterne, l’imprimeur de la rue de Chateaudun, on ne sait jamais, Charles Hernu et Victor Fabius aussi mais pas en même temps, Un député plein d’avenir, un sénateur repu, le plombier de la rue Lafayette, un étudiant Massaï, L’épicier de la rue des Martyrs, le nain Passe Partout, comme son nom l’indique et un antipodiste du cirque d'hiver, un avocat marron enfin…roux et Jean-Roger Caussimon. Elle oubliait les prénoms mais elle aimait le goût des hommes à moins que ce ne fût ce pouvoir incommensurable quand ils étaient dans sa bouche 


Cette liste désormais suffisamment exhaustive de tout ce qui enivre à Paris excluait le risque d’un choix sub optimal de faire des enfants à un artiste fauché en banlieue mais bel et bien celui de ruiner la réputation d’une jeune fille. Parmi ces déconvenues le demi de mêlée restait une valeur sûre.  Un beau gabarit pour une fille c'est comme une grosse bagnole pour un garçon. Inconvénient: il ne fallait pas changer d’avis une fois dans la chambre. Elle ne jouait plus à domicile. Après l’amour on cherche tous à se débarrasser du corps. Elle ne faisait plus cette erreur d’inviter sous sa couette personnelle le lion rugissant devenu post coït l’ours dégoulinant ronflant à côté d’elle. Danser avec les loups, baiser chez les fauves c’était la possibilité de partir sur la pointe des pieds 


Comme elle baillait parfois elle aimait les observer. La jouissance masculine était un spectacle. Il y avait celui qui geignait comme un fraudeur en redressement fiscal, celui qui bramait à ameuter les voisins mais pas un de ces Tarzan n’avait chanté la marseillaise en éjaculant.
Mais elle n’avait pas encore couché avec un Front National…

Il était temps de quitter la ville avant d’être de droite

— Dans cette petite ville où l’on s’ennuie le retour de Sophie a chauffé à blanc la population. Le bar est devenu un creuset aussi brûlant que l’ancienne fonderie dont la fermeture a mis le maire en PLS, la ville à genoux et le mâle blanc désoeuvré à mobylette est devenu alcoolique Les conversations vont bon train dans le bar-tabac-restaurant-presse-poste-Mondial Relay de la Moule Joyeuse. Les regards jaloux se posent sur Jean-Pierre comme des vautours sur une charogne. Tous ont en mémoire cette scène indiscrète d’hier après-midi entre lui et l’infirmière de retour au pays trente ans plus tard. 

— Je te la rends dit-il lui remettant une pierre plate avec un cœur dessus, ça ne veut plus rien dire maintenant

— On était petit, ça compte pas

— Je t’ai attendu… Sur la pierre plate de leurs ricochets il y a leurs prénoms. Ce soir là Jean-Pierre est rentré à pieds oubliant qu’il était venu à vélo

Si elle avait su…

Bon, Jean-Pierre, il était du genre à rapprocher le piano du tabouret. « On était petit ça compte pas ». Pour lui « ça » comptait. Il était rester perché le JP. 30 ans! A vivre avec sa mère et le reste du temps à faire des ricochets. Sophie/Jean Pierre ça l’faisait pas. Remarque, Sophie et Jérome non plus. Ils avaient douze ans quand Jipé inscrivit sur une pierre plate les initiales de leurs prénoms et il a dit — Si la pierre traverse la rivière, on vivra ensemble quand on sera grand! Ah, si la vie était une rivière… 

Pourquoi les gens se mettent en couple? Jérome aurait dit — pour un crédit immo, les impôts ou un truc du genre. 

Jipé disait 

— C’est à cause du petit rhomboïde 

— Le quoi? 

—Le petit rhomboïde! C’est l’espace, là. Joignant le geste audacieux à la parole mystérieuse, il l’allongea sur l’herbe et la retourna. 

— Tu vois, entre les omoplates il y a cet espace où tu ne peux pas te gratter. Il la caressa, le traître, au lieu de la gratter, on ne peut pas faire confiance aux garçons et deux adolescents à la peau fragile sur les bords de l’Andelot affluent de l’Allier sur la commune de Monteillet une après midi d’été calmèrent leurs démangeaisons cachés par les roseaux. La pierre était parvenue sur l’autre rive!

C’est bruyant une biscotte dans une maison vide! Bien sûr il y avait Polette mais, depuis la fuite inexplicable de Jérome, Sophie vivait entre deux bruits. Le soir le plop du bouchon libérant le contenu de la bouteille de Châblis — assez semblable à celui du Chardonnay d’ailleurs — et la biscotte du matin. Quand Robert avait quitté Josiane, Josy tenait debout comme une maison bouffée par les termites. Elle semblait solide mais s’écroula d’un coup. 

L’être unique n’existe pas! Entre son amant, son mari, et son… son premier quoi, d’ailleurs? Le « seul homme qui avait vu au dessus de ses genoux »? Celui qui lui ouvrit l’appétit? Sa boulimie parisienne était la preuve du contraire. Elle ne croyait pas plus à l’amour qu’à l’existence de Dieu, Allah ou Vishnu. Les hommes étaient interchangeables! Le reste était une vue de l’esprit. Dans la brume de ses souvenirs elle revit le Pont Mirabeau d’Aragon et les ricochets de Brassens. La réalité des étreintes successives avaient dissipé le souvenir de la découverte une après midi d’été cachés par les roseaux au bord de l’Andelot et de l’autre imbécile avec sa pierre plate gravée de leur initiale dans un coeur à la con qui voulait l’emprisonner à douze ans 

L’homme est laid! Ce n’est qu’un élément du dispositif et Jérome n’était même pas un géniteur. Dés le premier verre de Chablis elle réalisa ce qu’elle n’avait pas vu venir. La termite qui lui dévorait la charpente. Polette à ses pieds s’ébroua comme pour lui dire « c’est ça! C’était toi l’élément du dispositif, pas lui » Sophie se leva et rechargea sa gamelle de croquette. Il y avait une connivence de femelles entre elle et son animal à moins que ce ne fut une dépendance alimentaire. Au deuxième verre elle se convainquit que le sentiment dont tous les romans parlaient à longueur de pages n’était qu’une soumission indexée sur le besoin que l’on appelait pour l’occasion désir. Et ce n’est qu’en mélangeant les cépages qu’elle tourna celle de Jérome. In vino véritas.

Demain  elle a un date Élite. Il allait payer pour les autres…

Pour l’heure son planning d’infirmière à domicile est chargé. Polette interrompit sa chasse à l’écureuil et sauta en jappant dans la Clio et c’est parti.

Il y aura aujourd’hui une débelloire sur un poêle dans une ferme au sol de terre battue, une chatte s’enroulera autour de ses chevilles, une dame se retournera avec beaucoup de dignité pour offrir une vénérable fesse insensible à la piqûre 

Il y aura une anisette à midi dans un salon copié/collé du show room de chez But dans la zone industrielle de Vichy et un être humain que l’on prolonge hypnotisé par le balancier d’une Comtoise que l’on a oublié de remonter. Une tête chenue caressée d’une main pudique en retirant de l’autre une aiguille d’un geste technique pas évident à réaliser. Le bras maigrelet  d’un homme las saisit poliment. Une tension artérielle catastrophique à prendre sans déranger et le tord boyau inévitable pour parler d’autre chose. Sa patience de femme nostalgique est plus antalgique pour ses patients que les ersatz chimiques. 

Les encore vifs regarderont ses jambes, d’autres s’indifféreront tristement. Elle donnera du « vous » à Germaine et du « Mr Gérard  » à ceux qui glissent dans l’anonymat d'un n° de sécu. Sophie possède la séduisante mélancolie des femmes de personne à l’âge des « elle est encore jolie, elle est encore jeune ». Elle tutoie les mamies et vouvoie les vieux messieurs en acceptant une ultime petite prune pour la route. « Ultime » « derniers » elle ne se projette pas sur la « vieille » qu’elle sera et trouve de la joie dans les saisons. Elle pratique son bon usage du monde du premier cercle et de la société des patients à bonne distance. Peu diserte sur sa vie privée, on ignorait si elle est végan, de gauche, climatiste ou clitoridienne. La fréquentation des seniors la rassure et l’inquiète par intermittence. La soudaineté de la mort lui est toujours aussi surprenante même chez ceux en  tête de liste de la probabilité. Elle n’a pas envie de s’habituer à cocher la case DCD des « vivants la veille, morts le lendemain » violent et cynique de ses jeunes collègues. 

Un privilège de quinqua, ça, la sensibilité! 

Sophie se confie à Polette en fin de journée. C’est l’instant du bilan de la semaine dans le cocon de la voiture et des mises au point en fond sonore. Polette à la place du mort est une tombe. Pas le genre à révéler les petits secrets de la maîtresse. Le moment Jackie Quartz à la radio est aussi le sien. L’animal perçoit la douce langueur de la fatigue en pensant à sa place chaude devant la cheminée. Polette, son truc, c’est plutôt cet écureuil qui ne la narguera plus très longtemps. Coté femme, c’est "Juste une mise au point sur  les clichés pâles de sa love story". Pour le moment elle a repris le cours interrompu de sa vie le cogito ergo sum adapté en je baise donc je suis. Viendra, viendra pas.  Dans le vide de Jérome elle commençait à se laisser envahir. Au début son amant informé de son célibat de femme larguée téléphonait puis « je passais par là » avec l’envie de l’homme qui tombe à pic un jour de congé. Il oubliait un tee-shirt une fois, deux fois. Tendre routine. De l’habitude rassurante des pas qui dérangent les feuilles du jardin à « tiens on est déjà Lundi » elle se réjouit de s’ancrer à ce repère qui faisait l’air un peu plus doux à sa fenêtre. Un soir il apporta sa brosse à dents et resta pour le petit déjeuner

Sophie reconstruisit l’historique de l’homme qui la décoiffait la semaine. Elle ne fut pas longue à découvrir qu’il en décoiffait une autre le week-end. Elle a omis le café bouillu de ce matin, évité l’empoisonnement d’une anisette-pour-faire-plaisir et la vieille prune de trop. Il y a trop de verres qu’elle a bu jusqu’à la lie. L’impétrant n’entendra pas « le reste encore un peu » qui ne franchira jamais le seuil de ses lèvres. Quand Polette mourra elle fera sa tournée à moto histoire de n’avoir d’autres préoccupations que de rester sur ses roues.  Nostalgie attention danger! Il y a un petit virage fuyant comme un homme au temps des feuilles mortes  sous le châtaignier à l’entrée de Monteignet- sur- l’Andelot. 


En arrivant à Paris il lui avait fallut oublier Jean-Pierre comme aujourd’hui Jérome. Elle était à plat ventre quand ce gredin se perdit bien plus bas que le petit rhomboïde. Elle se cambra naturellement, la main de Jean Pierre pleine de doigts était partout le long de son sillon formant un arc de cercle du bas de son dos au bas de son ventre.  Quand elle prit appui sur les genoux et les avant bras elle vit la rivière et les roseaux sous le vent. Elle s’était accroupie le menton dans les mains comme une élève attentive le prof "dans" le dos sans trop savoir comment et Jean-Pierre trouva son passage. Sans le savoir c’était sa première levrette. Camus disait il faut savoir nommer les choses ou à peu prés. Jean-Pierre se glissa ou plus précisément glissa cette chose mystérieuse énorme et dure. Comme il était doux, patient ou terrorisé il bougea lentement à l’entrée d’elle le temps que son corps réagisse. Puis se fut la glissade lente le long de ce toboggan humide ou il était impossible de faire demi tour. La chose n’était pas si énorme ou bien c’était elle qui s’était détendue. Ou les deux. Comme il était tôt dans leur vie et dans l’époque où la pornographie pas plus que l’éducation sexuelle n’existaient, la notion de mal apprise chez le curé se révéla à vrai dire plutôt bien par opposition. A la campagne la vache et le taureau ne sont pas plus initiés qu’eux et surtout moins discrets. C’est sans doute cette image subliminale aperçue dans le pré à Jules qu’ils ont reproduit planqués par les roseaux sans la bestialité ni la proportion effrayante des organes de la bête à cornes. Le moment sembla à Sophie d’une durée supportable et l’intensité puissante, mais brève comme les ricochets de la pierre plate sur l’Andelot. L’avantage de cette position est de permettre à deux adolescents intimidés de ne pas rougir en croisant le regard de son partenaire. 


A Paris bien plus tard Sophie voulut se libérer de cette dépendance à un homme mais reproduire cette sensation qui la faisait se tordre dans son lit. 

A cette femme en quête, appartenir à plusieurs c’était n’appartenir à personne et aujourd’hui plus qu’hier la place vacante de Jérome ne pouvait être comblée par un opportuniste 

A vingt ans dans la capitale la Seine était plus large que l’Andelot et les ricochets plus nombreux. On arrivait au club libertin du Boulevard Edgard Quinet soit par le cimetière du Montparnasse, soit par la rue de la Gaité. Entrée gratuite et champagne offert pour  les filles ce qui prouve bien que nous sommes un produit d’appel pensa Sophie.


A qq pas de là, la rue de la Gaité accueillait le théâtre d’Azzopardi et des sex Shop où des pauvres mecs en pleine misère sexuelle s'épanchaient, pauvres mâles, dans les peep show glauques qui n’avaient rien de commun avec la sexualité raffinée du club

Elle se souvint d’avoir été écartelée par un viking avec beaucoup de respect tandis qu’un nain se vidait dans sa bouche et qu’un homme de couleur lui présentait les armes. Elle se saisit de ses bourses dans la paume de sa main, les soupesa comme on tâte un melon, elle sentit un liquide chaud sortant de la gueule d’un mamba noir le long de son avant bras. Elle avala avec gourmandise la semence du petit homme — elle donnait toujours sa chance au produit — mais s’abstint de lui faire une ordo pour le cholestérol qu’elle avait détecté. Parfois il faut oublier le boulot. La preuve était faite, que loin d’être élitiste, elle était à portée de toutes les bourses. Ici les membres (!?) étaient respectueux, il n’y avait pas d’enjeu, d’intérêt ou de carrière, des inconnus sodomisaient des célébrités ou l’inverse. D’ailleurs une actrice célèbre jouissait bruyamment, et pas sur l’air des parapluies de Cherbourg,  pourtant personne ne songeait à lui demander un autographe en affirmant 

— J’aime beaucoup ce que vous faites. Les physiques importaient peu, l’hygiène était rigoureuse, aucun charognards ne trainaient dans les alcôves. Un refus et l’homme n’insistait pas et tentait sa chance à coté avec un homme ou une femme disponible. Ce n’était pas une tournante dans une cave à Saint Denis et personne ne s’essuyait la bite dans les rideaux . L’enchevêtrement parfois acrobatique des corps c’était le triomphe de Sélène. Un pyramide de chair dont le phantasmes du sculpteur mettait un homme seul suggérant que sa puissance phallique pouvait combler plusieurs femmes. Quelle blague!

Elle ne se souvenait d’aucun homme sauf de celui qui lui avait tenu la main pendant son orgasme, un peu plus long que le temps de multiples ricochets au Pont Mirabeau, et l’avait félicité pour la qualité de cet échange multiQlturel. 

Ce jour là, comme Jean-Pierre, elle oublia qu’elle était venue à vélo et commanda un taxi — s’il vous plait ralentissez sur les dos d’âne je suis fragile du dos. Elle prit un Doliprane. Sur le ralentisseur de la rue de Lourmel elle avait déjà retrouvé la forme et, arrivée à destination, proposa au chauffeur

— Ça vous dirait un dernier verre?

Ici, au pays, l’offre était plus réduite mais elle avait gardé une belle énergie

Il faut se souvenir de Nietzsche. L’histoire ou la légende dit que c’est la compassion qui l’a conduit à l’asile. Sophie se protège! Elle se sert des hommes pour éviter d’être vulnérable 

Entre ce benêt de Jean Pierre, son mari et son amant pas un ne rachetait l’autre. Pour autant elle franchissait plus souvent que nécessaire la Seine par le Pont Mirabeau. Fallait-il trahir les enfants qu’ils étaient encore un peu à la tombée du jour. Elle n’aimait pas l’idée d’être le doigt qui avait touché l’aile de papillon de ce Jean-Pierre incapable de voler en solo désormais. S’il était acharné à son malheur incapable de passer à « autre chose » tant pis pour lui. Le bonheur ou son contraire ne doivent rien à la  stochastique. Evoluer dans le vide post rupture n'était rien d'autre que s'adapter à un nouveau biotope.  Ce mari qui lui échappe était un élément du dispositif qu’elle avait élaborée. Elle regardait à nouveau les hommes comme des fourmis dans une loupe. La quête de soi plus que la quête de l’autre. Cette femme en blanc éduquée, réfugiée dans ce désert médical du Bourbonnais était au service de la fraction dominée de la classe dominante. 

— J’apporte des plats à ceux qui ont faim 

Très bien Sophie mais le raconter sur les réseaux c’est la mise en scène de soi dans une relation forcément asymétrique

Les deux parisiens dont un journaliste et l’autre écrivain allaient lui en coûter un peu plus que de l’ego

Décidément les hommes …

A suivre 



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