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Histoire de Monaco, de Pierre Fabry

Publié le 29 août 2025 par Francisrichard @francisrichard
Histoire de Monaco, de Pierre Fabry

Deux institutions qui ont fait l'État monégasque contemporain ont particulièrement appelé mon attention en principauté: la Société des Bains de Mer, créatrice des casinos, des hôtels, des premières infrastructures, et le Palais, écrit Pierre Fabry dans son introduction. 

Il en est de même pour quiconque s'intéresse à Monaco.

L'histoire de ce petit pays, gouverné par la famille Grimaldi, ne commence pas à l'époque moderne, mais bien plus tôt, à la fin du XIIIe siècle, puis, durablement, dès la fin du XIVe siècle:

Depuis 1346, la principauté englobe les seigneuries de Menton et de Roquebrune, ainsi que les territoires attenants à l'actuelle frontière franco-italienne sur la commune de Vintimille.

Il n'en demeure pas moins que Monacoc'est surtout "Monaco-Ville".

Avant d'être indépendante, en 1861, Monaco connaît le protectorat espagnol de 1525 à 1641, puis l'influence française, entre 1641 et 1815, pour enfin subir l'occupation sarde de 1815 à 1861, pendant laquelle Menton et Roquebrune seront déclarées "villes libres" avant d'être rattachées à la France.

Par le traité franco-monégasque de 1861, la principauté perd 93% de son territoire et 84% de sa population:

Réduite à vivre sur une étroite frange littorale, dépourvue d'autres ressources naturelles qu'un climat clément, Monaco est condamnée à l'ingéniosité et aux succès d'entreprises hasardeuses.

Quelques années plus tôt, la Société des Bains de Mer a été créée, à laquelle ont été consentis le privilège d'exploitation, le monopole des jeux [sur le modèle de ce que François Blanc a fait dans la principauté de Hesse-Hombourg], avec l'obligation en retour [d'] assurer un certain nombre de services publics dont l'État se décharge sur elle faute de moyens.

Comme les résultats n'ont pas été au rendez-vous, François Blanc lui-même accoste en principauté le 12 mars 1863, avec le vapeur Palmaria. C'est ainsi que va naître du jeu et du tourisme balnéaire une seconde ville dynamique face au Rocher, sur le plateau des Spélugues.

François Blanc et sa femme Marie font merveille: ils concentrent leurs efforts sur les transports, l'aménagement définitif des Spélugues et l'approvisionnement de la principauté en gaz et en eau potable. Sous le règne de Charles III, le lieu-dit devient Monte-Carlo...

En 1868, la ligne de chemin de fer Nice-Monaco est ouverte. Le développement de la principauté, et de sa population, est favorisé par la suppression des contributions directes pour les étrangers résidents, ceux qui viendraient s'installer et les "nationaux".

En France l'arrogant succès de la petite principauté, son affranchissement n'en déchaînent que plus les passions. L'auteur parle de "monacophobie"... Et, dans la principauté, les "nationaux" se plaignent des nouveaux venus, qu'ils y travaillent ou qu'ils s'y distraient...

Après le décès de François BlancMarie, sa seconde épouse, prend la relève et, sous son impulsion, Monte-Carlo, la ville du jeu, devient un lieu précurseur en matière d'arts, qu'ils soient lyriques, dramatiques ou picturaux. La clientèle appartient désormais à une élite de politiciens et d'hommes d'affaires, de hauts fonctionnaires et de diplomates.

Marie Blanc meurt prématurément en 1881, à 47 ans. Lui succède Camille Blanc, fils de François, qui fait la promotion de la Société des Bains de Mer et de la principauté en communiquant tous azimuts, par la publicité, la presse et le sport: les régates, le tir, le golf et le tennis... Résultat: Monaco entre au CIO et participe aux JO de 1920. 

Camille Blanc accroît la renommée de Monte-Carlo, connu pour son casino, avec les sports mécaniques, le premier rallye, et avec les représentations données à son opéra, construit par Garnier, dirigé par Raoul Gunsbourg ...

Le prince Charles III s'éteint en 1889. Son successeur, Albert 1er pérennise l'oeuvre fragilel'adolescent volontiers non conformiste [cède] la place à l'homme d'État, réfléchi, strict et maîtrisé:

Dans ses écrits et dans ses actes, le souverain monégasque est un humaniste qui promeut le progrès, la science et la "civilisation".

Tout est remis en cause à l'orée du premier conflit mondial, avec la montée des nationalismes. La politique d'Albert 1er 1 répond à deux maîtres-mots officiels: neutralité et humanisme. Il est francophile et fait part de sa tristesse à son ami Guillaume II... et est l'objet de détracteurs.

À sa mort, le 26 juin 1922, Albert 1er laisse une oeuvre colossale en matière de politique internationale, à travers une action diplomatique, culturelle, technique et scientifique intense. À la mort de Camille Blanc, le 21 décembre 1927, s'achèvent soixante ans de règne de sa famille sur la Société des Bains de Mer, SBM.  

Louis II succède à son père et se confronte au gouvernement français qui met fin à son statut fiscal et au secret bancaire: une surveillance fiscale des non Monégasques et des non domiciliés est instaurée. De plus est renforcée la fiscalité des bénéfices des sociétés et de leurs chiffres d'affaires.

L'influence de la France sur la principauté s'exerce également via la monnaie fiduciaire. La monnaie officielle est le franc. Les pièces sont frappées par la Banque de France, des billets émis par un imprimeur monégasque pendant six ans, de 1921 à 1925... En 1936, la France met fin à la velléité de créer une banque nationale monégasque... et dévalue le franc deux ans plus tard...

La même année, pour faire face à la crise, la Société des Bains de Mer se restructure pour se concentrer sur ses coeurs de métier: elle se défait de ses usines à gaz et d'électricité, mais conserve la distribution et l'exploitation du service des eaux aux particuliers, le contrôle de l'urbanisme, la gestion du port de commerce, de l'"habitat bon marché", la politique culturelle [...] et les sports.

Pendant la guerre, Louis II mène une politique opportuniste vis-à-vis de l'occupant, sous la mauvaise influence de politiciens, dont le Ministre d'État nommé par l'État français. Le prince héréditaire, Rainier, sans y participer ni pouvoir la combattre, en dédouane son grand-père, dans une lettre adressée à ses compatriotes le 21 septembre 1944, et s'engage dans l'Armée française.

Après guerre, sous l'impulsion du prince héréditaire, le commerce et l'export se développent: Entre 1946 et 1949, les bénéfices du Trésor changent de nature. Les taxes et droits d'enregistrement constituent 60% des rentrées de l'État, tandis que les revenus tirés des produits des jeux et de le rente versée par la SBM ne constituent plus que 2 à 5% des produits.

Le 19 novembre 1949, six mois après le décès de Louis II, deuil national oblige, Rainier III devient officiellement le trente-troisième prince régnant de Monaco. Il reçoit les Monégasques de nationalité au palais, comme il les recevra chaque année le jour de la fête nationale, fixée depuis au 19 novembre, date de son intronisation.

Sous son règne, Monaco s'affirme dans les organismes internationaux:

  • Le Ministre d'État, Jacques Rueff, le 3 août 1949, fait part à la France du désir de la principauté d'être admise au Conseil de l'Europe, ce qui sera effectif en 2004.
  • Monaco devient observateur au siège de l'ONU en 1956.
  • Monaco deviendra membre de l'ONU en 1993.

Alors qu'au début de son règne les indicateurs économiques sont au rouge, Monaco renaît grâce à des campagnes de médiatisation à l'américaine auprès, principalement, des Américains ... en insistant sur la modernité d'infrastructures méconnues: le "Monte-Carlo Beach-Club", le golf, les night clubs, les bars.

Sous son règne, sans débourser un centime, Monaco favorise l'industrialisation du pays avec pour critères que les entreprises, qui s'implantent, soient légères, productives, au personnel qualifié, peu nombreux et bien payé, et qu'elles aient fait leurs preuves dans leur domaine. En contre-partie le gouvernement donne l'impulsion, joue les entremetteurs, règle les litiges, facilite les démarches administratives, accorde des préférences fiscales, fournit parfois les terrains, mais n'investit jamais.

Radio Monte-Carlo, RMC, a été créée pendant la guerre à des fins de propagande et commencé ses émissions le 1er juillet 1943. En fait elle aura été relativement neutre: actualité culturelle, sports et variétés, puis, début 1944, source d'information relativement fidèle à la réalité des événements. Rainier IIIconnaisseur de la culture américaine, sait que la télévision a un potentiel insoupçonné de communication: Télé Monte-Carlo devient filiale d'Images et Sons, comme le sont déjà RMC et Europe 1... Et, le 15 janvier 1961, le premier Festival international de télévision de Monte-Carlo, est présidé par Marcel Pagnol...

Le mariage du prince Rainier avec Grace Kelly, en présence d'officiels, d'artistes, de gens du monde et d'hommes d'affaires, aura pour effets de contribuer au renom de la principauté et d'y développer l'investissement américain. La princesse, qui s'est fait connaître au cinéma, dans trois films d'Alfred Hitchcock, oeuvre elle-même dans les domaines social, humanitaire et culturel. 

Aux années 1950, qui voient la principauté renouer avec la prospérité, succèdent des années plus sombres, conséquences de la perte d'influence de la France dans la Société des Bains de Mer, où le prince Rainier possède des parts et où un certain Aristote Onassis est parvenu à prendre une place prépondérante... avec l'interdiction faite à l'État français, par ordonnance du prince, de négocier en bourse les nombreuses actions qu'il détient dans la Société des Bains de Mer et dans Images et Sons.

Le Ministre d'État, Pelletier, a laissé passer cette ordonnance sans réagir, puis, ayant fait l'objet de remontrances de la part de sa tutelle, se rend au palais, où, s'étant mal comporté, il est congédié par le prince, le 24 janvier 1962. C'est le début de la crise franco-monégasque. La France gaullienne envisage des mesures de rétorsions, notamment fiscales contre les ressortissants français et les entreprises. Et, comme les négociations n'aboutissent pas, le général de Gaulle décide le rétablissement d'un cordon douanier autour de la principauté le 13 octobre 1962...

Pour sortir de cette crise qui a paralysé l'économie monégasque, une convention de voisinage est signée le 18 mai 1963, aux termes de laquelle des mesures fiscales sont édictées: 

  • les sociétés seront au terme de quatre années et progressivement imposées à un taux de 40%;
  • seules seront imposées les sociétés dont plus de 25% du chiffre d'affaires est réalisé hors de la principauté;
  • seront soumis à l'impôt les revenus des dirigeants dont les revenus dépassent un certain montant;
  • à partir de l'année 1965, tous les Français résidant à Monaco seront désormais soumis en France à l'impôt sur le revenu;
  • seuls les ressortissants résidant depuis plus de cinq ans à la date du 13 octobre 1962 seront exonérés.

Beaucoup d'efforts de la France pour peu de résultats !

(Et la confirmation que ce pays ne supporte déjà pas qu'il existe des pays moins infernaux fiscalement que lui...)

Aujourd'hui les recettes de l'État monégasque assurent son indépendance. Elles proviennent pour:

  • 49% de taxes sur les transactions commerciales (TVA),
  • 13% du domaine immobilier (immeubles locatifs, parkings),
  • 11% des transactions juridiques,
  • 2,4% des monopoles exploités (tabacs, timbres-postes et postes),
  • 2% des monopoles concédés (jeu, gaz, électricité, exploitation des ports).

L'auteur ne précise pas quelles sont les autres provenances de recettes, mais le lecteur les imagine minimes... 

Dans le même temps, qu'il faisait face à la crise avec la France, le prince Rainier III a engagé une réforme de la Constitution de la principauté, qui est promulguée le 17 décembre 1962, aux termes de laquelle, notamment, il gouverne véritablement et effectivement au quotidien, et, singulièrement, sont proclamées  la liberté de culte et la primauté  de la religion catholique... 

Pendant son long règne, à Fontvieille, à l'ouest de la principauté, le prince Rainier III accroît la superficie territoriale sur les eaux territoriales, favorise la construction d'immeubles industriels, de logements dits "sociaux", d'habitat résidentiel, d'espaces verts, du port, d'un groupe scolaire, d'un complexe sportif, d'un centre commercial. Et à l'est, du "Manhattan monégasque"... qu'Albert II agrandira avec quelques gratte-ciel plus hauts.

La Société des Bains de Mer n'est pas de reste avec ses hôtels, dont l'Hôtel Hermitage et l'Hôtel de Paris, avec ses infrastructures ludiques, sportives, dont le Monte-Carlo Country Club, ou culturelles, dont le Sporting d'Hiver et le Centre des Congrès...

Ces développements ne se font pas au détriment de l'environnement (depuis 1974, une loi édicte des dispositions pour la protection des eaux et de l'air... ) et se traduisent par un afflux de population, consécutif en autres aux naturalisations, qui ne se font plus, du moins pour ce qui concerne les Français, pour des considérations fiscales:

À ce jour, pour 39 000 habitants, Monaco compte plus de 60 000 salariés dont plus de 55 000 dans le secteur privé (contre respectivement 44 000 pour 33 000 habitants voilà vingt ans). Près de 90% d'entre eux ne vivent pas en principauté. Ce taux ne cesse de croître, de même que la migration pendulaire de l'ordre de 45 000 par jour en 2021...

Sous le règne d'Albert II, qui a succédé à son père en 2005, l'extension se fait également sur la mer, c'est L'Anse du Portier, en faisant exclusivement appel à des investisseurs privés ou à des groupements complexes sur lesquels, comme naguère avec la SBM, repose l'essentiel des risques... et des gains, et en prenant en compte la courantologie, la préservation de la préservation de la faune et de la flore: c'est l'écoquartier qui manquait à la principauté. 

Car le prince Albert II entend dès son accession contribuer aux politiques de développement durable en développant une politique environnementale qui répond aux standards internationaux: l'énergie et la préservation du climat, la gestion du patrimoine naturel et la préservation de la biodiversité, la ville durable et le cadre de vie, la participation et l'éducation des citoyens.

Selon Pierre Fabry, quel défi doit donc relever ce petit pays?

Trouver le juste équilibre entre le patrimoine, les traditions, l'héritage, la modernité, le progrès, les innovations scientifiques et techniques.

Il ajoute:

Accroître les richesses, garantir les progrès et leur maîtrise, encourager le développement social et économique sans sacrifier le cadre naturel, l'environnement et le contrat social, conforter l'identité, constitutif du "miracle monégasque" et de l'extraordinaire essor de la principauté en à peine plus d'un siècle.

Au moins ne sacrifie-t-il pas à la doxa selon laquelle le salut ne se trouverait que dans la décroissance...

Francis Richard

PS

Pourquoi me suis-je intéressé à l'Histoire de Monaco? Certes, parce que je suis curieux de nature, mais surtout parce que j'y ai vécu un mois par an, quinze jours à Noël et quinze jours à Pâques, pendant la décennie des années 1960, et que j'en garde un souvenir ébloui, dont j'ai fait part à mes lecteurs dans un article  paru sur ce blog le 23 janvier 2016, où j'omettais toutefois de parler de mes nombreuses lectures d'alors...

1 - Une constitution a été promulguée en 1911. Aux termes de l'article 15, le Gouvernement de la Principauté est exercé, sous la haute autorité du Prince, par un Ministre d'État, assisté d'un Conseil. Comme l'explique l'auteur, le Ministre d'État est un haut fonctionnaire détaché par l'administration française... Depuis le traité d'amitié et de coopération du 24 octobre 2002, le souverain dispose du choix de ses collaborateurs en accord avec la France, y compris le Ministre d'État.

Histoire de Monaco, Pierre Fabry, 416 pages, Passés Composés


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