
Un flux ininterrompu de transmissionÀ quelques jours d’écart, la grâce de ce double échange est venue me rappeler le maillon que je suis. Ce n’est pas seulement la vie que nous avons reçue des générations précédentes et il faut bien plus que deux parents pour construire un être humain debout. Reconnaissance de dette : pour le meilleur et pour le pire – mais c’est du meilleur que je veux parler ici – nous ne situons jamais que dans un flux ininterrompu de transmission.Que savons-nous de ce dont nous sommes les passeurs ? Tour à tour simple silhouette, figure déterminante, ombre tutélaire ou inquiétante, que savons-nous du rôle que nous jouons dans la vie des autres ? Je suis la somme de tout ce qui m’a été proposé, imposé, offert et enseigné. J’ai tant et tant reçu, de tant et tant de personnes. Comme un paysage façonné de mille apports divers – les eaux, le sol, les vents, les graines… – qui tout ensemble s’agencent, se confrontent et se complètent.Que suis-je, sinon cette vallée entre friche et jardin, cette conjugaison d’éléments qu’il m’incombe de cultiver du mieux que je peux, portant ici un peu d’engrais, abritant là telle jeune pousse des vents d’hiver, constatant ailleurs l’échec de toute mise en culture. Espérant toujours la récolte.
D’une âme à l’autreÀ un détour de ma vallée, sans doute, à l’ombre du hêtre un peu fou qu’était mon professeur de dessin, quelque chose a pris racine dont j’ai pris soin du mieux que je pouvais. Quel arbre, quel caillou, quelle source serai-je dans d’autres paysages ? Dans celui, par exemple, d’une jeune photographe aux yeux pétillants ?Si, comme j’en suis persuadée, au jour du Jugement nous ne pèserons pas plus que le poids de ce que nous avons su donner, il n’est pas indifférent de découvrir parfois que là, précisément, à tel moment, dans tel échange, dans telle situation de la vie, quelque chose est passé d’une âme à l’autre.Nous ne savons jamais vraiment ce que nous transmettons, mais nous pouvons considérer ce que nous avons reçu. En ces jours de rentrée scolaire et avec une pensée pour toutes celles et tous ceux qui, cette année encore, guideront tant de jeunes sur le chemin qui fait grandir, je vous souhaite fécondité, courage, avec la joie des gratitudes.
Anne Le MaîtreAutrice et aquarelliste, géographe de formation, Anne Le Maître vit en Bourgogne. Elle enseigne aux jeunes et aux adultes. Elle a publié Un si grand désir de silence (Cerf), qui a reçu le prix littéraire de la Liberté intérieure 2023, le Jardin nu (Bayard) et Faire refuge en un monde incertain (Cerf).
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