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L’Uncanny Valley et la galaxie des monstres

Publié le 06 septembre 2008 par Eric Viennot

Emily Comité de direction Lexis Numérique. Jeudi 4 septembre, 16H24.

-    Et pour le projet Twelve ? On fait quoi alors ?
-    Ben après Leipzig on doit voir comme prévu Ubi, Sony, Take2… pour leur présenter le…
-    Je parlais du projet Twelve pas du projet Eleven !
-    Twelve ?!?
-    Ben oui Twelve ! Tu sais bien ! Mon projet de série Tv interactive avec de vrais acteurs filmés en chair et en os… Le projet qu’on a présenté à Canal ya quelques temps…
-    Des vrais acteurs filmés en chair et en os ? ça existe encore ?!

A quelques mots près, cette conversation est véridique. Les techniques d’animation 3D et de mocap faciale évoluent à une telle vitesse en ce moment, qu’en étant baigné dedans tous les jours, on finit presque par oublier que nos confrères du cinéma travaillent encore, eux, avec de vrais acteurs, comme au XXème siècle. (Bon j’exagère un peu : quand on regarde bien, la 3D envahit aussi le cinéma même dans les films avec de « vrais » acteurs. Personnellement je regrette ces excès, l’essence du cinéma étant ailleurs, mais c’est un autre débat)

Depuis les débuts de la 3D (début des années 90, un siècle dans notre industrie !), ce fantasme de voir un jour des personnages en 3D tellement réalistes qu’ils ressembleraient à des acteurs réels, habitent de nombreux passionnés de jeux vidéo. Final Fantasy, le film de Square, inspiré du jeu du même nom, a été le premier, en 2001, a approché ce vieux rêve.

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Mais si cette performance était possible en 3D précalculée, elle semblait, à l’époque, impossible à réaliser en 3D temps réel. Avec les consoles next gen, cette performance parait enfin à la portée des studios de développement. Ainsi, il y a quelques mois, mon confrère David Cage, prétendit avoir réussi à dépasser le stade de l’Uncanny Valley. Le concept d’Uncanny Valley a été énoncé dans les années 70 par Mahahiro Mori, un éminent professeur de robotique. Il avait remarqué qu’en se rapprochant de la réalité, la représentation se heurtait à un seuil, une chute soudaine du phénomène d’illusion.
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C’est ce qui explique pourquoi, malgré leur exceptionnel réalisme, les personnages de Final Fantasy mettaient mal à l’aise.
A l’appui de ses propos, David Cage diffusa une vidéo effectivement assez bluffante, fruit des recherches effectuées pour son prochain jeu Heavy Rain.
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Bien qu’étant supérieure au premier trailer dévoilé en 2006 (le casting), il faut avouer que ce n’était pas encore tout à fait ça. On ressentait toujours ce sentiment d’inquiétante étrangeté en la visionnant. Depuis, même si les premières images du jeu diffusées par Sony à la dernière Games Convention de Leipzig ont marqué les esprits, David a, semble-t-il, pris soin de ne plus trop évoquer l’Uncanny Valley, préférant recentrer la présentation de son jeu sur son gameplay et ses innovations narratives *.

Il se trouve qu’une semaine avant Leipzig une nouvelle technique de mocap faciale avait été dévoilée au Siggraph. Une vidéo dévoilant cette nouvelle technique fut diffusée à cette occasion. En quelques jours, elle s’est répandue dans les studios de développement de jeux du monde entier.

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On y voit une jeune femme vanter les mérites d’une technologie révolutionnaire avant de se rendre compte progressivement que la technologie dont elle parle c’est elle ! La présentatrice est effectivement en images de synthèse. Plutôt sceptique, j’ai aussitôt demander au collaborateur qui me l’avait envoyée s'il était vraiment certain que c'était de la 3D. Il m’a renvoyé un lien vers une autre vidéo qui présentait le making of. Plus de doute possible ! Même si le labo a un peu triché c’est bien de la 3D (seul, en fait, le visage est modélisé. Le reste du corps, notamment les cheveux - la texture la plus difficile à rendre en 3D- est filmé. Le tout a été incrusté en compositing vidéo). Après l’Everest, la Vallée de l’Uncanny ne parait plus aussi infranchissable. Il est fort possible que d’ici deux ans de nombreux jeux utilisant ce type de techno voient le jour, poussant encore plus loin les limites de l’ultra-réalisme.

En attendant, le jeu qui fait l’événement de cette rentrée propose une anti-thèse de cette tendance. Pire encore (ou mieux selon les points de vue), il invite les joueurs à créer et faire évoluer les créatures les plus bizarres, les plus grotesques, les plus monstrueuses ou les plus rigolotes. Aux antipodes de l’Uncanny Valley, l'ami Will a décidé de son côté de remplir la planète de monstres en tous genres !

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Bienvenue au Willwright horror  picture show !

Will avec Spore va-t-il nous refaire le coup des Sims ? L’industrie suit ce lancement avec grand intérêt, et il faut bien le dire avec un sentiment plutôt dubitatif pour certains.  La principale réserve qui est faite est la suivante : il est beaucoup moins aisé de s’identifier à un œil à trois pattes une queue et deux tentacules. (Eh ! pas de mauvais esprit ! J’ai dit tentacules !) qu’à un humain des Sims. On lui promet un grand avenir mais sans commune mesure avec celui des Sims (Rappelons-le : plus de 100 millions d’exemplaires vendus !). Personnellement je trouve les bestioles de Spore beaucoup plus attachantes, amusantes et même poétiques que les personnages des Sims, qu’on a plutôt envie de baffer !
D’ailleurs, le personnage le plus attachant de l’été n’était-il pas constitué de quelques bouts de ferrailles, de pinces en guise de mains, et de deux espèces de phares de bicyclette en guise d’yeux ? Cela ne l’a pas empêché de nous faire ressentir une large palette d’émotions humaines, de l’amour au désespoir, en passant par la solitude.

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Comme quoi, il n’est pas toujours besoin de réaliser des personnages hyperréalistes pour faire rire et pleurer. Tout est affaire de point de vue et de cohérence. Tout est aussi affaire de scénarisation et, même si je partage un grand nombre d’idées en commun avec David, vous aurez compris que l’Uncanny Vallée et les performances ultra-réalistes ne me fascinent pas outre mesure. Peut-être suis-je encore trop marqué par mon passé lointain de plasticien, allez savoir ?

A ce propos, j'ai trouvé dans les images de Spore un rapprochement frappant qui explique peut-être cela ?

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A gauche, Bleu de ciel de Kandinsky, 1940 (détail). A droite image écran de Spore, de Will Wright, 2008. Etonnant non ?

* Pour ceux qui s’intéressent à la démarche de David Cage et qui auraient raté les comptes-rendus concernant la première démo jouable d’Heavy Rain, je conseille quelques liens ici ou .

PS : Slime sur DS dont j’ai parlé sur ce blog à plusieurs reprises est enfin sorti en France ! Le site officiel est ici.


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