Je savais que j’allais aimer Drome. Depuis Hedra puis Arca, Jesse Lonergan s’est taillé une réputation pour son travail exceptionnel sur ses planches et sa mise en cases. Mais je ne m’attendais pas à être embarquée à ce point. Avec Drome, publié chez 404 Graphic, on n’est pas dans une simple bande dessinée : on entre dans une cosmogonie, une épopée fondatrice où dieux, guerriers et créatures s’affrontent pour donner naissance à un monde.
Une épopée des origines
Tout commence dans le chaos. Une graine, une racine, un œuf… et le premier homme apparaît. Rapidement, d’autres suivent, puis viennent les conflits, les luttes de pouvoir, la violence. Une divinité de lumière crée alors une guerrière pour rétablir l’harmonie. Mais l’équilibre ne tient jamais longtemps : jalousies, rancunes et nouvelles créatures sauvages viennent brouiller les cartes. C’est à la fois archaïque, brutal, mais aussi universel et profondément humain.
En lisant Drome, impossible de ne pas penser à Gilgamesh, aux mythes grecs ou à la Genèse. On est face à une réécriture des grands récits fondateurs, mais sous une forme plus moderne, où la case devient un vecteur de mouvement, un souffle qui emporte le lecteur à travers son architecture.

Lonergan au sommet de son art
Ce qui m’a frappée, c’est la manière dont Jesse Lonergan transforme la bande dessinée en expérience visuelle et sensorielle. Ses découpages rappellent un plan de métro où chaque ligne guide notre regard, où chaque gouttière devient rythme et respiration. C’est extrêmement audacieux, mais jamais gratuit. Tout est pensé pour que l’œil circule naturellement, qu’on ressente les chocs, les courses, les batailles titanesques… les plongeons.
Et puis, il y a les couleurs. Bleu, rouge, jaune : trois teintes primaires, trois personnages qui incarnent des forces fondamentales. On pense forcément à Kandinsky et à son idée que les couleurs portent une vibration spirituelle. Chez Lonergan, elles deviennent symboles, moteurs narratifs et émotionnels.
Un récit grandiose et intime
Oui, Drome est massif (plus de 300 pages !). Oui, c’est une œuvre exigeante, presque hypnotique. On peut y voir un grand récit métaphysique sur l’origine du monde et la nature humaine. On peut aussi juste savourer un péplum déchaîné, rempli de combats homériques, de monstres géants et de divinités capricieuses dignes de Jack Kirby.
Ce qui m’a touchée, c’est que derrière cette ambition, Lonergan parle aussi de nous. De la virilité toxique, de la violence, de la possibilité de choisir une autre voie. Ses personnages, pourtant nés dans le chaos, cherchent à donner un sens à leur existence. Et c’est sans doute ça qui rend l’album aussi marquant : il nous tend un miroir.



Une lecture indispensable
On referme Drome avec la sensation d’avoir vécu quelque chose de rare. Un récit qui convoque les mythes antiques tout en repoussant les limites formelles de la BD contemporaine. Une œuvre monumentale, aussi belle que brutale, aussi cérébrale qu’instinctive.
Bref, Drome est une claque. Une de celles qui restent longtemps en mémoire, et qui confirment que Jesse Lonergan n’est pas seulement un auteur talentueux : c’est un maître des cases.
Drome est en vente au prix indicatif de 29,90€.
L’article Drome : Jesse Lonergan et la symphonie des cases est apparu en premier sur We Are Girlz.
