

— Compostelle pourquoi pas…
A défaut de savoir quel sens donner à sa vie autant lui donner une direction
Sorde l’Abbaye, Ostabat, Orthez, Roncevallés, Puenta la Reina, Pamplona, Jérôme marche. Sur les rives des sentiers il y a des amas de cailloux que les pèlègrinos entassent. Ce sont des cairns, l’ancienne signalétique remplacée désormais par le logo Jacquaire de la coquille jaune sur fond bleu. Mais le symbole reste. La légende du camino de Santiago dit que le voyageur se déleste du superflu au fil du trajet. Chemin mystique, travail sur soi, introspection, chaque pierre abandonnée est le signe de l’allègement mental du pèlerin. Pour autant, il reste des énigmes existentielles ou mathématiques à résoudre pour faire passer les kilomètres.
La trisection de l’angle, la duplication du cube, la quadrature du cercle si Pi
est transcendant, c’est compliqué! Côté philo, l’égoïsme est la seule liberté!, Le confort est précaire et la précarité n’est pas confortable, ça s’est plié en 5 minutes L’ataraxie ne serait-elle pas l’ubac de la vanité?, mérite réflexion. L’harmonie serait-elle plutôt obtenue grâce aux instruments à piston, à cordes, à vent ou après? Le bonheur est-il dans le pré ou dans le loin? Deux sujets pour déconner entre Roncevaux et Pampelune. Se faire oublier, ne serait-ce pas encore un vice de l’ego? Ça, c’est assez tordu. On ne dis pas — je suis venu te dire que je m’en vais, on part! Le chemin de la haine passerait par la passion? Le marcheur divague. Sa pensée la plus saugrenue sécrétée par du jus de crâne lui semble empreinte de sagesse. Ses affirmations deviennent péremptoires issues de spéculations lacunaires: l’humanité est ingrate! En tout cas 50% l’est: un jour, c’était un mardi, il pleuvait, il a tenu la porte à une femme voilée et aidé une vieille dame à attraper un sachet de pâtes sur l’étagère au Monop’ résultat: à peine remercié et aussitôt oublié!
Voilà pour la partie misogyne de sa misanthropie.
Déconstruit! Émotionnellement épuisé!
Alors, faut pas lui parler d’égoïsme! Et encore moins d’humanité! Ce n’est que lorsque l’on a cessé de s’occuper de soi que l’on peut vraiment s’intéresser à elle (si l’on fait abstraction toutefois de la statistique établissant que le blanchiment d’anus dépasse les liposuccions à la clinique des Bosquets).
L’équanimité était à sa portée pourtant
Jérôme, childfree à la parentèle réduite désormais, ainé d’une fratrie décimée qu’il n’a su protéger traîne le fardeau de la culpabilité impossible à abandonner. Dans cette zone déiste des pathologies mentales les illuminés convaincus que les corps aux pieds et les genoux ruinés étaient rédempteurs ne manquaient pas mais il y avait peu de conversations qui valaient d’être tenues.
Il y avait autant de chagrins d’amour que de cèpes en Corrèze, des espoirs pas encore déçus et des espérances Christiques, des chétifs isolés et des obèses groupés, des godillots et des sandales, des fardeaux, beaucoup de fardeaux, pas trop de touristes en cette saison automne/hiver, un trader de la société générale en fuite, un gitan imposant comme un frigo américain mais il était russe et fermé comme un hygiaphone de la CAF, sans doute un tueur en repentir comme l’inventeur de la bombe atomique ou le designer du string léopard. Une drôle de troupe qui faisait penser à une cadène de bagnards arrivant à Toulon dans le roman d’Henri Charrière à l’approche des grandes villes avec cette différence que le boulet n’était pas à la cheville mais dans la tête
Smoking, no smoking? Partir, revenir? Viendra, viendra pas? Ira, ira pas? Remords des réussites usurpées ou regrets de la chose loupée? Acceptation ou rébellion dévorent les mêmes ressources. Pourquoi se retrouve-t’on à l’abordage dans la mer des Caraïbes à un contre dix ou à dépendre d’un tracteur au fond des Pyrénées? A quel moment choisis-t’on et a-t’on cesser de choisir? Quand cesse-t’on d’agir pour subir pris dans une séquence d’effets et de causes? Qu'est-ce qui décide de la suite? Nous ou la chance?
Jérôme a faim! Il a la dalle parce qu’il a eu la chance de trouver une grange ouverte sous la pluie, une nuit. Il a choisi de poser son pécule, là, enveloppé dans un tee-shirt Jo Dassin — Et si tu n’existais pas… est la seule question— qui gardera son odeur quelques temps plutôt que le jeter dans le Gave de Pau.
L’argent, pas le tee-shirt.
De sorte qu’il mettait de la distance géographique avec l’humanité et lui fallait autant trouver l’écart avec les sentiments sur l’autre rive! Réduire au plus petit dénominateur commun, très commun, cette communion opportune entre le chaud et humide réceptacle salvateur et cet appendice ridicule entre ses jambes sevré depuis des mois.
Burgos, Casteljerriz, Carrion de los Condes, Sahagun, il résiste mais il a finit par oublier le prénom de la dernière femme, il a oublié aussi qu’il ne l’a jamais su et il ignore où il dormira ce soir, il échange avec la serveuse du resto de la gare, une belge Wallonne
— Un café solo por favor
— Disculpa me, vous allez loin?
— Je l’ignore, je marche. Pourquoi?
— Vous êtes très peu chargé pour le Compostelle
— Juste ce qu’il faut
— J’en vois, si vous saviez… chargés comme des mules, les pieds en sang comme s’ils voulaient se punir. Les pires ce sont les allemands. Ceux là, ils en ont des trucs à se faire pardonner*
Et voilà! La vie est belle, il reste du café, de l’air, de l’eau, des chaises pour s’asseoir, un lever et un coucher du soleil par jour
* cette phrase entendue à cet endroit du chemin en Novembre 2016 est la seule phrase authentique de ce rodéo
