Transcription de la chronique pour la 532ème émission de Podcast Science, dont la thématique était le cercle.
Quand j’étais petit, j’étais un fan absolu d’un livre sur les fées illustré par Brian Froud et Alan Lee (si vous êtes un enfant des années 80, sachez que l’un a participé au design de Dark Crystal tandis que l’autre s’est distingué pour son travail sur Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson).

Les fées, c’est donc une sorte de compilation de folklores celtiques. Or, entre les descriptions des korrigans et des feux-follets, j’y avais lu les légendes concernant les cercles des fées, des rondes que dansent les elfes dans les prés.
Je cite :
Les cercles des fées [...] ne sont pas sans danger pour le mortel qui passerait auprès d’eux. La musique sauvage et ensorcelée des esprits risque de l’attirer sans retour dans leur cercle [...]. Lorsqu’un humain pose un pied dans le cercle, il est contraint de se joindre à la folle ronde. La danse peut lui paraître courte, alors qu’en fait elle prend des années de notre temps, et plus encore. Pour secourir ce malheureux, il faut qu’un ami [...] suive la ronde d’un pied dans le cercle et l’autre dehors, pour en arracher le danseur captif.

Cette histoire se réfère à de véritables structures biologiques qu’on peut observer dans les prés et forêts sous formes d’anneaux d’herbes éclatantes.
Donc ce que je vous propose, pour cette chronique de Podcast Science dont le thème est le cercle, c’est de rejoindre celui de la veillée, où nous échangeons contes et légendes. Mais ne me faites pas des yeux ronds : c’est pour mieux savoir ce que la science nous dit de tous ces mythes surnaturels.
En france, plutôt que “cercles de fées” on utilise l’expression de “ronds de sorcières” pour parler de ces verdissements anormaux d’herbes. Mais en fait, on a l’embarras du choix pour les nommer car, comme le compilait Homer Shantz dans un article de 1917, on peut aussi les appeler anneaux magiques, cercles magiques, cercles du sabbat, etc. Tout cela en référence au sabbat effectué par les sorcières invoquant le diable une nuit entre le 30 avril et le 1er mai. Dans un billet du blog Zoom Nature, l’auteur Gérard Guillot consigne quelques croyances médiévales croustillantes à leur propos, comme celle concernant de jeunes filles écossaises, qui, si elles désiraient améliorer l’apparence de leur minois, devaient collecter de la rosée un matin de mai et se l’appliquer sur le visage ! Mais attention, si cette rosée se trouvait au centre d’un rond de sorcière et qu’elle s’y tenaient pendant l’application, alors elles étaient transformées en de vieilles femmes couvertes de pustules !
Mais même durant le moyen-âge, d’autres explications plus prosaïques étaient proposées pour expliquer le phénomène des ronds de sorcières. Certains invoquaient les cercles formés par le bétail autour d’une botte de foin qui déposaient donc leurs bouses en cercle, ce qui permettait de fertiliser un anneau dans le sol. D'autres, en observant la persistance obstinée des hérissons mâles en rut poursuivant les femelles, imaginaient que leur parade générait des anneaux de terre nue… Quelques-uns voyaient enfin un rapprochement à faire entre les ronds de végétation et les rondes mortelles effectuées par des colonies de fourmis (dont je parlais ici).
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M’enfin difficile de comprendre comment ce labour d’hérissons ou de fourmis génère des ronds d’herbes au teint plus vif. Y’a quelque chose qui tourne pas rond dans ces explications… Leurs inventeurs étaient-t-ils ronds comme des boules carrées quand ils les ont imaginées ? Pas nécessairement… En effet de nombreux ronds de sorcières comprennent aussi des zones circulaires d’herbes chétives voire mourantes, ou carrément des cercles de terre nue.
Aussi, est-il intéressant de consulter l’avis des savants à travers les époques, comme le naturaliste John Aubrey qui spécule en 1685, dans son Histoire naturelle du Wiltshire, que ces ronds sont provoqués par une vapeur souterraine fertile. En 1790, c’est le grand-père de Darwin, Erasmus, qui propose plutôt qu’ils résultent d’éclairs frappant le sol.
Mais c’est Richard Bradley en 1717 qui semble le premier avoir fait le rapprochement entre les ronds de sorcières et un phénomène appelé ronds de champignons. Selon lui, des fourmis ou des escargots ensemençaient la terre (parfois en cercle) ce qui entraînait l’été, une végétation luxuriante, et l’automne, une terre propice à l’émergence de champignons.
Mais c’est le botaniste William Withering qui, en 1792, prendra la peine de vérifier cette hypothèse. Sans faire des ronds de jambe, il creuse le sol au centre d’un rond de sorcière pour y découvrir une masse blanchâtre et cotonneuse faite de fibres microscopiques qu’on appellait alors le “blanc de champignon” et aujourd’hui le mycélium. Par contre, le sol où la végétation est plus intense et verte, est dépourvu de mycélium. Il parvient même à identifier l’espèce du champignon concerné, le Marasme des Oréades (Marasmius oreades), qui pousse quasi exclusivement en formant des ronds de sorcières.

Dans le sillage de William Withering, d’autres savants comme William Wollaston vont identifier de nouvelles espèces de champignons responsables de ces anneaux qui prennent progressivement les noms de cercles mycéliens ou mycogènes.
Mais pour mieux comprendre le phénomène, il faut qu’on parle un peu de la biologie des champignons. Si d’aventure vous dites que ce que vous faites sauter à la poêle ou que vous utilisez pour garnir vos pizzas sont des champignons, ceux qui font partie du cercle très restreint des mycologues vous feront le dos rond ! En effet, ce n’est qu’une infime partie d’un champignon. Cette partie émergée qu’on cueille en automne, ce sont les organes de reproduction fongiques, permettant de disséminer les spores de l’organisme. On parle ainsi de sporophores ou carpophores. Comme j’aime à le rappeler à mes étudiants, dire qu’un carpophore est un champignon, c’est comme pointer une pomme et dire que c’est un pommier : c’est techniquement correct, mais un poil réducteur.
Comme l’a observé William Withering, ce qui compose l’essentiel d’un champignon est le plus souvent dissimulé dans le sol, sous forme d’un feutrage de fibres ramifiées (ce qu’on appelle les hyphes). L’ensemble de cette partie souterraine porte le nom de thalle végétatif dont les filaments absorbent les nutriments du sol. Ainsi, les sporophores apparaissent le plus souvent lorsque le milieu dans lequel se trouve le thalle est épuisé, et ils vont se répartir à sa périphérie (surnommé le front de croissance du mycélium). En effet, comme leur nom l’indique, les sporophores portent les spores du champignon et vont les disséminer au loin, dans l’espoir que leur germination s’effectue sur un sol plus riche en nutriments. Il serait balaud que les sporophores déposent les spores sur le territoire épuisé, en compétition avec leur thalle originel. Mais la reproduction du champignon ne signifie pas que sa croissance s’achève ! Chaque année, le front du mycélium continue de grandir en dessinant des cercles concentriques de plus en plus grands. On estime ainsi qu’en fonction du sol, de l’espèce et des conditions, le rayon d’un rond de sorcière peut s’accroître de 5 à 35 cm annuellement. L’estimation de cette croissance a même permis de déterminer qu’un rond de sorcière à Belfort mesurant 600m de diamètre existerait depuis 700 ans.
Quand Withering a découvert le mycélium du Marasme des Oréades, il en a déduit qu’il était né de la germination d’une spore ayant effectué une belle croissance en disque sur le sol et que les anneaux où se trouvent les sporophores correspondent au front du disque du mycélium.
Aujourd’hui, on connaît plus d'une centaine d’espèces de champignons à ronds de sorcières. Certains sont même associés symbiotiquement au système racinaire d’arbres et vont donc former des anneaux limités en taille, car dépendant de l’étendue de la couronne de racines de leur hôte. Mais malgré des décennies d’études, de nombreux mystères continuent d’encercler le phénomène des ronds de sorcières, à commencer par l’alternance de végétation “sur-verdie” ou dépérissante. Le mécanisme le plus souvent évoqué, est que le mycélium, lorsqu’il est bien actif, dégrade la matière organique et libère trop d’azote et de phosphate, ce qui inhibe localement la croissance végétale (voire des microbes du sol). Mais lorsque le mycélium est moins actif, alors c’est l’effet inverse qui serait observé et la quantité d’azote et de phosphate correspondrait à de l’engrais stimulant localement la pousse des plantes.

Un modèle séduisant, mais parmi les scientifiques, il y en a toujours qui jouent le rôle d’empêcheurs de tourner en rond !
Que penser en effet de l’absence de mycélium au centre des ronds de sorcières ? Plusieurs expériences ont montré que si on essaie de le réensemencer avec des spores, le champignon ne pousse pas, comme si quelque chose accumulé dans le sol l’en empêchait… C’est d’ailleurs en adéquation avec le fait que les ronds de sorcières, lorsqu’ils apparaissent sur des terrains en pente, ont tendance à prendre l’apparence d’arcs qui progressivement remontent la pente. Certains chercheurs pensent que c’est le résultat d’un lessivage des sols, qui déplacent des toxines dans le sens de la pente et libère donc du milieu colonisable en amont.
La lecture d’une récente revue de l’état de l’art sur la question m’a laissé comme deux ronds de flan. Tout d’abord, ses auteurs expliquent que le champignon pourrait avoir différents effets sur la végétation, le plus souvent opposés. Ainsi, le champignon pourrait sécréter d’une part des substances phytotoxiques et notamment des composés d’induction d'hydrophobicité (en gros des herbicides et des produits deshumidifiants). Mais de manière contre intuitive, il pourrait aussi sécréter des phytohormones et relarguer des nutriments. Mais le plus invraisemblable, c’est que le mycélium semble sécréter aussi des substances auto-toxiques. Plusieurs équipes de recherches semblent même avoir identifié la molécule coupable : de l’ADN du mycélium accumulé dans le sol…

Découvert chez plusieurs espèces de plantes, la sensibilité à de l’ADN appartenant à son propre organisme, mais détecté dans le milieu extérieur, semble inhiber leur croissance. Comme si ces organismes avaient développé des mécanismes permettant de détecter s’ils sont encerclés par un milieu hostile où leurs cellules sont réduites en charpies et leur ADN éparpillé à la ronde. Mais il est fort à parier que cette hypothèse va être âprement débattue !
Comme quoi, loin d’avoir résolu le mystère des ronds de sorcières en chassant le surnaturel, la communauté des mycologues a généré une énigme scientifique digne de la quadrature du cercle.
Liens :
Rond de sorcières — Wikipédia
Fairy ring - Wikipedia
Fungal Fairy Rings: the science behind the magic
The Eerie Lawn Pest That Comes From Our Obsession With Lawns - Nautilus
Fairy Rings - SciShow
Les anneaux de sorcière : la faute à l'AHX ! Bio-Tremplins
Les ronds de sorcières de champignons - Zoom Nature
Ronds de sorcières ou anneaux des fées : la féérie des champignons - Zoom Nature
Références :
Gregory, P. H. (1982). Fairy rings; free and tethered. Bulletin of the British Mycological Society, 16(2), 161‑163. https://doi.org/10.1016/S0007-1528(82)80013-8
Li, J., Guo, L., Wilson, G. W. T., Cobb, A. B., Wang, K., Liu, L., Zhao, H., & Huang, D. (2022). Assessing soil microbes that drive fairy ring patterns in temperate semiarid grasslands. BMC Ecology and Evolution, 22(1), 130. https://doi.org/10.1186/s12862-022-02082-x
Shantz HL, Piemeisel R (1917) Fungus fairy rings in eastern Colorado and their effects on vegetation. Journal of Agricultural Research 11: 191–245.
Wollaston, W.H. (1807). On fairy-rings. Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 97, 133‑138. https://doi.org/10.1098/rstl.1807.0008
Zotti, M., Bonanomi, G., & Mazzoleni, S. (2025). Fungal fairy rings : History, ecology, dynamics and engineering functions. IMA Fungus, 16, e138320. https://doi.org/10.3897/imafungus.16.138320
