Ce matin, en venant au travail (façon de parler), sur le chemin, j’ai observé les éléments qui m’entouraient dans les rues : les façades, les parcs, les parkings, et j’ai eu la pensée suivante.
Comment saisir, avec mon appareil, quelque chose qui n’a jamais été photographié ?
Dans la prolifération abominable d’images du monde d’aujourd’hui, comment dénicher la pépite d’or, le sujet que je pourrais fixer et pour lequel je pourrais me dire : non, ça, personne ne l’a jamais montré ainsi.
Alors, tout à coup, j’ai eu comme une illumination. En regardant certains détails, je me suis dit : non, ça, c’est tellement banal que jamais personne n’a dû en faire une image.
Jamais ? Alors, j’ai pris quelques clichés, me posant la question à chaque fois : est-ce que quelqu’un a déjà photographié cette chose, cette scène, ce cadre ? De cette manière-là ?
(question que beaucoup de photographes se posent à tout moment)
Puis je me suis dit que ce n’était finalement pas si important, la question de la photographie. Ce qui compte, avant tout, c’est le regard.
Est-ce que quelqu’un a déjà vraiment porté attention à cette haie en bordure de parking ? Est-ce que quelqu’un l’a déjà véritablement vue ? Ou bien cette branche cassée le long du chemin ? Ou encore ces lignes au sol, cette flèche isolée, qui semble vouloir aller quelque part sans jamais réussir à s’élancer vraiment ?
Et cette vitrine brisée depuis un temps immémorial?
Et je me suis dit : tiens, il y a peut-être là un sujet pour un livre. Ces fragments que personne n’a jamais contemplés.
Regarder avec tendresse ces traces brutes, issues de notre environnement urbain, de notre urbanisme, de notre architecture, que presque personne n’a pris la peine d’observer, à part les ingénieurs ou les techniciens qui les ont dessinées, élaborées.
Se demander : qu’ont-ils à nous dire, à me dire? De quels drames ou de quelles amitiés ont-ils été les témoins, voire les complices?
Ceci est purement une pensée d’être contemplatif, qui n’a pas beaucoup d’importance ni de conséquence.
Rien de ce flux d’esprit n’affectera la marche du monde. Les décideurs de guerre qui se croient puissants continueront leurs querelles interfanatiques et sanglantes — pour un jour signer un accord de paix et s’affirmer gentils et bons.
Rien de tout cela ne changera mon destin.
C’est une petite respiration quotidienne — une bulle d’air dans la densité du jour.
Alors oui, en effet, je suis d’humeur plutôt grisâtre, telle la journée d’automne qui se profile à l’horizon. Ce n’est pas grave. Cela prouve que je suis vivant.
En ce mois d’octobre me reviennent à la pensée différents moments de ma vie, différentes personnes également que j’ai connues, dont certaines ont disparu, elles ne sont plus là.
Elles se sont évaporées dans l’immensité de l’infini, du passé : une sorte de puits sans fond où il ne me reste plus que des images fugaces dans ma tête.
Parfois des photos, mais beaucoup plus souvent des souvenirs de certaines conversations.