J’attends avec impatience

Publié le 19 octobre 2025 par Paulo Lobo

J’attends avec impatience le temps où le jour n’en finira plus d’être jour.

J’attends avec impatience la reine des fèves.

J’attends le moment des retrouvailles avec ce moi qui m’échappe.

J’attends les minutes qui s’écoulent éternellement.

Les feuilles mortes qui reviennent à la vie.

Les soirées qui ne veulent pas se coucher.

J’attends le cinéma de minuit.

Les films en noir et blanc et en technicolor

qui m’emportent vers des ailleurs improbables.

J’attends les livres à lire sans peine.

Les livres-fleuves, les livres-mondes,

les lectures qui se prolongent

jusqu’au fond des abysses.

J’attends le moment

où le calendrier reprendra le dessus sur les minutes.

Le retour des carnets de bord.

La journée que je chronique comme un événement historique.

J’attends les mots injustes et puérils.

Les pas monotones dans les rues soupirantes.

Les opinions d’un jeune va-nu-pieds qui n’y connaît rien.

J’attends la pertinence d’une image,

dense, mystérieuse, qui m’épingle malgré moi.

J’attends les bulles dessinées, qui s’éclatent dans la vaporosité de mon esprit.

J’attends les voyages imaginaires

qui réécrivent un monde étrange.

Le récit qui m’emmènera

au plus profond de ses entrailles.

J’attends les rues dans leur infinie sagesse

et leur vide interstellaire à la tombée des réverbères.

Les façades qui cachent bien leur jeu.

Les tickets d’avion qui ne s’acquittent jamais.

Le feu brûlant que j’oserai toucher

avec la paume de ma main.

J’attends les gens dans les rues,

promenant leurs chiens.

Les laisses longues et rêveuses.

Le café-croissant du matin,

qui me remplira d’ardeur.

J’attends le retour du stylo et du cahier plume.

J’attends de pouvoir réécrire les phrases que j’aime,

au détour d’une page de cahier.

J’attends la solitude comme une compagne.

La solitude reine.

La solitude consolatrice.

J’attends les faux amis,

les rencontres-étincelles,

les rencontres-allumettes…

qui s’éteignent.

J’attends la conversation au coin du feu.

Les débats.

Les discussions après un film

que personne n’a aimé, sauf moi.

J’attends le cœur qui chavire.

Le cœur qui bat de nouveau,

parce qu’il sait qu’il va bientôt s’arrêter.

J’attends le cri du cygne et du singe.

Tant qu’il y a du bruit,

il y a du sens.

J’attends le livre que jamais je n’écrirai.

Le livre qui raconte une histoire

qui n’est pas la mienne,

tout en faisant semblant de l’être.

J’attends de crever.

Comme dirait Boris.

Comme ne dirait pas Boris.

J’attends le moment de retourner à l’école.

D’être devant la porte

quand la classe a déjà commencé.

Et d’hésiter à frapper…

parce que je suis en retard.

J’attends le moment

où je retourne chez moi,

parce que je n’ai pas eu le courage de frapper.

J’attends mes deux camarades,

leurs poignets qui me plaquent contre le grillage,

le canif, la menace :

« Avoue-le… avoue-le…

avoue que tu n’es pas celui que tu dis être. »

J’attends le retour du lundi.

Le film du dimanche soir.

Les Charlots. Louis de Funès.

Jean Marais. Gene Kelly.

Natalie Wood. James Dean.

Truffaut. Mastroianni. Monicelli.

Raoul Walsh.

Et tant d’autres.

J’attends le livre consulté fiévreusement.

La bande dessinée,

subrepticement feuilletée dans les étagères du supermarché.

J’attends avec impatience

le moment 

le seul moment vrai 

Le seul, l’unique 

celui de me dire adieu.