
— Je m’ennuie, pire je m’emmerde!
Et la culpabilité, la morgue et l’impertinence qui vont avec donnent de l’outrecuidance à cet ennui. Je ne suis pas dans une chambre médicalisée à Puy Lévèque à observer la vallée du Lot en attendant le prochain repas. Je peux entrer chez Farid sous les hourras et siroter un noir sur le zinc plutôt qu’entrer sans vivas dans le réfectoire slalomant comme mon père entre les tables espacées pour la circulation des fauteuils roulants sans déranger les vieux. Et j’ai beaucoup plus d’aisance dans un appartement du quatorzième que maman dans son caveau Libournais avec vue sur l’Entre Deux Mers.
De l’usage que l’on fait du monde, on s’ennuie ou pas.
Je m’ennuie de la honte d’être encore vif de sorte que je culpabilise de cette autonomie qui me permet de lacer mes chaussures sans m'étaler la gueule sur le parquet.
Ici et maintenant, de jour ou en soirée, l’offre est généreuse. Un coup de RER, je suis dans le Vexxin, un coup de vélo et je suis sur les hauteurs de Saint Cloud, un coup de moto et je suis à Barbizon et ses barbouilleurs, Fontainebleau et ses sentiers. Un coup de bagnole, le kayak sur la galerie et je suis à Boulogne à pagayer sur la Seine autour de l’île Seguin. Le Louvre, Orsay, Marmottant, Jacquemart André ont de quoi satisfaire mon snobisme et si je veux m’encanailler, je traîne à Barbés. Si je tente le diable, je sors du périf Porte de la Chapelle ou traverse le rond point de l’Arc-de-Triomphe à moto. Pour l’exotisme je zone à pied vers Stalingrad du canal Saint Martin au port de l’Arsenal. Un besoin de chaleur humaine? Métro, ligne 13, H: 18.00/19.00! Un besoin d’aventure? Changer à Châtelet! Le soir, les théâtres de la rue de la Gaité sont au bout de la rue Raymond Losserand. La fuite est aussi possible par Montparnasse et le TGV. Les éditeurs parisiens rue Huygens ou à l’Odéon attendent mon manuscrit mais je n’en ferais rien.
Je m’ennuie, certes mais je garde précieusement ce luxe dans l’antichambre de la naïveté.
