Dans les années 1960 et 1970, lorsque j'étais jeune, la timidité était un sujet brûlant en France. Aubanel, une maison d'édition très persuasive, vendait un petit livre bleu, signé d'un certain W.R. Borg (qui je pense est fictif), intitulé « Les lois éternelles du succès », destiné principalement à vaincre la timidité. Ce trait de personnalité a d'ailleurs contribué à de nombreuses occasions manquées, et je me demande pourquoi on en parle si peu aujourd'hui.
Bien sûr, la timidité n'a pas disparu, mais le terme a évolué : on parle désormais d'« anxiété sociale ». Dans les années 1960 et 1970, la timidité désignait un sentiment général de maladresse, de difficulté à s’intégrer socialement et de peur du jugement. Aujourd'hui, les manifestations extrêmes de timidité sont souvent médicalisées sous le terme de « trouble d'anxiété sociale » (ou phobie sociale). Cela est désormais traité en milieu clinique plutôt que dans des ouvrages de développement personnel. Parallèlement, notre société a redéfini l'introversion.
En psychologie populaire, le silence, la réflexion et la préférence pour la solitude ne sont plus ressentis comme des faiblesses à surmonter, mais comme des traits de caractère à part entière, voire même des atouts. La technologie omniprésente a créé des espaces où les personnes timides peuvent s'exprimer plus facilement, souvent sans confrontation directe.
Il est vrai qu'une grande partie de notre communication sociale et professionnelle se déroule désormais par écrit (courriels, messagerie instantanée, réseaux sociaux).
Ces outils permettent aux personnes timides ou anxieuses de prendre le temps de formuler leurs pensées sans la pression d'une réponse immédiate en face à face. De plus, les réseaux sociaux et les communautés en ligne offrent des espaces d'expression libre, à l'abri des regards, permettant de développer une confiance en soi qui aurait été impossible dans les interactions sociales physiques de l'époque de W.R. Borg. Aujourd'hui, l'accent est moins mis sur la capacité à prendre la parole en réunion que sur celle à se mettre en valeur, notamment sur les réseaux sociaux.
Les échecs et les occasions manquées ne sont plus attribués à une simple timidité, mais à un manque d'audace, d'affirmation de soi ou de visibilité. Dans les années 1960 et 1970, la réussite professionnelle était associée à l'image du cadre sûr de lui, dominant la conversation. Aujourd'hui, elle est liée à l'image du leader charismatique capable de maîtriser l'art de la présentation, à l'instar des conférenciers TED. La peur de parler en public, bien que liée à la timidité, est devenue un sujet beaucoup plus populaire et lucratif dans le secteur du développement personnel.
En conclusion, la timidité, autrefois considérée comme un fléau social majeur, a été remplacée dans le discours par l'anxiété sociale ou un manque d'affirmation de soi. La société moderne ne l'a pas éradiquée ; elle a simplement déplacé ce malaise du salon à l'écran, et de l'interaction à la construction de sa marque personnelle.
