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L’art de la joie

Publié le 18 novembre 2025 par Nicolas Esse @nicolasesse

Je viens de terminer L’art de la joie, livre de deuxième main rencontré par hasard. Il y avait ce titre, la tranche si épaisse qui le détachait des autres, la femme en couverture sur la photo, tout ça peut-être, ou juste rien. On ne connait pas le dessein des lignes de la main.
Personne ne m’avait prévenu. J’y suis entré bille en tête et plus inculte que jamais. À bout de souffle après même pas vingt pages, je suis allé me renseigner, savoir d’où sortait cette autrice au nom bizarre, Goliarda Sapienza qui avait écrit cet incipit en boulet de canon. Je ne vais pas entrer dans le détail, simplement dire que la démesure de son histoire personnelle et la destinée de ce livre d’abord paru à compte d’auteur sont également proportionnelles à celles du récit.

Alors, « vous qui entrez, laissez toute espérance », mais ce n’est pas la porte de l’enfer qu’il s’agit de franchir, juste sauter la page de garde et plonger. La tête la première et les quatre fers en l’air. Plonger et se laisser couler au fond des mots, au fond des phrases, sans réfléchir, sans respirer, sans jugement et sans préjugés.
Une seule forme reconnaissable, celle de la vie, irréfléchie, imprévisible, injuste, sale, bordélique, atroce au-delà du dicible et d’une beauté à pleurer. La vie qui va partout, n’importe comment, sans se soucier d’ordre, de morale, de crime ou de châtiment. La vie brute, radicale, sans décor et sans beaux sentiments. Au milieu, Modesta, née en Sicile, le premier janvier 1900, la plus belle, la plus puissante, la plus extraordinaire figure féminine qu’on ait jamais imaginée, rêvée ou retranscrite.
Et la voix de Goliarda Sapienza.
On a depuis beaucoup écrit sur cette voix, antifasciste, anarchiste, avant-gardiste, libre, féministe, tout est juste, tout est vrai. Mais il y a autre chose, le boulversement, la transformation qu’opère en vous la lecture de ce livre venu d’un continent très peu exploré en littérature. Les mots, pourtant, sont toujours les mêmes, mais venus de la main d’une femme, de cette femme, ils vivent différemment, parlent autrement, vous happent, vous déroutent, vous déplacent, vous font pénétrer dans un nouvel ailleurs.
_ Tu dors Modesta ?
_ Non
_ Tu penses ?
_ Oui
_ Raconte Modesta, Raconte.

L’art joie

L’art de la joie, l’histoire du livre et de son autrice, à retrouver sur cette page publiée à l’occasion du centenaire de sa naissance en 2024.

Goliarda Sapienza, L’Art de la Joie, traduction de Nathalie Castagné, Éditions Le Tripode


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