On connaît l'expression pour Tout l'or du monde, qui signifie à aucun prix. Eh bien, en l'occurrence, ceux qui aiment l'économie et la littérature ont intérêt - le vilain mot - à lire le livre d'Anne de Guigné. Pourquoi? Parce qu'il concilie ces deux domaines de l'esprit, comme le sous-titre l'explicite:
De l'Antiquité à nos jours, les écrivains racontent l'économie.
Les écrivains que l'auteure a choisi d'étudier sous cet angle ne sont pas des économistes. Chacun d'eux, dit-elle dans l'introduction, avec ses préoccupations et son histoire, porte dans son oeuvre un désir d'universalité:
Cette ambition l'incite alors à considérer l'activité économique non pas pour ses caractéristiques propres mais pour sa capacité à modeler la société, à en révéler les croyances. Pour le pire et le meilleur, l'économie va en effet s'adapter aux coutumes humaines et les transformer.
L'économie, au sens étymologique, signifie administration de la maison. Aussi l'auteure est-elle fondée à exercer la souplesse sémantique dont elle fait montre en parlant d'économie des premiers temps à aujourd'hui.
Anne de Guigné suit donc la chronologie, ce qui est cohérent avec l'évolution de l'économie dans les sociétés humaines occidentales, et analyse, sous ce point de vue de l'économie, les oeuvres suivantes, auxquelles elle a consacré une lecture intensive durant une année:
De l'Antiquité:
- La Genèse
- L'Iliade et l'Odyssée, d'Homère
- La Guerre du Péloponnèse de Thucydide
- Le Satyricon de Pétrone
Des temps médiévaux:
- Tristan et Iseult
- Le conte du Graal de Chrétien de Troyes
- Le Roman de Renart
- Cent ballades d'amant et de dame de Christine de Pizan
Des temps modernes:
- Le Marchand de Venise de William Shakespeare
- Don Quichotte de Miguel de Cervantes
- La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette
- Fables de La Fontaine
- Julie ou la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau
- Histoire de ma vie de Giacomo Casanova
Du XIXe siècle:
- Les Affinités électives de Johann Wolfgang von Goethe
- Orgueil et préjugés de Jane Austen
- Lucien Leuwen de Stendhal
- Illusions perdues d'Honoré de Balzac
- Temps difficiles de Charles Dickens
- Crime et Châtiment de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski
- Au bonheur des dames d'Émile Zola
- Les Buddenbrook de Thomas Mann
- Le Temps de l'innocence d'Edith Wharton
Du XXe siècle:
- Martin Eden de Jack London
- Le château de Franz Kafka
- Alexis ou le traité du vain combat de Marguerite Yourcenar
- Requiem d'Anna Akhmatova
- La source vive d'Ayn Randt
- Les grandes familles de Maurice Druon
- Les Choses de Georges Perec
- Istanbul d'Ohran Pamuk
- Le Bûcher des vanités de Tom Wolfe
Du XXIe siècle:
- Plateforme de Michel Houellebecq
- Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie
- Le Coeur de l'Angleterre de Jonathan Coe
- La Maison en pain d'épices de Jennifer Egan
- Humus de Gaspard Koenig
- Cabane d'Abel Quentin
Pourquoi citer tous les livres que l'auteure a lus pendant une année? Pour bien montrer l'effort fourni par elle pour explorer le thème de l'économie sous-jacent à toutes ces oeuvres. Leur lecture n'aura pas été vaine pour elle et elle a été grâce à eux poussée à questionner [ses] a priori sur l'économie.
Ce qui frappe en lisant son livre, sans doute parce qu'elle aime la littérature, c'est justement que la critique sur leur époque et la sensibilité très diverses de ces écrivains a été pour elle un enrichissement et qu'ils lui ont confirmé qu'ils étaient souvent plus nuancés dans leurs propos que la réputation qui leur est faite.
Le monde est en effet complexe. Les étiquettes collées à tel ou tel écrivain peuvent être trompeuses. Leurs interrogations doivent conduire à s'interroger à son tour, par exemple, sur l'argent, l'amour, le travail, l'entreprise, la technologie. Et à ne jamais confondre les moyens, qui ne sont bons que suivant l'usage qui en est fait, avec les fins qui devraient toujours être insignes.
Francis Richard
Tout l'or du monde, Anne de Guigné, 272 pages, Les Presses de la Cité
