Je réfléchis à voix haute. Je cherche, sur les étagères de ma boîte crânienne, les idées poussiéreuses, anciennes, enfouies, qui pourraient me servir pour ma chronique régulière. Premier point : je ressens une distance de plus en plus accentuée avec la chair des mots. Une densité affaiblie des phrases. Il me semble que le flux refuse de couler comme avant. Mais ce n’est peut-être qu’une perception, une impression, une suggestion — ou la trace d’une fatigue endormie qui s’attarde.
Je me fais un peu de violence au regard de mon regard qui s’assouplit. Je fais silence et je regarde les silences. Je fais silence et je regarde les secondes tomber, comme de petites braises qui s’éteignent avant même d’avoir brûlé.
Je me détache de l’emprise de l’horloge et je ne ressens plus les palpitations de mon cœur. Le temps devient flou, presque liquide, comme une rivière qui ne sait plus dans quel sens elle doit s’écouler.
Alors, est-il temps de rejoindre la foule ? Je ne pense pas.
Combien de continents y a-t-il sur cette planète ? Combien de pays ? Combien de montagnes ? Combien de lacs ? Combien d’océans ? Combien de rivières ? Combien de villes ? Combien de routes ?
Tout cela reste à découvrir.
Dans tes rêves!
Je ferme les yeux et j’imagine le soleil se lever sur des territoires inconnus. À la fois inconnus et familiers, comme si je reconnaissais des lieux que je n’ai pourtant jamais vus.
Je revois des images de films. Je revois des passages de romans. Je revois des photos.
Où puis-je aller tant que j’en ai la force ? Qui puis-je rencontrer ? Quels seront les sentiers ? Non pas ceux de la gloire, mais ceux de la modestie, du simple fait de me résigner, d’accepter la lente séquence temporelle.
Jamais je ne pourrai voyager dans le temps, ni en arrière, ni en avant.
Pourquoi le moment que je vis actuellement me semble-t-il le plus réel d’entre tous ? Tandis que ce que j’ai vécu autrefois s’évanouit dans les fins fonds de ma savane intérieure, de mon esprit déconfit.
Les souvenirs deviennent des silhouettes, des ombres portées, des murmures à peine audibles.
Pourquoi est-ce que je n’y arrive plus ? Pourquoi est-ce que je n’arrive plus à inventer un héros que tout le monde pourrait aimer ? Pourquoi est-ce que je ne peux plus dire : il s’appelle comme ça, il aime cette fille ? Mais ce n’est pas facile.
Il y aura plein de péripéties, plein de rebondissements, mais au final, ils se rencontreront et seront heureux à tout jamais. Comme dans ces vieux contes que l’on raconte pour se rassurer.
Un film en noir et blanc ou un film en couleur ? Et quelle serait la bande musicale, la soundtrack ? Quelque chose de minimaliste ou de lyrique ? Un piano solitaire ou une grande vague orchestrale ?
Les jours de décembre s’épuisent rapidement. La nuit porte une robe longue qui cache bien des choses.
Les mots tombent comme des notes de musique jouées sur le clavier d’un piano. Et un grand silence se dépose, révélant beaucoup de choses : une longue plongée en apnée, la lumière qui s’éteint, les amis qui se dissolvent dans les aléas du calendrier.
La conscience de ne plus avoir conscience, la peur de voir le château s’écrouler, l’imbécilité de ceux qui nous gouvernent, trop occupés à maquiller le réel plutôt qu’à le regarder en face.
Je ne fais plus de phrases, puisqu’il me semble que quelques mots-clés, quelques petites notes suffisent pour raconter la monotonie de l’existence. Il n’y a pas d’héroïsme. Il n’y a pas… il n’y a pas d’autre occupation.
Alors, ça fait tout de même beaucoup de mots.
Je n’ai jamais fait de moto, pourtant.
Même si le métro de Lisbonne me subjuguait.
Je ne vois plus les noms des semaines : les jours se ressemblent tous comme deux gouttes d’eau.
Comme deux beaux chapeaux.
Je baille parce qu’il est temps de se coucher. Il est temps de dire adieu à tous ceux qui n’ont pas voulu dire adieu.
Il est temps d’irradier de la générosité, comme une ruche qui voudrait encore chauffer l’air.
Il est temps de ne pas se prendre trop au sérieux. Il faut faire les zouaves tant qu’on peut, tant qu’il reste quelques personnes pour rire autour de nous — c’est peut-être la seule sagesse encore possible.