Transcription de la chronique pour la 533ème émission de Podcast Science, dont la thématique était les histoires de cerveaux.
Cela se fait rare sur Podcast Science, mais il arrive que nous proposions non pas des courtes chroniques pour les émissions thématiques (comme mes récentes chroniques sur le carré ou le cercle), mais des dossiers complets sur un sujet de fond. À vrai dire, pour ce dossier sur les histoires du cerveau, j'ai recyclé un texte que j'ai proposé en script pour la chaîne de Nota Bene, et la chronique que je réservais à la base pour l'émission sur le cercle, pour évoquer celui qu'a découvert le neurologue Thomas Willis. Je consigne donc ici l'introduction de l'émission qui reprends la vidéo de Nota Bene avec quelques détails et images en plus et la partie sur Thomas Willis, issue de ma lecture de l'ouvrage Soul Made Flash de Carl Zimmer.
Si vous deviez choisir un émoji pour dire que vous avez eu une révélation intellectuelle, il est probable que vous tapiez le mot clé “exploding brain”.

Et pourtant des vestiges de différentes langues, dont la nôtre, nous montrent que le cerveau n’a pas toujours été considéré comme le siège de la pensée. Au contraire, on pensait que c’était plutôt le cœur, d’où l’expression française d’”apprendre par coeur” ou le verbe anglais “to record” qui signifie mémoriser. Du coup, si cette information vous a surpris, est-ce que ça veut dire que vous auriez choisi l’emoji cœur brisé pour y réagir ?

Cette opposition cerveau/cœur remonte à une polémique antique qui a opposé le clan des défenseurs du cerveau et celui des défenseurs du cœur comme organe de la pensée. Et on peut retrouver les sources du débat dès l’antiquité égyptienne. En effet, dans le premier papyrus médical vers 2800 av. J.-C., Imhotep, le ministre-architecte-médecin du roi Djoser Ier, semble découvrir le rôle du cerveau dans l’intelligence, car il y décrit déjà la relation existant entre une blessure à la tempe et un trouble du langage. Puis dans le célèbre papyrus Edwin Smith âgé de 1500 ans avant notre ère, et considéré comme le plus vieux traité chirurgical jamais découvert, on peut y lire trois symboles

... qui pourraient se traduire comme “moelle du crâne”.

Le papyrus Edwin Smith répertorie 48 cas de blessures de guerre traumatiques et l’un des cas décrit un blessé au crâne ouvert qui ressent des pulsations et palpitations quand des doigts lui tâtent la surface d’un cerveau exposé à l’air libre. Et quand l’auteur assiste à un arrachement de la boîte crânienne, il détaille son apparence en évoquant des «rides semblables à celles qui se forment sur le cuivre en fusion». On y déchiffre aussi les descriptions des sutures crâniennes, méninges et liquide cérébro-spinal.
Cependant, le cerveau n’est pas un organe crucial pour les égyptiens qui prêtent plutôt au cœur l’honneur d’accueillir l’âme, et le laissent dans les momies.


D’ailleurs, lors des préparations des momies, le cerveau est retiré sans cérémonie, aspiré et retiré à la cuiller depuis le nez, et il ne finit même pas dans les vases canopes.

Le crâne est rempli de tissu après le curetage.
Ensuite, en grèce antique, ce débat va opposer ceux qui comme Alcméon de Crotone ou Hippocrate de Cos sont cerebrocentristes (c’est à dire qui considèrent que le cerveau est l’organe central de la pensée) et ceux comme Empédocle d’Agrigente et Aristote, les cardiocentristes, qui ne voient dans cet organe froid et humide, qu’un circuit de refroidissement de l’organisme pour baisser la température sanguine et entraîner le sommeil. Pour le plaisir, quelques citations :

Thalès de Milet (v. 624-v. 548) : l’esprit se trouve dans le cerveau, qui représente l’unité de la conscience et sert de médiateur avec le corps.

Empédocle d’Agrigente (485-435) : le cœur est le siège des sentiments et de l’intelligence.

Démocrite d’Abdère (v. 470-v. 370) : Le cerveau surveille comme une sentinelle l’extrémité supérieure, citadelle du corps, confiée à sa garde protectrice. (...) Le cerveau, gardien de la pensée ou de l’intelligence (contient les principaux) liens de l’âme. En d’autres termes, la pensée et la raison siègent donc dans le cerveau, mais l’émotion dans le cœur.

Platon (428-348) : la raison siège dans le cerveau, l’ire dans le cœur et la cupidité dans le foie.

Hippocrate de Cos (460-359), dans le chapitre 14 -de son traité De la maladie sacrée : « si l'encéphale est irrité, l’intelligence se dérange, le cerveau est pris de spasmes et convulse le corps tout entier (...) Cette affection se nomme apoplexie». “c’est du cerveau et du cerveau uniquement que proviennent nos plaisirs, nos joies, nos rires et nos railleries, aussi bien que nos peines, nos douleurs, nos chagrins et nos larmes. C’est par là (...) que nous pensons surtout, que nous connaissons, nous voyons, nous entendons et nous distinguons le laid du beau, le mal du bien, l’agréable du désagréable (...). C’est par le même organe que nous devenons fou ou délirant et que les peurs et les terreurs nous assaillent (...) et les rêves et les errances inopportunes (...) : toutes ces choses que nous endurons quand notre cerveau n’est pas sain, mais devient anormalement chaud, froid, humide ou sec, ou encore souffre de toute affection contre nature. (...) Je considère donc que le cerveau exerce le plus grand pouvoir sur l’humain ».

Et puis est arrivé Claude Galien de Pergame (v.131-v.200), médecin grec ayant soigné plusieurs empereurs romains.

Après avoir étudié les lésions de plusieurs gladiateurs, il est convaincu du rôle primordial du cerveau dans la pensée et imagine que les nerfs sont des tubes creux dans lesquels circule une sorte de fluide, le pneuma psychique, qui navigue notamment dans les ventricules de l’encéphale.

Mais donc selon lui, le cerveau était une pompe à pneuma psychique. C’est loin d’être une description neurologique satisfaisante. Pourtant son influence va être colossale sur la médecine médiévale, notamment parce que ses idées semblent compatibles avec le concept d’âme dans l’ancien testament. Il décrira notamment comment une structure appelée le réseau admirable, rete mirabile, distille le sang humain pour le convertir en pneuma psychique qui est pompé dans le cerveau (voilà à quoi il ressemble chez un mouton)

Il est aussi connu aussi pour avoir montré qu’on pouvait arrêter le rugissement d’un lion en pinçant leur nerfs laryngés. En effet, chaque jour il effectue une dissection d’animal. Peut être trop, parce qu’il faudra des siècles avant que des docteurs s’aperçoivent que la description des organes de Galien décrivaient ceux d’animaux, et non des organes humains… Tous ces grands savants étaient donc limités par la connaissance qu’ils avaient de l’anatomie humaine. Il a fallu attendre la démocratisation des dissections pour trancher le débat, si vous me permettez l’expression. Le moyen-âge n’apportera que très peu de progrès en anatomie, notamment par le frein de l’église concernant les dissections. Mais à vrai dire, les raisons pour lesquelles on ne pratiquait plus l’étude des cadavres étaient diverses : religieuse mais aussi philosophique, technique, éthique et prophylactique.

En gros, on ne pensait pas que les dissections étaient utiles, on savait pas bien faire, on considérait que c’était un sacrilège et surtout on risquait des infections mortelles. Les rares infractions à ces règles permettaient de constater que le cerveau avait l’apparence de tripes, et confirmaient l’opinion qu’il ne pouvait en aucun cas servir à contenir l’entendement humain.
On peut cependant noter que certains savants comme Némésius, évêque syrien d’Emèse, et St Augustin (354-430) ont réhabilités certaines idées de Galien, notamment en conférant aux ventricules du cerveau les rôles de gestion de l’imagination, de la raison et de la mémoire.

Dans le détail, il y a trois ventricules. Le premier est appelé fantasia, sensus communis et imaginativa. Il est relié par le vermis (vermisseau) au ventricule moyen appelé cogitation et estimation. Le ventricule postérieur est appelé memorativa (mémoire). Les sens du goût (gustus) et de l'odorat (olfactus) se projettent dans le sensus communis.

Le moment où vraiment les représentations du cerveau commencent à ressembler à quelque chose de reconnaissable, c’est à la Renaissance, notamment à travers les dessins d’un certain Léonard de Vinci qui semble avoir pratiqué des dissections clandestines. Dans une études de la tête, du cerveau et des nerfs crâniens (vers 1493) Léonard présente une coupe sagittale de la tête répertoriant les couches et représentant schématiquement trois ventricules reliés entre eux sous forme de 3 citrons mis à la queue leu leu. À gauche, il montre les couches d'un oignon.

Autant dire que ce dessin précédait probablement les dissections clandestines qu’il effectuera plus tard, voire les expériences qu’il mènera.

Dans ses carnets, on trouve des instructions sur la manière dont il a réalisé des injections de cire chaude pour réaliser des moulages des ventricules internes du cerveau. Il y a même une équipe de recherche actuelle qui a retenté l’expérience avec succès pour réaliser un moulage interne de cerveau de vache.

Mais Léonard ne publie pas ses dessins et, de fait, ses œuvres n’ont été découvertes qu’à titre posthume.
C’est donc André Vésale qui aura le véritable mérite de révéler au monde l’apparence du cerveau grâce à son De humani corporis fabrica (publié en 1543), un pavé anatomique de 700 pages, illustré par 323 planches dessinées par Jan-Stefan von Calcar.


Ces splendides planches corrigeront les erreurs de Galien qui avait extrapolé des dissections réalisées sur des animaux : l'utérus décrit par Galien appartenait à une chienne, ses reins à un cochon, son cerveau à une vache ou à une chèvre. Au total, Vésale a trouvé deux cents éléments anatomiques animaux dans le corps humain de Galien. Il chercha le réseau admirable qui était censé transformer les esprits vitaux du sang en pneuma psychique, mais n'en trouva aucun chez les humains (Galien les avait observés chez un bœuf). Mais pour réaliser ses propres observations, Vésale n’hésita pas à aller se faufiler dans des cimetières ou sur des gibets pour obtenir des cadavres qu’il devait déterrer ou disputer aux oiseaux de proie… Gros défaut de ses travaux : Vésale disséquait le cerveau tranche par tranche, sans chercher à préserver les tissus, ce qui fait que bien souvent, les couches les plus profondes étaient complètement pourries lorsqu’il cherchait à les décrire. Enfin Vésale ne dit pas que le cerveau est le siège de la pensée.

Il y a cependant un individu qui a véritablement été le papa de la neurologie et qui est d'ailleurs l'objet principal du livre de Carl Zimmer, Soul Made Flesh : Thomas Willis (né en 1621, et mort en 1675). L'époque est donc celle de Charles Ier, et d'Oliver Cromwell qui était un membre du Parlement anglais. Thomas Willis qui vivait à Oxford, était royaliste à cette époque, et notamment assez associé au catholicisme. En tout cas, il était plus près du catholicisme que du protestantisme pur qui était en train de se déveloper en Angleterre. Charles Ier, s'est mis à dos le Parlement et notamment Oliver Cromwell qui a mené une guerre contre lui. Le Parlement anglais piloté par Oliver Cromwell a donc fait la guerre à son propre roi : une guerre civile ! C'est le contexte durant lequel Thomas Willis a commencé à travailler dans l'université d'Oxford.
[Pour vous spoiler un peu ce qui se passe durant cette période, c'est Oliver Cromwell qui va gagner et il va obtenir qu'on coupe la tête du roi. Donc, il y a eu une exécution d'un roi en Angleterre. Il y a eu un moment où il y a eu une sorte de république qui n'a pas duré très longtemps. Le prince Charles II, lui, s'était barré en France. Il avait vu le vent tourner donc il est revenu un petit peu plus tard.]
C'est une période de bouleversement social en Angleterre comme on n'en a jamais vu. Et notamment à Oxford qui était une université royaliste partisante du roi, et où le roi Charles Ier s'était caché.
Pourtant, cette période de trouble est probablement la plus cruciale pour la naissance de la méthode scientifique. En gros, si Charles Ier n'était pas mort, peut-être que nous n'aurions jamais bénéficié de la découverte du rôle du cerveau dans la pensée aussi tôt, parce qu'en fait, tous les événements politiques qui sont décrits par Carl Zimmer semblent avoir permis l'émancipation de certains chercheurs et surtout, la cohabitation de personnes qui ne se respectaient pas d'un point de vue religieux ou politique mais qui étaient contraints de se retrouver dans la même université pour travailler ensemble, notamment à Oxford. Pourtant, ensemble, ils ont révolutionné la médecine humaine. Ils ont en effet constitué un groupe de savants qui a été très rapidement renommé le Cercle d'Oxford où on pouvait trouver par exemple, Robert Boyle, une personne très pieuse, qui passait sa vie à se demander s'il était en train de pécher. Quand il réalisait des expériences, il était d'une prudence absolue pour ne pas dévoyer la description de la nature qu'a créée Dieu. Etant aussi très riche, c'est lui qui a financé l'essentiel des expériences qui étaient réalisées par le Cercle d'Oxford. Ainsi, il semble que c'est un sentiment religieux qui a imposé la rigueur scientifique pour ce Cercle de savants. Ce sentiment religieux ne l'étouffait par contre pas lorsqu'il envisageait des expériences animales. Robert Boyle, a ainsi inventé une pompe à vide qui lui a permis de comprendre que l'air était nécessaire... à la survide d'oiseaux...
Parmi eux, il y a aussi Robert Hooke, connu pour son ouvrage Micrographia qui décrit le premier, à l'aide d'un morceau de liège observé au microscope, les cellules. À nouveau, il s'agit aussi d'un savant assez religieux qui se demandait comment il était possible de douter de l'existence d'un créateur lorsqu'on observe les poils minutieux présents sur les pattes d'une puce.
Il y avait enfin Christopher Wren qui était un architecte et qui a réalisé tous les dessins des descriptions des dissections de Thomas Willis.
Dans ce cercle d'Oxford, se cotoyaient des catholiques, des protestants, des royalistes, des parlementaires, des personnes qui appartenaient à des sectes comme celle des Quakers... Et pourtant, c'est le moment où est né la communauté scientifique britannique. En effet, avec le retour de Charles II au pouvoir, le cercle d'Oxford est devenu une structure appelée la Société Royale de Londres pour l'amélioration des connaissances naturelles. La devise de la Royal Society, c'est nullius in verba, ne croire personne sur parole. En gros, la Royal Society affirme sa volonté d'établir la vérité dans le domaine scientifique sans recourir à l'autorité d'une personne et en se fondant exclusivement sur l'expérience. Alors que les membres de cette société comptait parmi eux des personnes qui étaient très religieuses, elles ont, pour la plupart, complètement pulvérisé les écrits d'Aristote, les écrits de Galien qui étaient tenus comme une vérité absolue par l'Église.
Cette Royal Society qui existe encore, a été dirigée par des présidents très célèbres. Il y a par exemple, Isaac Newton qui a présenté à la Société sa théorie de l'optique peu avant d'en devenir le président.
Pour en revenir à Thomas Willis, c'est lui qui a créé le terme neurologia, c'est-à-dire la neurologie. Il est l'auteur de plusieurs découvertes, notamment en neuroanatomie et en neuropathologie. Il a fait de très nombreuses autopsies et des découvertes incroyables. Ces autopsies, 20 sont analysées dans ses livres et notamment dans un célèbre ouvrage qui s'appelle Cerebri Anatomi où Willis va décrire et classer les nerfs crâniens en se fondant essentiellement sur les orifices par lesquels ils sortent du crâne. Thomas Willis va y faire une description des différentes parties de l'encéphale : le cortex, le cervelet, le striatum, le thalamus optique, le pons, les corps mammilaires, le corps caleux, etc. Les dessins sont d'une qualité folle parce qu'ils ont été réalisés par un architecte mais les dissections, on s'imagine bien, étaient d'une qualité tout aussi folle.




Comment il y arrive ? Notamment parce que pour les étudier, il stocke les cerveaux et les tissus dans ce qu'il appelle de l'esprit de vin (de la gnôle donc...). Ca permet d'obtenir des tissus qui se conservent mieux et qui peuvent être étudiées en partie au microscope, en faisant des fines lamelles. C'était beaucoup mieux que ce que Vésale pouvaient réaliser. Ces dissections ont cependant bénéficié d'expériences assez tragiques réalisées sur des animaux vivants... C'est à croire qu'un cercle spécial de l'Enfer est prévu pour les membres du cercle d'Oxford...
À ce propos, il faut évoquer l'ouvrage de Thomas Willis intitulé "Sur l'âme des brutes" (The Soul of Brutes) où il va décrire de manière indifférente les dissections qu'il a mené sur des animaux pour pouvoir révéler leur système nerveux, et dans le même ouvrage, des personnes qu'il traite d'idiots ou de stupides. À cette époque-là, visiblement, ce n'était pas une insulte. C'était une description médicale relative à l'apparence de leur cerveau pour essayer de tisser un lien entre les symptômes qu'ils voyaient chez ces individus-là et l'apparence de la structure cérébrale observée chez d'autres animaux.
L'ouvrage de Carl Zimmer a été pour moi une révélation car je ne connaissais Thomas Willis uniquement à travers un mot qui s'appelle le Cercle de Willis (raison pour laquelle je pensais utiliser cet ouvrage pour ma chronique sur l'émission de Podcast Science sur le Cercle).
Le Cercle de Willis, en fait, j'en avais déjà un tout petit peu parlé dans une émission de Podcast Science. C'était une émission où je vous parlais d'éco-physiologie et le fait qu'il y a certaines structures dans le corps humain ou des animaux qui permettent de refroidir certaines parties spécifiques du corps. En l'occurrence, il y a chez la plupart des bovins (mais aussi des canidés, des carnivores, des chèvres, etc.) une structure qu'on appelle le réseau admirable et qui est connectée avec leur museau pour permettre de refroidir le sang qui va dans le cerveau. Et ça, c'est étroitement associé à une structure de la circulation sanguine, qui est juste sous le cerveau et qui est connue sous le nom du Cercle de Willis ou Polygone de Willis.
Ce sont des artères qui vont dans le cerveau, mais qui, à sa base réalisent des anastomoses, c'est-à-dire des ponts les unes avec les autres. Ainsi quatre grosses artères qui rentrent dans le cerveau sont liées à cet endroit-là comme si vous aviez un cercle sanguin qui pouvait naviguer d'une artère à l'autre. Willis, comme il a été l'élève de William Harvey, découvreur de la circulation sanguine, a bénéficié de cet enseignement pour pouvoir interpréter certaines choses qu'il observait chez les patients. Un d'entre eux souffrait à un moment de très fortes migraines. Quelques années plus tard, ce patient est décédé, et Willis a obtenu le droit de le disséquer. Il s'est rendu alors compte, en disséquant son cerveau, qu'au niveau du cercle d'anastomose des artères qui vont dans le cerveau, il y en avait une qui était complètement bouchée. Et les trois autres étaient devenues énormes. Après réalisation de plusieurs expériences assez atroces sur des chiens, il se rend compte que le cercle qu'il a décrit est fondamental pour s'assurer que le cerveau soit irrigué même si une des quatre artères se bouche. C'est aussi cette anostomose qui, en partie, permet le rafraîchissement du sang qui va arriver au cerveau, même si c'est beaucoup moins efficace quand ce n'est pas associé avec le réseau admirable qu'on peut observer chez les chiens, les bœufs, etc. où le cercle de willis baigne dans ce qu'on appelle un sinus véineux. Je cite la partie du billet sur SSAFT concernant la description de cette adaptation physiologique :
[L]e passage du réseau admirable artériel à l'intérieur du sinus caverneux ressemble à ça:
Le réseau admirable, composé de nombreuses petites artères, offre une plus grande surface d'échange de chaleur à l'intérieur du sinus caverneux ce qui aura pour effet de refroidir plus efficacement le sang artériel en direction du cerveau:
L'échange de chaleur se faisant dans le sens du chaud vers le froid, on comprend aussi que le sang veineux se réchauffe au contact du sang artériel et donc n'est pas trop froid lorsqu'il parvient au cœur. On parle alors de système d'échange de chaleur à contre-courant.
Cette structure est réduite chez les singes et chez les humains. Voilà à quoi ressemble une comparaison chez un singe et chez une gazelle.
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À nouveau, à l'instar de la naissance du cercle d'Oxford, on peut être stupéfait du caractère providentiel de cette découverte puisque s'il n'y avait pas eu la découverte de la circulation sanguine par son directeur de Thèse dans les 10 ans qui précédaient cette observation, Thomas Willis n'aurait probablement rien compris du cercle qu'il avait sous les yeux.
Liens :
Carl Zimmer (2005) https://carlzimmer.com/books/soul-made-flesh
André Vésale (1543) De humani corporis fabrica
Robert Hooke (1665) Micrographia
Thomas Willis (1664) Cerebri anatome
Références :
Gandolfo, G., & Deschaux, O. (2010). Histoire de la découverte du cerveau et de l’évolution des méthodes d’exploration. Biologie Géologie, 2‑2010, 127. https://hal.univ-cotedazur.fr/hal-01090539

