Comment nous apprenons et pourquoi l’esprit dévie parfois de sa trajectoire, c’est ce que peut nous apprendre ce nouveau modèle informatique, développé par une équipe de neuroscientifiques de l’Université Tufts (Boston). Comparé à un « simulateur de vol » pour le cerveau, ce modèle, documenté dans la revue Nature Communications, permet de comprendre comment le cerveau s’adapte et échoue, et ouvre ainsi la voie à des traitements de précision des troubles mentaux.
Chaque jour, notre cerveau prend des milliers de décisions, et souvent dans l’incertitude.
La plupart du temps, nous devinons juste, dans les autres cas, nous apprenons.
Cependant quand cette fonction cognitive dysfonctionne, les comportements, comme les pensées peuvent dérailler. Ce phénomène est présent dans de nombreux troubles psychiatriques dont le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) à la schizophrénie. Dans ce cas, le cerveau évalue mal la quantité de preuves à recueillir avant d’agir, ou ne parvient pas à s’adapter en fonction de nouvelles donnes.
« L’incertitude est inscrite dans le cerveau »,
explique cependant l’un des auteurs principaux, le Dr Michael Halassa, professeur de neurosciences à l’Université Tufts : « Imaginez des groupes de neurones votant – certains optimistes, d’autres pessimistes. Vos décisions reflètent la moyenne. » Lorsque cet équilibre est faussé, le cerveau peut mal interpréter le monde : il peut attribuer trop de sens à des événements aléatoires, comme dans la schizophrénie, ou s’enfermer dans des schémas rigides, comme dans le trouble obsessionnel-compulsif (TOC).
Comprendre ces dysfonctionnements est depuis longtemps un défi pour les neuroscientifiques, qui peinent à suivre les processus sous-jacents, liés à l’activité de cellules individuelles. En effet, l’IRMf, l’outil utilisé pour étudier l’activité cérébrale chez l’humain, suit le flux sanguin, et non l’activité électrique des cellules cérébrales individuelles. Combler cette lacune nécessite de combiner les connaissances issues d’études sur cellules individuelles chez l’animal, d’imagerie cérébrale humaine et de comportement
L’étude aboutit au développement de CogLinks, un nouveau type de modèle informatique, basé sur la biologie réelle, qui permet aujourd’hui aux scientifiques de simuler la façon dont les circuits cérébraux prennent des décisions et s’adaptent lorsque les règles changent.
- Le modèle intègre le réalisme biologique dans sa conception, reproduisant la manière dont les cellules cérébrales réelles sont connectées et codant la manière dont elles attribuent de la valeur à des observations souvent ambiguës et incomplètes de l’environnement extérieur. Contrairement à de nombreux systèmes d’intelligence artificielle, CogLinks montre aux chercheurs comment les neurones virtuels relient structure et fonction. Ainsi, les scientifiques peuvent cartographier la manière dont ce cerveau virtuel apprend de l’expérience et s’adapte aux nouvelles informations.
- Tel un simulateur de vol cérébral, CogLinks permet de tester ce qui se passe lorsque des circuits décisionnels clés dévient de leur trajectoire :
- lorsque les chercheurs affaiblissent la connexion virtuelle entre 2 régions cérébrales – le cortex préfrontal et le thalamus médiodorsal – le système passe, par défaut, à un apprentissage plus lent, basé sur les habitudes. Ce résultat suggère que cette voie est essentielle à l’adaptabilité ;
- une étude complémentaire par IRMf, menée auprès de volontaires invités à jouer à un jeu dont les règles changeaient de manière inattendue, confirme que le cortex préfrontal gère la planification et le striatum, une région centrale et profonde du cerveau et guide les habitudes. Cependant,
-
le thalamus médiodorsal s’active lorsque les joueurs réalisent que les règles ont changé
et les participants ajustent alors leur stratégie ;
- l’imagerie confirme donc les prédictions du modèle : le thalamus médiodorsal agit comme un commutateur reliant les deux principaux systèmes d’apprentissage du cerveau – le système flexible et le système habituel –, aidant le cerveau à
prendre en compte les changements de contexte et à adapter ses stratégies en conséquence.
L’étude jette ainsi les bases d’un nouveau type de
« psychiatrie algorithmique »,
dans lequel les modèles informatiques contribuent à révéler comment les maladies mentales émergent de modifications des circuits cérébraux, en identifiant des marqueurs biologiques permettant de mieux cibler les traitements.
Source: Nature Communications 16 Oct, 2025 DOI: 10.1038/s41467-025-63994-y The neural basis for uncertainty processing in hierarchical decision making
Équipe de rédaction Santélog Déc 18, 2025Admin
