Magazine

Analyse : Voeux de Noël à la Trump

Publié le 26 décembre 2025 par Suisseblog @suisseblog

Analyse du texte de Donald J. Trump

Traduction en français du pamphlet trumpiste

“Joyeux Noël à tous, y compris à la racaille de la gauche radicale qui fait tout son possible pour détruire notre pays, mais qui échoue lamentablement. Nous n’avons plus de frontières ouvertes, d’hommes dans les sports féminins, de transgenre pour tout le monde, ou d’application de la loi faible.

Ce que nous avons, c’est un marché boursier record et des 401K [plans d’épargne retraite], les chiffres de criminalité les plus bas depuis des décennies, pas d’inflation, et hier, un PIB de 4,3%, deux points de mieux que prévu. Les tarifs douaniers nous ont apporté des milliers de milliards de dollars en croissance et prospérité, et la sécurité nationale la plus forte que nous ayons jamais eue.

Nous sommes à nouveau respectés, peut-être comme jamais auparavant. Que Dieu bénisse l’Amérique !!!”

Analyse Voeux Noël TrumpTweet original de Donald Trump Jr pour partager ces vœux de Noël

Analyse de l’auteur

Tendance politique

Conservatrice populiste de droite, avec des positions clairement affichées :

  • Opposition ferme à l’immigration non contrôlée (“frontières ouvertes”)
  • Positions conservatrices sur les questions de genre et identité
  • Nationalisme économique (protectionnisme via tarifs douaniers)
  • Accent sur “la loi et l’ordre”

Caractère apparent

  • Combatif et polarisant : utilise un langage agressif (“racaille”) même dans un message de Noël
  • Confiant, voire triomphaliste : présente une vision exclusivement positive de ses résultats
  • Manichéen : division nette entre “nous” (son camp) et “eux” (adversaires présentés comme destructeurs)
  • Peu conciliant : même dans un message festif, maintient un ton d’affrontement politique

Vision du monde

Nationaliste et traditionaliste : l’auteur défend une vision de l’Amérique fondée sur des valeurs traditionnelles, des frontières fortes et une identité nationale affirmée. Il perçoit certaines évolutions sociales contemporaines (droits des personnes transgenres, politiques d’immigration ouvertes) comme des menaces existentielles pour le pays.

Économie performative : met en avant des indicateurs économiques comme preuves de succès, avec une emphase particulière sur le marché boursier et la croissance. La prospérité économique est présentée comme validation de ses politiques.

Vision transactionnelle des relations internationales : l’idée que le “respect” international se mesure à la force et à l’affirmation de la puissance nationale.

Note critique

Le texte présente plusieurs affirmations factuelles contestables ou simplifiées, typiques d’un discours politique partisan plutôt que d’une analyse objective. Les indicateurs économiques mentionnés mériteraient une vérification indépendante et une mise en contexte nuancée.

Quand la familiarité émousse l’indignation : le cas Trump

L’accoutumance à l’inacceptable

Si les vœux du président américain ne provoquent plus chez nous qu’un haussement d’épaules résigné, c’est uniquement parce que nous avons appris à connaître le personnage. Quatre années de présidence tumultueuse, suivies d’une campagne pour un second mandat, nous ont progressivement habitués à son style abrasif, à ses déclarations clivantes, à son mépris affiché pour les conventions diplomatiques les plus élémentaires.

Nous avons normalisé l’anormal par simple exposition répétée.

L’exercice du miroir helvétique

Mais tentons un exercice de pensée révélateur : imaginons un instant que ce même texte, mot pour mot, ait été publié par Christophe Blocher, l’homme politique suisse dont le profil se rapproche le plus de celui de Donald Trump. Conservateur assumé, entrepreneur fortuné, figure de proue de l’UDC (Union démocratique du centre), Blocher incarne lui aussi un populisme de droite, une rhétorique anti-immigration et une défense intransigeante de la souveraineté nationale.

Pourtant, si demain matin, Blocher adressait ses vœux de Noël en traitant ses adversaires politiques de “racaille de la gauche radicale”, en célébrant avec jubilation leur échec à “détruire le pays”, la Suisse entière serait saisie d’un électrochoc.

Les médias romands et alémaniques hurleraient à l’outrage. Les éditorialistes se succéderaient pour dénoncer une dérive autoritaire. Les partis d’opposition exigeraient des excuses publiques. Les intellectuels y verraient les prémices d’une fracture démocratique. Même au sein de l’UDC, des voix s’élèveraient probablement pour tempérer le propos, conscientes du franchissement d’une ligne rouge dans le débat politique helvétique.

Le poids des cultures politiques

Cette différence de réaction ne s’explique pas par une quelconque supériorité morale des Européens sur les Américains. Elle révèle plutôt l’existence de cultures politiques profondément distinctes, façonnées par des histoires et des institutions différentes.

La Suisse, avec sa tradition consensuelle, son système de concordance qui associe les principaux partis au gouvernement, et son culte du compromis, a construit un espace public où l’invective personnelle reste largement taboue. Le débat politique peut y être vif, les oppositions marquées, mais il existe un seuil implicite de civilité que même les figures les plus controversées hésitent à franchir publiquement.

Les États-Unis, en revanche, ont développé une culture politique plus gladiatoriale, où l’affrontement direct, la rhétorique guerrière et la diabolisation de l’adversaire font partie du jeu démocratique depuis longtemps. Trump n’a pas inventé cette polarisation, mais il l’a portée à un niveau inédit, faisant exploser les dernières barrières de retenue que respectaient encore ses prédécesseurs.

Le danger de l’accoutumance

Ce contraste met en lumière un phénomène psychologique inquiétant : notre capacité d’indignation s’érode proportionnellement à notre exposition aux transgressions. Ce qui nous aurait scandalisés lors du premier mandat de Trump nous laisse aujourd’hui quasi indifférents. Nous avons intégré son style comme une donnée contextuelle, presque folklorique.

Or, cette accoutumance n’est pas anodine. Elle déplace insidieusement les lignes de ce qui est considéré comme acceptable dans le discours public. Si un dirigeant peut impunément traiter ses opposants de “racaille” dans un message de Noël sans provoquer de tollé généralisé, qu’est-ce qui empêchera le prochain de franchir un degré supplémentaire ? Où se situe désormais la limite ?

L’effet de contagion

Plus préoccupant encore : ce qui commence comme une exception américaine tend progressivement à contaminer d’autres démocraties. Partout en Europe, des leaders populistes observent avec attention le succès électoral de Trump et s’inspirent de ses méthodes. Ils testent les limites, mesurent les réactions, ajustent leur rhétorique en conséquence.

Le jour où un Christophe Blocher, un Éric Zemmour, un Geert Wilders ou un Matteo Salvini franchira cette ligne sans déclencher de tempête médiatique, nous saurons que la digue a cédé. Que ce qui était autrefois l’exception est devenu la norme.

Retrouver la capacité d’étonnement

L’exercice de transposition est donc salutaire. Il nous oblige à regarder avec des yeux neufs ce que nous avons cessé de voir. Il ravive notre capacité d’étonnement face à des comportements que nous avons tort de banaliser.

Un leader démocratique qui, le jour de Noël, insulte une partie de ses concitoyens tout en s’attribuant des succès économiques discutables, ne devrait jamais être perçu comme “normal”, quelle que soit sa nationalité. Que cette rhétorique vienne de Washington ou de Zurich ne devrait rien changer à notre jugement de fond.

Si nous ne sursautons plus à la lecture des tweets de Trump alors que nous bondirons face aux mêmes mots dans la bouche de Blocher, c’est que notre boussole morale s’est déréglée. Non pas parce que l’un serait plus légitime que l’autre à tenir de tels propos, mais parce que nous avons progressivement abaissé nos exigences envers le premier.

La vraie question n’est donc pas de savoir ce qui différencie Trump de Blocher, mais ce qui nous a changés, nous, au point d’accepter de l’un ce que nous refuserions catégoriquement de l’autre.


Retour à La Une de Logo Paperblog