“Phalangiste chrétien, Beyrouth”, photographie du reporter Olivier Rebbot, 1978
« C’est Beyrouth » : une exclamation que l’on pousse quand les choses sont trop bordéliques, flippantes, incontrôlables.
« C’est Beyrouth » : le mythe ferait presque oublier que des gens y vivent et qu’aujourd’hui, les sirènes en minijupe y côtoient les voiles noirs, sur des plages bondées de fric et de bling-bling boys, près des immeubles de béton défoncés, vestiges de la guerre civile.
Oui, c’est Beyrouth : le Beyrouth de Bassam, jeune Libanais qui vit sa jeunesse à deux cent à l’heure au milieu des bombes, des morts, des machines à sous, des filles aguicheuses mais tenues en laisse par la famille et les cancans. Au début des années 80, être jeune c’est être rock n’roll, même en pleine guerre civile.
Quand les éditions Denoël m’ont envoyé ce bouquin, j’en ai lu la quatrième de couverture avec attention et j’ai découvert que le roman de Rawi Hage avait tout pour me plaire. Cela tombe bien : il m’a carrément emportée. Le roman de cet auteur libanais exilé au Canada, De Niro’s Game , est un jeu de roulette russe amical entre le héros et son copain de toujours, Georges, surnommé De Niro. Deux ados qui jouent à la guerre gentiment, de loin. Jusqu’à ce que la réalité, l’Histoire et la politique les rattrape : rien ne va plus, les jeux sont faits, Bassam et Georges sont des hommes. Obligés de porter un flingue, de sniffer et vendre de la coke, de tuer, parfois - même souvent - pour survivre sur ce champ de bataille au cœur du Moyen-Orient.
L’écriture de Rawi Hage est d’une intense précision. La bonne dose de lyrisme, le mélange parfait de nervosité et de sincérité, le recul nécessaire pour s’attacher aux personnages sans niaiserie. Hage bannit tout sentimentalisme et ne provoque jamais son lecteur. Témoin bienveillant des dilemmes cruciaux de son personnage principal, s’il raconte l’horreur, il la raconte sans sadisme. Et voilà que nous regardons avec angoisse notre petit héros tomber au cœur de la tornade de meurtres, de vols et de trafics à laquelle on aurait voulu qu’il échappe. L’auteur porte avec passion son héros adolescent, avec une sincérité parfois tendrement ironique : car c’est aussi une histoire sur la jeunesse, sur la difficulté et la nécessité de devenir adulte.
La structure du roman mêle avec bonheur le présent à la mémoire (mémoire des parents victimes des bombardements, mémoire des amours passées, mémoire des amitiés détruites par la guerre). Premier roman de Rawi Hage, quarante-quatre ans, De Niro’s Game se prêterait donc avec bonheur à la fiction cinématographique, dont il contient tous les ingrédients indispensables.
C’est tout con, mais c’est vrai : Rawi Hage est un très grand talent. Et bravo à Sophie Voillot : je déteste les VF, d’habitude, mais sa traduction est si belle qu’on ne saurait douter de sa précision.