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Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré

Publié le 13 septembre 2008 par Christophe Foraison


Le PIB (Produit Intérieur Brut) est souvent utilisé comme un indicateur mesurant l'état d'un pays (il suffit de voir aujourd'hui les commentaires sur la faiblesse de la croissance du PIB en 2008 et les perspectives moroses pour 2009).


Dès 1820,
Thomas Malthus écrivait, dans ses Principes d’économie politique qu’« un pays sera riche ou pauvre selon l’abondance ou la rareté des objets matériels dont il est pourvu ».
Nous avons donc longtemps considéré qu'un PIB élevé déterminait le bien être collectif.


Ce n'est pas inexact: plus de richesses marchandes produites (en particulier les biens de consommation et les biens d'équipements) permettent:
- d'améliorer l'emploi,
- d'augmenter le niveau de vie moyen des habitants (on l'a bien vu durant
les Trente Glorieuses voir cette vidéo ici).

Pour autant, le PIB, depuis les années 1970, est l'objet de critiques de plus en plus fortes.
Nous les résumerons et nous essayerons de voir quelles pourraient être les alternatives.

Pour simplifier, on peut considérer que le PIB est composé de deux éléments:

- la valeur ajoutée marchande de tous les biens et services vendus dans un pays pendant une année (PIB marchand);

- le coût de production des services non marchands des administrations publiques, c’est-à-dire essentiellement les salaires de leur personnel.

Le PIB mesure donc un flux de richesses marchandes et monétaires.

Trois critiques vont donc être formulées:

1 / Tout ce qui peut se vendre et qui posséde une valeur monétaire fera augmenter le PIB sans tenir compte des incidences éventuellement négatives de cette opération
sur le bien-être individuel et collectif.

Exemple: un pays, une région avec une forte activité minière verra son PIB augmenter, mais, pour produire, il a fallu soustraire des ressources naturelles, et l'environnement s'est dégradé. Ces conséquences ont dégradé le bien être collectif, alors que le PIB a augmenté.

2 /  des activités qui améliorent le bien être collectif ne sont pas comptabilisées parce qu'elles ne sont pas marchandes.

Exemple: le travail bénévole, par définition, n'est pas pris en compte dans le PIB.
On sait qu'il représente une part non négligeable dans certains secteurs économiques (voir
cet article sur la place de ces activités au Canada)

3 / le PIB est un indicateur trop sommaire pour avoir une idée du bien-être collectif : il est quantitatif, unidimensionnel (la quantité de richesses marchandes produites).

Par conséquence, on peut avoir un décalage entre:
- le fait que depuis plusieurs années, le PIB progresse: on produit de plus en plus de richesses...
- et le sentiment de ne pas être soi-même plus satisfait.

Alors...comme le chante si bien Alain Souchon...



Si les critiques sur cet indicateur sont fondées, on ne peut néanmoins ne pas en rester là.
Qui peut croire qu'en brisant le thermomètre, la fièvre cessera ?

Se focaliser sur cet indicateur qu'est le PIB n'est pas totalement satisfaisant, il conviendrait de lui adjoindre d'autres éléments.

Essayons de progresser...

J'ai trouvé des éléments de réponse que je vous propose.
A travers quelques exemples, on peut tenter de cerner un peu mieux la complexité des évolutions en cours.


   -1-  L'analyse de la croissance américaine

a / avec l'
Indice de Santé Sociale (ISS)

Marque-Luisa et Miringoff, dans le cadre du Fordham institute for innovation in social policy (États-Unis), ont mis en place en 1996 cet ISS.
Sans rentrer dans les détails techniques, voici les composantes de cet ISS


Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré
Lorsqu'ils ont calculé l'ISS par rapport au PIB concernant les Etats-Unis , voici le résultat obtenu

Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré
La quantité de richesses marchandes a progressé régulièrement, alors que l'indice de santé sociale a décroché depuis la fin des années 1960.

b / avec l'
Indice de Progrès Véritable (IPV)

L’IPV est basé sur la consommation des ménages qui est ajustée pour tenir compte, par soustraction ou addition, d’un certain nombre de variables monétarisées :
- on ajoute des contributions au bien-être correspondant aux activités bénévoles et au travail domestique
- on retranche la valeur des richesses naturelles détruites par les dommages à l’environnement et la destruction de ressources non renouvelables, ainsi que l’évaluation des dégâts sociaux (chômage, inégalités, délits, accidents...).

Voici les résultats:


Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré On retrouve les mêmes tendances.

Mais cela peut laisser croire qu'il y aurait une opposition entre les aspects quantitatifs (la mesure des richesses économiques par le PIB) et des aspects plus qualitatifs (indicateurs sociaux).
Ce qui pourrait donner des arguments au partisan de ce qu'on appelle
la décroissance (pour aller vite, arrêtons d'être obsédé par la croissance du PIB, essayons de produire et de consommer moins pour vivre mieux)

Rien n'est moins certain comme le montre les exemples suivants

   -2- l'analyse de la croissance du Royaume-Uni et de quelques pays scandinaves

a /  avec l'Indice de bien être économique (IBE)

Osberge et Sharpe ont construit cet IBE sur ce qu'ils appellent les quatre dimensions du bien-être
économique 
:
-a- les flux de consommation courante :
biens et services marchands,production domestique, loisirs et autres biens et services non marchands ;

-b- l’accumulation nette de stocks de ressources productives :
biens corporels, de parcs de logements et de biens de consommation durables ; capital humain, capital social et investissement en R&D ; changements nets dans la valeur des réserves de ressources naturelles ; coûts environnementaux et évolution nette de l’endettement extérieur ;

-c- la répartition des revenus :
degré de pauvreté (effet et importance) et inégalité des revenus ;

-d- le degré de sécurité ou d’insécurité économique :
perte d’emploi et chômage, maladie, rupture de la cellule familiale, pauvreté chez les personnes âgées.

On le voit, l'IBE est beaucoup plus riche que le PIB (il inclut les aspects sociaux, environnementaux etc..).

Là encore, sans rentrer dans les détails techniques, les résultats sont très instructifs:

Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré


Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré
Dans le cas de la Norvège, la croissance des richesses marchandes par habitant est allée de pair avec l'augmentation du bien être économique (on retrouve d'ailleurs cette idée, lorsqu'on compare le PIB norvégien avec leur Indicateur de Développement Humain -IDH-).

Par contre, au Royaume-Uni, il y a un décrochage très net à la fin des années 80: la croissance du niveau de vie a coincidé avec une dégradation de l'Indice de bien être économique.

b / avec l'Indice de Bien-être Durable (IBED)

Cet indice propose d'inclure l'évolutions des inégalités de revenus, le coût des dommages liés au réchauffement climatique et de la destruction de la couche d'ozone.

IBED = consommation marchande des ménages + services du travail domestique + dépenses publiques non défensives - dépenses privées défensives – coûts des dégradations de l’environnement - dépréciation du capital naturel + formation de capital productif.

Là encore, je ne rentre pas dans les aspects méthodologiques et techniques (qui sont source de critiques bien évidemment).
Voici les résultats pour la Suède et le Royaume-Uni

Oui, oui, oui...non, non, non, soyons mesuré
On retrouve les mêmes évolutions (toujours le tournant des années 1980), un certain décrochage entre le PIB par habitant et l'IBED, mais il est beaucoup moins net pour la Suède que pour le Royaume-Uni.

Je trouve que ces recherches sur les indicateurs sont passionnantes: elles mettent en jeu des questions économiques, sociales et environnementales et exigent de quelques compétences en mathématiques.

Juste une dernière remarque:
les enseignants sont-ils eux-aussi à la recherche d'indicateurs pour évaluer le travail / compétences des élèves ? La sacro-sainte moyenne arithmétique a-t-elle encore un sens ?


Pour approfondir:

ces billets me paraissent (toujours ^^) indispensables :

- Quel lien entre richesse et bonheur ?
- Sommes-nous plus riches...ou BEAUCOUP plus riches ?
- Nous sommes plus riches DONC plus heureux ?

mais ces liens vont beaucoup plus loin:

- l'
excellent rapport du Conseil Economique et Social

- la
commission mise en place par le président de la république avec JP Fitoussi, J. Stiglitz et A.Sen. Elle a déjà réalisé quelques notes, on attend avec impatience ses conclusions (printemps 2009)

Hé bien, croyez-moi, ce jingle, je vous le prépare...sur mesure (en hommage au groupe de jazz manouche "inspecteur gadjo" que nous avons vu cet été sur la place de la mairie de Noirmoutiers ^^)


Découvrez Gadjologie!

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