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Voyage avec une Gaxuxa dans les Cévennes

Par Eric Mccomber
Petit
Primo, je m'ennuie de toi, petit. Toute la journée j'ai eu l'impression que tu étais vivant. Peut-être l'es-tu ? Journée d'épiphanies dans les dénivelés. Au cours d'un de ces eurékas providentiels, j'ai réalisé que comme tu es l'un de mes personnages, et parmi les préférés, en plus, ehh… ben… tu es vivant. Donc, je vais m'adresser à toi comme si de rien n'était, en commençant par te demander pardon pour ma crise de Larochelle et les mots très durs que mon vieux Jarvis a eu envers toi et ta maman. Je crois que l'ancêtre a fait ce qu'il fallait en me disant les bonnes choses au bon moment et, un peu grâce à son aide, je suis aujourd'hui plutôt sorti de tout ça. Du moins, je ne pleure plus quatre heures par jour en pensant à vous deux. Je pleure désormais en pensant à rien, ce qui me semble une amélioration sensible de ma condition.
J'ai arrêté de boire, aujourd'hui. Mais j'ai recommencé vers vingt et une heures. Je me suis fait piquer par une grosse sale bête dans le cou. J'ai une bosse terrible. Justement, petit, c'était une journée de bosses.
Guigne comme au bon vieux temps
J'ai dit au revoir à la sympathique famille qui m'hébergeait depuis une semaine dans un appart de rêve en plein cœur de Montpellier. La dame est poète, chanteuse, architecte, peintre. Le fiston joue du piano fort inspiré, les livres jonchent tous les espaces… On y demeurerait des mois. Je prends la route, tout va bien, je ne suis pas très en jambes, ni très en souffle, mais j'ai une minuscule étape au menu, trente bornes tout au plus, alors ce n'est rien. Au bout de sept ou huit kilomètres, par contre, un de mes super nouveaux pneus éclate. Celui de derrière, bien sûr. Retour au vélociste, à pied, ergo : traversée de la ville d'un bout à l'autre. J'arrive là quelques minutes après leur fermeture du midi… qui dure deux heures. Bon, beeen…
Satori
Je décide de casser la croûte. Petite terrasse. On me sert le meilleur café que j'ai bu depuis l'Héritage à Cognac. Woah. Réconciliation sensorielle avec l'existence. Savoureuse salade. Youpi. J'ai fini de becqueter depuis cinq minutes et je m'emmerde, lorsque je me dis que finalement, j'ai été très très infiniment poche de ne pas jouer de la gratte une seule fois pour ma pitance, depuis mon départ des Charentes. Je l'ai quand même achetée dans cette optique, la Petite Chinoise !
J'avise un coin de la place qui me semble parfait pour ça. Et… je me dirige par là… J'appuie la Gaxuxa contre un mur… Je sors la Petite Chinoise… et… et… oui… Je le fais !
Oui ! Pas sorcier ! J'ai à peine le temps de m'accorder que le dinero commence à tomber dans ma casquette. Fantastique ! Ma batterie meurt au bout de vingt minutes. Pas grave, j'en ai une autre. Mais… Elle est plat. Bien sûr ! Je remarque un peu tard que c'est une rechargeable ! Nouille. Beahrr… Qu'à cela ne tienne. Je souris. Ce qui compte, c'est d'avoir brisé la glace. 3 € en 20 minutes, c'est pas le record du monde, mais ça paie la pile de rechange. Et puis, j'ai eu droit à deux ou trois excellents sourires. J'ai joué comme un pied tout le long. Mais j'ai joué. Yea. Je me suis vaincu. Vive cela.
14h30 pile
Le vélociste me reprend le pneu, on change la chambre, gonfle. Merci monsieur, au revoir monsieur, bonne route le Canadien ! Aerghghg. Et hop ! Quatre heures plus tard, je suis encore au centre ville de Montpellier, mais je re-roule.
Pertes
Ensuite, je me suis paumé dans les collines, le bout des orteils des Cévennes. Volte-faces, retours, détours… À un moment je vois l'heure, 17 h ! Pourtant, je suis presque aussi loin qu'au pas de ma porte ce matin. Bizarre. Mes jambes me lâchent, j'ai la gorge en feu, je n'ai plus d'eau…
Dix-neuf heures. Le soleil décline, je décide de me poser, malgré que je ne comprenne pas comment il est possible que je n'avance pas plus que ça. Je cherche des endroits pour planquer ma tente à la sauvage, mais je ne trouve que dalle. En plus, je ne l'ai fait que quelques fois, en pleine forêt et c'était pas stressant. Ici, y a beaucoup d'action, je le sens pas trop.
Vers Saint-Mathieu on annonce un hôtel. Je téléphone mais c'est le répondeur. Gneu ! Un gîte a sa pub le long de la route. Je me dirige là. Arrivé au village, rien ni personne. Je sonne, je frappe à la porte, aux carreaux… Mes appels restent sans réponse, même si j'entends du mouvement derrière la porte.
Une jolie fille qui promène un chien me guide jusqu'à un autre gîte. Le monsieur a de la place, c'est ouvert, c'est bien joli mais… il ne loue qu'à la semaine. J'ai beau plaider, rien à faire. Il m'envoie vers une maison qui fait chambre d'hôte. Je suis mort de fatigue, mystérieusement.
J'arrive à cet établissement. La dame a des chambres de libre, loue bel et bien à la nuit, c'est joli, sympa, mais… elle reçoit sa mère à souper ce soir et préfère ne pas louer, parce que euh… Bon. Et puis c'est hors saison, puis fallait réserver d'avance, puis les chambres ne sont pas prêtes, puis en définitive… c'est fermé pour ce soir. Je souris en vain. Je pleurniche. J'implore. Je quémande. C'est non. Elle est fermée, la dame. Même ses oreilles et son cœur le sont. Je demande à mettre ma tente dans le jardin. Non. Elle me file le numéro d'un hôtel… À 5 km. Je tombe sur un répondeur qui donne un numéro de mobile où un type commence à m'engueuler. Je ne comprends rien à ce qu'il dit, une histoire louche de mairie, de permis, d'heure, que sais-je.
Je reprends la route après avoir passé une mini laine. On gèle. Je croise un fermier en tracteur à qui je demande l'hospitalité, juste un coin pour planter ma tente (on m'a dit que ça marchait à tout coup, ça !). Il me dit qu'il ne peut vraiment pas, qu'il doit aller voir sa belle sœur ce soir, gnagnagna… Me voilà bien décidé à prendre le prochain avion pour Marakesh ou Krakovie.
Revirement
Encore une pancarte prétendant annoncer un gîte. Je téléphone. Ça marche. À 8 km. Je roule très lentement. Une petite demi-heure de crampes aux cuisses. Hop. Un voisin de la dame du gîte a pris sa voiture pour aller me retrouver et m'indiquer le chemin. Arrivée en douce, accueil gentil. Mais j'arrive tard, il ne servent plus à manger. Bof, je veux juste m'étendre. Je mettrai un oreiller dans le réchaud. Soudain, venue de nulle part, une voisine offre de me faire un repas gratoche qu'elle viendra me porter à ma chambre. Incroyable ! Éxagéré ! Un autre voisin me file son code pour la WIFI. Encore un autre m'offre d'aller me chercher des courses, du vin, une pizza. Maudits Français ! Comme je vous aime. Après m'être lavé, je bavarde longuement avec ce couple qui habite là, ils ont la cinquantaine harmonieuse, ont traversé la France plusieurs fois à vélo, nous sympathisons pleins pots. Des Nantais.
Mystère élucidé
Au lit, avant de m'endormir, je décide consulter un peu Gégé, histoire de voir comment j'ai pu tant souffrir pour faire 15 km. Alors, je me rends compte, ahuri, que j'ai roulé 68 km aujourd'hui (dont 6 à pied pour cause de pneu kaboum), et que ça a grimpé de 600 m. Bon, c'est pas le Tourmalet, mais tout s'explique. Bien trouver son chemin, même quand on ne sait pas où on va, c'est primordial ! Eh, eh, eh…
Demain, orages sur la région. Je vais me barricader ici, au pied d'un col terrible. Vendredi, torture matinale ! Ouais !
© Éric McComber

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