Quand je l’ai rencontrée, j’ai tout de suite aimé sa passion et sa joie de vivre, sa sensibilité aussi. Elle s’émeuvait d’un chat boiteux, d’un oiseau malade, d’un pot de fleurs tombé à terre. Une vocation d’assistante sociale, une Mère Térésa en puissance… mais en beaucoup plus vénale et c’est aussi ce que j’aimais chez elle !
Nous dormions chez l’un ou l’autre, mais souvent chez elle. Parce qu’il s’y trouvait quelque chose à quoi elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. Pas un chat, non, pas de rival félin. Pas un canari, non plus, elle préférait les voir évoluer en liberté. Une plante verte, un yucca pour être exact. Et pas n’importe quel Yucca, un Yucca Angustissima grandi à force de soins et de cajoleries quotidiennes, de musiques mises en sourdine « Tu as vu comme il a l’air de grandir plus vite depuis que je lui mets du Mozart ? », d’engrais mis amoureusement dans le pot, de caresses au chiffon doux et humide sur les pointes vertes pour qu’il puisse mieux respirer. Son bébé.
Ca m’a plutôt amusé au début, de la voir l’embrasser en se levant, de l’entendre lui parler avant de sortir, de la voir s’en occuper comme elle le faisait.
Mais très vite ça m’a gonflé.
Quand il a fallu changer de station de radio parce que Monsieur Yucca n’aimait pas la pop anglo-saxonne, « La dernière fois il a failli mourir ! », quand elle ne pouvait pas rester dormir chez moi parce qu’elle n’avait pas prévenu Monsieur Yucca, parce qu’elle devait impérativement rentrer avant 18 heures « Le mercredi, à 18 heures, c’est le moment de son engrais »…
Parce que je veux bien lutter avec un autre homme pour ma belle, accepter qu’un rival félin urine dans mes chaussures à 200 euros pour marquer son territoire, ou attendre qu’elle ai fini de caresser son chien- chien pour avoir mon câlin. Mais lutter contre une plante verte ! « Mais ne me dis pas que tu es jaloux de Monsieur Yucca, ce n’est qu’une plante ! »
Une plante peut-être mais elle s’en occupe mieux que de moi !
Alors oui, je dois reconnaître que c’est moi qui ai commencé la guerre en mettant du tabasco dans la terre, en rajoutant le triple d’engrais alors qu’il était écrit sur l’emballage de ne pas le faire parce que ça risquait de faire des dégâts à la plante. D’essayer de m’en débarrasser sournoisement.
Mais c’est coriace un yucca.
Mais c’est pervers un yucca.
Mais c’est rancunier un yucca.
J’ai commencé à pleurer et à éternuer quand je dormais chez ma belle, puis à tousser de plus en plus jusqu’à cette fameuse nuit où j’ai manqué de mourir. Je ne pouvais plus respirer. Les pompiers ont dû m’amener à l’hôpital et j’ai failli être intubé. Diagnostic : asthme allergique au yucca.
J’étais sûr que j’avais enfin trouvé le moyen de me débarrasser de ce rival gênant, que ma belle allait donner son yucca pour me sauver, mais tout ce qu’elle a trouvé à me dire c’est « Tu es drôlement fragile pour un homme. Monsieur Yucca ne m’a jamais fait ce genre de truc en 7 ans ». Et elle m’a quitté.
Ne provoquez jamais un yucca.
Sa vengeance est terrible !
[Exercice d'écriture pour les impromptus sur le thème de la crise du yucca]