Chers semioblogueurs,
Mon prochain livre, intitulé "Télévision, presse people : les marchands de bohneur" paraîtra dans les prochaines semaines. En attendant, j'ai décidé de vous offrir une sorte de "teasing" des
marchands de bonheur, en vous proposant, de temps en temps, des extraits de l'ouvrage.
On commence aujourd'hui par une analyse du 13 heures de TF1. Je ne vous livre ici pour l'instant que le début du chapitre, car le format entre le livre et le blog est bien sûr, très différent
!
Et on commence par une citation du présentateur du 13 heures :
« Très attaché à mes origines picardes, j’ai toujours pensé
que l’information télévisée était beaucoup trop éloignée
des réalités de la « vraie vie » et « du vrai pays » ».
Jean-Pierre Pernaut, Pour tout vous dire
Le journal de 13 heures de TF1 aime à montrer les « petits bonheurs » de la vie. Si le journal télévisé peut procurer des satisfactions dans le sens où la contemplation quotidienne des horreurs du monde peut avoir un effet apaisant quant à la propre situation du téléspectateur et qu’il lui permet éventuellement de se consoler de son propre état par comparaison à celui des autres, le cas du journal télévisé de 13 heures est différent. Tout d’abord, s’il présente une forme de malheur ce n’est que rarement celui de catastrophes internationales ou de guerres (que l’on réserve pour le 20 heures). Il est question, pour le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, mais un malheur au quotidien et du quotidien. Par ailleurs, il va présenter ensuite une forme de bonheur qui est le pendant de ce malheur du quotidien, il s’agit donc d’un bonheur quotidien, un « petit bonheur » au sens du quotidien et du jour le jour. L’analyse du 13 heures de TF1 nous montre que le bonheur télévisuel peut prendre plusieurs formes et s’adresser au plus grand nombre.
De nombreuses choses ont été dites et écrites à propos du journal de 13 h de TF1. Il s’agit le plus souvent de critiques assez sévères, envers ce journal. Il ne s’agit pas ici de reparler ou d’argumenter les critiques courantes envers ce journal et son présentateur. Il s’agit d’essayer de comprendre pourquoi et comment, depuis 18 ans, chaque jour de la semaine, environ 7 millions de téléspectateurs (plus de la moitié de l’audience à cette heure-là) regardent ce programme. L’idée ici est de dire que si ce programme (que l’on peut avoir du mal à qualifier de journal télévisé tant les sujets abordés ne sont pas ceux d’un journal habituel) connaît de tels succès d’audience, c’est en partie parce qu’il montre un monde heureux, une vision de monde heureux, qu’il prescrit « un monde tel qu’il devrait être ». Nous allons voir tout d’abord les thématiques abordées dans ce programme : quel est ce monde heureux ? Ensuite, il s’agira d’analyser le système narratif du 13 h, nous verrons notamment qu’il se découpe en plusieurs parties, qui se répondent, pour ainsi dire, l’une à l’autre. Enfin, nous étudierons plus particulièrement l’énonciateur, la chaîne, mais aussi le présentateur, ainsi que le public, notamment lorsque celui-ci s’exprime sur Internet, à travers le blog du 13 heures. Étudier le JT de 13 h par le prisme du bonheur permet de faire ressortir certaines de ses particularités, mais aussi de le faire entrer dans un corpus composé de différents genres, et donc d’observer son approche du bonheur à l’aune d’autres programmes. Apparaissent donc, naturellement, ses spécificités dans sa mise en scène du bonheur.
1. Description d’un monde heureux
1.1. Le bonheur dans les régions
Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos expliquent que le 13 h de TF1 se préoccupe essentiellement de « l’actualité des belles choses[1] ». On s’arrête sur le quotidien, et les deux auteurs notent dans ce « journal », une « obsession des régions[2] », ce qui ne veut pas dire que l’on délivre l’actualité des régions comme peut le faire France 3. Il s’agit en effet d’aborder certains thèmes par le prisme des régions, partant du principe que, « dans les petits villages, tout est plus vrai qu’à la ville[3] ». Il faut savoir que cet impératif régionaliste est arrivé en même temps que Jean-Pierre Pernaut, lorsqu’il a pris les commandes du 13 heures de TF1 en 1988. On accusait son prédécesseur de faire un journal « trop parisien », et ne s’intéressant pas suffisamment à la France. Jean-Pierre Pernaut et TF1 ont donc fait le choix de présenter un journal tout à fait différent, que l’on ne pourrait plus accuser d’être trop branché pour intéresser un maximum de personenes. Par ailleurs, il faut aussi distinguer deux choses. En premier lieu, l’actualité vue à l’aune des régions. C’est le cas le 30 janvier 2007, lorsque l’interdiction prochaine de fumer dans les lieux publics est l’occasion d’une illustration à Vendôme, dans le Loir et Cher, dans un café qui pourrait tout aussi bien être un café d’Alsace ou de Bretagne, peu importe. L’essentiel est ici l’illustration en région non seulement d’un fait, mais surtout d’un point de vue. Il est en effet question de montrer le mécontentement des fumeurs (considérés comme des consommateurs-contribuables-travailleurs-qui-se-lèvent-le-matin). Dans ce reportage, le premier témoin interrogé s’exprime : « Pourquoi est-ce que moi, qui travaille à 4 heures du matin, j’aurais pas le droit d’aller boire mon café et fumer ma cigarette ? ». Il est important de souligner qu’un sujet comme l’interdiction de fumer est l’occasion pour le journal de 13 heures, d’exprimer pleinement un point de vue que l’on retrouve tout le temps dans le 13 h, celui selon lequel « on » nous prive de plus en plus de nos libertés individuelles d’une part, et que cela pose des problèmes aux petits commerçants. Dans le même reportage, le patron du bar-tabac est présenté comme quelqu’un à plaindre, car son chiffre d’affaires va baisser, son bar-tabac va perdre de la valeur, et qu’en plus, il va devoir faire la police dans son commerce (ce qui ne sera pas chose aisée, car il est lui-même fumeur, et qu’il passera l’essentiel de son temps à fumer dehors). Mais qui est le « on » dont je viens de parler ? Il s’agit de l’Etat. Présenté comme une grande chose contre laquelle il faut se battre, si l’on veut survivre. Nous y reviendrons. Notons enfin que le 13 h a pris le parti de s’élever contre l’interdiction de fumer dans les lieux publics, en mettant également en avant l’aspect répressif et financier. Le 31 janvier par exemple, on montrait les nouveaux procès-verbaux qui seront bientôt dressés aux contrevenants. D’ailleurs, la veille, le 30 janvier, et après un reportage sur le fait que la fourrière permette à l’Etat de s’enrichir, Jean-Pierre Pernaut commente : « Et si vous grillez une cigarette en allant récupérer l’auto, ça fera 68 euros en plus ». Comme dans le cas des émissions de Julien Courbet, il est question de dénoncer des arnaques. Ici cependant, c’est l’état qui arnaque.
Ensuite, l’autre façon de présenter les régions n’est pas de traiter de
l’actualité à l’aune de celles-ci, mais de présenter un fait qui se passe dans les régions : Les marchés de Noël sont ici me semble-t-il l’exemple le plus frappant. À ce sujet, Isabelle
Roberts et Raphaël Garrigos estiment même que c’est Jean-Pierre Pernaut et ses équipes qui ont contribué à l’expansion des marchés de Noël en France[4].
Il faudrait bien entendu vérifier cette information et la croiser avec des données historiques, mais il est intéressant de noter à quel point la notion de « marché de Noël » est
présentée, dans le 13 h (et maintenant dans l’espace social) comme un événement traditionnel, ce qui n’est pas le cas, sauf dans la ville de Strasbourg qui, dans les années 80, possédait un petit
marché de Noël. La tradition est inventée, et presque tout le monde fini par y croire et on trouve désormais des marchés de Noël partout, de Lille à Marseille. Les autres sujets qui parlent des
régions composent la troisième et dernière partie du journal : Tradition de la Tartiflette chez une grand-mère de la Clusaz, tradition du Carnaval de Limoux, tradition du jeu de Quilles dans
l’est de la France, etc.
On voit bien ici qu’à travers ces deux formes, se distinguent deux façons de voir le monde, autour d’un point commun essentiel : la région (on ne dit pas « province »). La première
est d’illustrer l’actualité et ce que l’on veut dire en faisant s’exprimer des « vraies personnes », des régions, la seconde est de parler du bonheur qu’il y a à vivre en France,
habiter les villages, préserver l’essentiel : les traditions. Le mot bonheur est souvent utilisé d’ailleurs, comme le montrent les auteurs de « La bonne soupe », citant ce
reportage du mois d’août 2005. Pour eux, le Français idéal de Pernaut, c’est « un vieux qui vit en région », comme Jeannette, 91 ans et « une vie de dur labeur ». Elle possède
un restaurant dans lequel (précise la journaliste) « le temps semble avoir suspendu son vol, Jeannette y puise sa force, son bonheur et celui de
ses clients[5] ».
Voici donc comment ce programme décline son idéologie du bonheur : par la description d’un monde parfait (dans le cas de ces reportages), un monde tel qu’il devrait être, dans lequel de gentilles personnes bienveillantes font du mieux qu’elles peuvent. Mais tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles s’il n’y avait pas, aux côtés des gentils comme Jeannette, un certain nombre de méchants…
La suite du chapitre bientôt sur le semioblog...[1] Garrigos, R, Roberts, I, La bonne soupe, Comment le 13 heures de TF1 contamine l’info, Paris, Ed. des Arènes, 2006, p. 25.
[2] Garrigos, R, Roberts, I, ouvrage cité, p. 28.
[3] Garrigos, R, Roberts, I, ouvrage cité, p. 33.
[4] Garrigos, R, Roberts, I, ouvrage cité, p. 111
[5] Garrigos, R, Roberts, I, ouvrage cité, p. 37