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Il y a un moment avant d’écrire ou de peindre où c’est comme taire le monde, faire silence. C’est nécessaire afin de tenter une parole, une image juste. On va décrocher un point au tumulte ambiant, on va l’étoiler. La page ou le tableau offrent un point de référence auquel raccrocher le monde qui tangue et roule, est plein de mouvements confus. On dirait se soutenir à un bord de fenêtre. Je ne saurais pas bien dire si l’on crée à partir du monde démesuré et mouvant ou à partir de cet espace vierge jeté auquel on se cramponne. Comme par un jeu de polarités il y a une aspiration de l’un vers l’autre. Quelque part cela est nécessaire à faire une perspective. Dans la fenêtre ne sera pas le monde mais comment il a passé en nous. Et on se constitue de ce passage. Il y a dans une attention au monde quelque chose comme quitter le monde, et symétriquement dans l’œuvre une volonté de rencontre. Moi j’écris aussi sur les autres, sur les œuvres, et ce n’est souvent que prétexte. Ou du moins, le texte à partir d’un moment devient autonome. Il est parti de quelques aspects que l’œuvre touche et qu’il reprend à son compte. Il tire ses conclusions. Il ne s’agit pas de démontrer ou de dire à sa manière, il s’agit d’empoigner ce que l’œuvre offre de réflexion possible, de fouiller ce qu’elle ouvre. Quand on part d’une œuvre ou quand on part du monde c’est pour aller ailleurs. Et peut-être mieux y revenir s’étant défait de la peau pour voyager au cœur. Mais un temps c’est partir. Pour revenir à ce départ des choses, je crois que c’est tout d’abord se constituer comme sujet, s’extraire et considérer que le monde se donne à hauteur du regard singulier que l’on posera sur lui. Il y a comme faire silence pour accueillir, maintenant non plus indéterminés, chaque bruits doublés de leurs échos. Se rendre disponible. Je crois que l’art est cet outil. D’ailleurs on apprend des œuvres que l’on a soi même produites, dans leur mécanique elles nous connaissent et nous comprennent mieux que nous.