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Une banlieue intra-muros ? Et si on envoyait la rédaction du Monde en banlieue extra-muros…

Publié le 21 septembre 2008 par Jean-Paul Chapon

Dans son édition datée du 20 septembre le Monde publiait un article expliquant la situation du 19ème arrondissement de Paris, et particulièrement de la zone des cités Curial et Riquet au Nord de cet arrondissement dont on précise qu’il est « à la frontière avec la Seine-Saint-Denis », et qui a connu ces derniers mois plusieurs épisodes d’affrontements violents entre jeunes ou bandes, dont le caractère crée polémique aujourd’hui, ethnique ou non, antisémite ou pas. S’appuyant sur un étude, l’article cite le taux élevé de familles monoparentales, “l’appauvrissement“, le “taux d’échec élevé” et le “faible niveau scolaire“, des élèves sans repères, une “culture de rue bâtie sur le défi, la réputation et le territoire“, une “atmosphère de rivalité“, puis décryptent les mécanismes qui conduisent à l’affrontement. Bien.

Mais pourquoi titrer “Au Nord du 19ème arrondissement, une banlieue intra-muros” ? Quelle banlieue et pourquoi banlieue ? Les auteurs ou du moins les titreurs avaient-ils en tête Neuilly-sur-Seine ou Le Vésinet, lorsqu’ils ont pondu ce titre ? A moins qu’ils n’aient été inspirés par une visite récente au Raincy ou à Levallois-Perret. Mais non, il s’agissait sans doute de La Varenne-Saint-Hilaire ou de Ville d’Avray. La liste pourrait être longue…

Etonnant exemple de ce réflexe NIMBY (Not in my back-yard), de l’entre-soi et de le l’intégration de la relégation dans la représentation mentale de la Ville. La violence, c’est là-bas en banlieue, ce n’est pas ici, chez nous dans la Ville, la vraie, dans Paris. Un peu comme ce triste communiqué de presse de la ville de Paris au plus fort des émeutes de 2005 pour ne pas effrayer les touristes et autres visiteurs étrangers; la violence c’est toujours hors de la ville, et on peut la nommer, elle s’appelle « banlieue ». Ce sont les descentes des bandes de banlieues sur les manifestations de gentils jeunes parisiens ou encore dans les gares fréquentées par les bons travailleurs parisiens (et sans doute pas par les banlieusards ?), et si les bandes habitent à Paris, alors c’est que leur quartier est une « banlieue intra-muros ». Etonnante vision ou perception de la ville, idéale, supérieure et sanctuarisée par sa ceinture de périphérique comme par un muraille médiévale qui l’aurait mise à l’abri de l’avancée de la peste.

Faudrait-il déplacer en banlieue la rédaction du Monde, et y envoyer en immersion d’autres leaders d’opinion, pour qu’ils finissent par se rendre compte qu’à Paris comme en banlieue, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets. Qu’il ne s’agit pas d’un problème d’organisation spatiale, mais d’organisation sociale et économique, de notre société, de celle d’une métropole unique, sans que périphérique ou plaques d’immatriculations ne soient les bases de leur analyse et de leur réflexion ? Qualifier de phénomène de banlieue a finalement beaucoup d’avantages, on botte en touche géographique et administrative pour y reléguer la question de la société dans laquelle nous vivons et que nous acceptons. On nomme, c’est la banlieue, on catégorise, un peu comme un entomologiste, mais aussi on discrimine et on relègue. C’est la banlieue, et quand ça arrive à Paris, la seule façon d’en parler, c’est de nommer pour circonscrire le mal et l’écarter. C’est comme la banlieue, les autres, pas nous.

Depuis des années maintenant, Paris est sa banlieue milite pour la création d’un Grand-Paris. Parce qu’il y a un mille-feuille administratif indigeste et innefficace, bien sûr, et que paradoxalement, à force d’avoir une armée de petits pilote locaux, il n’y a pas de pilote dans l’avion d’une des grandes métropoles du monde. Mais surtout parce que le Grand-Paris, surtout s’il est très grand, fera d’une certaine façon disparaître en la rendant sans objet cette notion de banlieue, de centre et de périphérie. La question principale n’est pas de savoir si ce Grand-Paris sera polycentrique ou qu’elle en sera la gouvernance, et encore moins s’il y faut des gestes architecturaux majeurs. Mais plutôt que ce Grand-Paris réunira et créera de facto une solidarité entre ce qui est l’intra-muros et l’extra-muros, ne serait-ce que par le nom. Il incluera les problèmes hier de banlieue dans ceux de la ville, et de problème spatial, il forcera à être reconnu comme problème social. Les émeutes ne seront plus en banlieue, à Clichy ou à Villiers, mais dans un quartier populaire de Paris, les violences ne seront plus dans le 19ème ou à Grigny, mais dans un autre quartier de la ville, et il faudra se demander pourquoi Paris, le Grand, génère ces violences.

Jean-Paul Chapon


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