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Septembre : La compassion de Marie - Bossuet (4)

Publié le 22 septembre 2008 par Hermas
TROISIEME POINT C'est au disciple bien-aimé de notre Sauveur, c'est au cher fils de la sainte Vierge et au premier-né des enfants que Jésus-Christ son Fils lui donne à la croix, de vous représenter le mystère de cette fécondité merveilleuse : et il le fait aussi dans l'Apocalypse par une excellente figure. Il parut, dit-il, un grand signe au ciel ; une femme environnée du soleil, qui avait la lune à ses pieds et la tête couronnée d'étoiles, et elle faisait de grands cris dans le travail de  l'enfantement. Saint Augustin nous assure que cette femme, c'est la sainte Vierge ; et il serait aisé de le faire voir par plusieurs raisons convaincantes. Mais de quelle sorte expliquerons-nous cet enfantement douloureux ? Ne savons-nous pas, Chrétiens, puisque c'est la foi de l'Église, que Marie a été exempte de cette commune malédiction de toutes les mères, et qu'elle a enfanté sans douleur, comme elle a conçu sans corruption ? Comment donc démêlerons-nous ces contrariétés apparentes ? C'est ici qu'il nous fait entendre deux enfantements de Marie : elle a enfanté Jésus-Christ, elle a enfanté les fidèles ; c'est-à-dire elle a enfanté l'innocent, elle a enfanté les pécheurs : elle enfante l'innocent sans peine : mais il fallait qu'elle enfantât les pécheurs parmi les douleurs et les cris : et vous en serez convaincus, si vous considérez attentivement à quel prix elle les achète. Il faut qu'il lui en coûte son Fils unique ; elle ne peut être mère des chrétiens, qu'elle ne donne son Bien-Aimé à la mort : ô fécondité douloureuse ! Mais il faut, messieurs, vous la faire entendre, en rappelant à votre mémoire cette vérité importante que c'était la volonté du Père éternel de faire naître les enfants adoptifs par la mort du Fils véritable. Ah ! qui pourrait ne pas s'attendrir à la vue d'un si beau spectacle ! Il est vrai qu'on ne peut pas admirer cette immense charité de Dieu, par laquelle il nous a choisis pour enfants. Il a engendré dans l'éternité un fils qui est égal à lui-même, qui fait des délices de son cœur, qui contente entièrement son amour, comme il épuise sa fécondité ; et néanmoins, ô bonté ! ô miséricorde ! ce Père, ayant un Fils si parfait, ne laisse pas d'en adopter d'autres : cette charité qu'il a pour les hommes, cet amour inépuisable et surabondant fait qu'il donne des frères à ce premier-né, des compagnons à cet unique, et enfin des cohéritiers à ce bien-aimé de son cœur : il fait quelque chose de plus, et vous le verrez bientôt au Calvaire. Non seulement il joint à son propre Fils des enfants qu'il adopte par miséricorde, mais ce qui passe toute créance, il livre son propre Fils à la mort, pour faire naître les adoptifs. Qui voudrait adopter à ce prix, et donner un fils pour des étrangers ? C'est néanmoins ce que fait le Père éternel. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jésus qui nous enseigne dans son Évangile. Dieu a tant aimé le monde ; écoutez, hommes mortels, voilà l'amour de Dieu, qui paraît sur nous, c'est le principe de notre adoption : qu'il a donné son Fils unique : ah ! voilà le Fils unique livré à la mort, paraissez maintenant, enfants adoptifs ; afin que ceux qui croient ne périssent pas, mais qu'ils aient la vie éternelle. Ne voyez-vous pas manifestement qu'il donne son propre fils à la mort, pour faire naître les enfants d'adoption, et que cette même charité du Père qui le livre, qui l'abandonne, qui le sacrifie, nous adopte, nous vivifie et nous régénère comme si le Père éternel ayant vu que l'on n'adopte des enfants que lorsqu'on n'en a point de véritables, son amour et inventif et ingénieux lui avait heureusement inspiré pour nous ce dessein de miséricorde, de perdre en quelque sorte son Fils pour donner lieu à l'adoption, et de faire mourir l'unique héritier pour nous faire entrer en ses droits. Par conséquent, enfants d'adoption, que vous coûtez donc au Père éternel ! Mais ne vous persuadez pas que Marie en soit quitte à meilleur marché : elle est l'Ève de la nouvelle alliance, et la mère commune de tous les fidèles ; mais il faut qu'il lui en coûte la mort de son premier-né, il faut qu'elle se joigne au Père éternel, et qu'ils livrent leur commun Fils d'un commun accord au supplice. C'est pour cela que la Providence l'a appelée au pied de la croix ; elle y vient immoler son Fils véritable : qu'il meure, afin que les hommes vivent. Elle y vient immoler son Fils véritable : qu'il meure, afin que les hommes vivent. Elle y vient recevoir de nouveaux enfants : Femme, dit Jésus, voilà votre fils. O enfantement vraiment douloureux ! ô fécondité qui lui est à charge ! car quels furent ses sentiments, lorsqu'elle entendit cette voix mourante du dernier adieu de son fils ! Non, je ne crains point de vous assurer que de tous les traits qui percent son âme, celui-ci est sans doute le plus douloureux. Je me souviens ici, Chrétiens, que saint Paulin, évêque de Nole, parlant de sa parente, sainte Mélanie, à qui d'une nombreuse famille il ne restait plus qu'un petit enfant, nous peint sa douleur par ces mots : Elle était, dit-il, avec cet enfant, reste malheureux d'une grande ruine, qui bien loin de la consoler, ne faisait qu'aigrir ses douleurs, et semblait lui être laissé pour la faire ressouvenir de son deuil, plutôt que pour réparer son dommage. Ne vous semble-t-il pas, mes frères, que ces paroles ont été faites pour représenter les douleurs de la divine Marie ? Femme, dit Jésus, voilà votre fils. Ah ! c'est ici, dit-elle, le dernier adieu : mon Fils, c'est à ce coup que vous me quittez : mais, hélas ! quel fils me donnez-vous en votre place ? et faut-il que Jean me coûte si cher ? Quoi, un homme mortel pour un homme-Dieu ! Ah ! cruel et funeste échange ! triste et malheureuse consolation ! Je le vois bien, ô divin Sauveur, vous n'avez pas tant dessein de la consoler, que de rendre ses regrets immortels. Son amour accoutumé à un Dieu, ne rencontrant en sa place qu'un homme mortel, en sentira beaucoup mieux ce qui lui manque ; et ce fils que vous lui donnez semble paraître toujours à ses yeux, plutôt pour lui reprocher son malheur que pour réparer son dommage. Ainsi cette parole la tue, et cette parole la rend féconde : elle devient mère des Chrétiens, parmi l'effort d'une affliction sans mesure. On tire de ses entrailles ces nouveaux enfants avec le glaive et le fer, et on entrouvre son cœur avec une violence incroyable, pour y entrer cet amour de mère qu'elle doit avoir pour tous les fidèles. Chrétiens, enfants de Marie, mais enfants de ses déplaisirs, enfants de sang et de douleurs, pouvez-vous écouter sans larmes les maux que vous avez faits à votre Mère ? pouvez-vous oublier ses cris, parmi lesquels elle vous enfante ? L'Ecclésiastique disait autrefois : N'oublie pas les gémissements de ta mère. Chrétien, enfant de la croix, c'est à toi que ces paroles s'adressent : quand le monde t'attire par ses voluptés ; pour détourner l'imagination de ses délices pernicieuses, souviens-toi des pleurs de Marie, et n'oublie jamais les gémissements de cette Mère si charitable. Dans les tentations violentes, lorsque tes forces sont presque abattues, que tes pieds chancellent dans la droite voie, que l'occasion, le mauvais exemple, ou l'ardeur de la jeunesse te presse, n'oublie pas les gémissements de ta Mère. Souviens-toi des pleurs de Marie, souviens-toi des douleurs cruelles dont tu as déchiré son cœur au Calvaire, laisse-toi émouvoir au cri d'une Mère. Misérable, quelle est ta pensée ? veux-tu élever une autre croix pour y attacher Jésus-Christ ? veux-tu faire voir à Marie son Fils crucifié encore une fois ? veux-tu couronner sa tête d'épines, fouler aux pieds à ses yeux le sang du Nouveau Testament, et par un si horrible spectacle rouvrir encore toutes les blessures de son amour maternel ? A Dieu ne plaise, mes frères, que nous soyons si dénaturés ! laissons-nous émouvoir aux cris d'une Mère. Mes enfants, dit-elle, jusque ici je n'ai rien souffert, je compte pour rien toutes les douleurs qui m'ont affligée à la croix ; le coup que vous me donnez par vos crimes, c'est là véritablement celui qui me blesse. J'ai vu mourir mon Fils bien-aimé ; mais comme il souffrait pour votre salut, j'ai bien voulu l'immoler moi-même ; j'ai bu cette amertume avec joie. Mes enfants, croyez-en mon amour ! il me semble n'avoir pas senti cette plaie, quand je la compare aux douleurs que me donne votre impénitence. Mais quand je vous vois sacrifier vos âmes à la fureur de Satan ; quand je vous vois perdre le sang de mon Fils en rendant sa grâce inutile, faire un jouet de sa croix par la profanation de ses sentiments, outrager sa miséricorde en abusant si longtemps de sa patience ; quand je vois que vous ajoutez l'insolence au crime, qu'au milieu de tant de péchés vous méprisez le remède de la pénitence, ou que vous le tournez en posons par vos rechutes continuelles, amassant sur vous des trésors de haine et de fureur éternelle par vos cœurs, endurcis et impénitents ; c'est alors que je me sens frappée jusqu'au vif ; c'est là, mes enfants, ce qui me perce le cœur, c'est ce qui m'arrache les entrailles. Voilà, mes frères, si vous l'entendez, ce que vous dit Marie au Calvaire. C'est de ces cris, c'est de ces paroles que vous entendrez retentir tous les coins de cette montagne, si vous y allez durant ces saints jours. C'est en ce lieu que je vous invite, durant ce temps sacré de la passion : c'est là que le sang et les larmes, les douleurs cruelles du Fils, la compassion de la Mère, la rage des ennemis, la consternation des disciples, les cris des femmes pieuses, la voix des blasphèmes que vomissent les juifs, celle du larron qui demande pardon, celle du sang qui sollicite miséricorde, celle de vos péchés qui provoque la justice, feront sur vos cœurs des impressions propres à vous faire entrer dans tous les sentiments qu'exigent de vous les grands mystères qui s'opèrent pour votre rédemption ; et après en avoir recueilli le fruit et les avoir accomplis en vous, vous en recevrez la consommation dans la gloire, que je vous souhaite. Jacques-Bénigne Bossuet

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