« Parlez-moi d’amour.. ».
C’est tout un poème
Peut-être serais-je très fébrile dans ce texte en m’adressant à mes lectrices et mes lecteurs mais je pourrais toujours me « vaincre » pour retenir votre attention, pour vous emmener
dans ce monde qui se dessine autour de celles et ceux qui fleurtent avec l’amour…
C’est une autre histoire que de parler de l’amour et ce n’est pas la fébrilité qui m’assaille et qu’il faudrait vaincre mais la douloureuse
expérience de la page blanche. Que dire de l’amour ? Tentons de démêler quelques fils pour suggérer quelques pistes.
La situation envisagée initialement, celle de tomber amoureux, semble être largement partagée en tant qu’expérience. Pourtant cette commune
expérience est toujours vécue comme la plus singulière et c’est cette unité du commun et du singulier qui doit retenir notre attention.
Être amoureux, relève de ce que je reçois sans réellement savoir ni comprendre ce qui m’arrive et dans le même temps je l’exprime en disant que j’aime, que je t’aime. Dans une même expérience se trouve uni ce qui apparaît comme inconciliable, un état et une action.
Le commun c’est cet état connu quasiment de tous, comparable à la maladie et qui pourtant s’en différencie en ce que le rapport que j’entretiens avec la maladie reste, en une large mesure,
un rapport d’extériorité alors que l’amoureux ne se sent pas seulement attiré par l’être aimé, c’est tout son être qui est impliqué et qui le pousse à vouloir, à vouloir la rencontre, à
rester dans cet état… qui le pousse à agir.
Comme l’a fort bien dit Anthénéos, l’amour n’a rien d’une « nécessité de nature » sinon il faudrait dire : «Je vous aime parce que je suis tombé amoureux de vous, je le
constate ; ceci n’était ni prévu ni voulu, mais c’est plutôt fort et ça ne me déplaît pas. Je ne sais comment cela évoluera, je vous tiendrai au courant ».
Le singulier se manifeste dans cet acte libre par lequel je m’adresse à l’autre pour qu’il consente à mon amour sans savoir s’il y consentira et il n’est pas question de lui extorquer car
alors il ne s’agirait plus d’amour.
C’est là où l’on voit que nous nous plaçons dans un tout autre registre que celui du droit car ici aucune plainte n’est recevable, ni non plus dans l’ordre moral car l’amour ne saurait être
un devoir lequel présuppose toute la distance qu’il doit y avoir entre « ce qui est » et « ce qui doit être ». L’amour se vit.
J’entends le murmure : que faire alors du commandement évangélique qui dit « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même » ? Quel sens lui donner ?
C’est l’énigme même de l’amour qui est posée car il paraît clair que nous sommes bien en présence d’un commandement c'est-à-dire être du côté de la morale et d’un autre côté il semble, comme nous
l’avons esquissé précédemment, que l’amour et la morale ne soient pas du même ordre.
Essayons d’éclairer ce précepte. Il s’agit d’aimer son prochain c'est-à-dire non pas tout le monde mais celui qui est proche et qui, pour être
tel, ne peut être qu’un être déterminé ; aimer son prochain ce n’est pas l’amour universel si cela doit être l’amour de tous, c’est l’amour de ceux qui sont proches et il est clair que tous
ne peuvent l’être simultanément ; ce qui est universel c’est que tout proche sera envisagé sur le mode de cet amour.
Ce prochain sera aimé comme je m’aime c'est-à-dire non autant que je m’aime mais de la
même façon car je m’aime comme moi-même… j’ai été aimé.
Aimer c’est vouloir être aimé et ceci c’est la vie même, le mouvement même de la vie et la vie échappe à toute catégorisation et ne peut jamais
se dire en termes adéquats. Dans l’amour, ce qui est coïncide avec ce qui doit être et c’est
pourquoi ce commandement n’en est pas vraiment un.
D’ailleurs, le « tu aimeras » que nous entendons comme un impératif s’exprime au futur de l’indicatif et peut être également entendu comme une promesse, une promesse d’amour et non
comme une règle.
Comme quoi, peut-être bien que l’amour ne vise ni le plaisir ni le bonheur mais le cœur même de l’homme.
« Hé » oui… c’est tout un poème… à défaut d’être une sinécure