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Jaggernauth.

Par Ananda
Jaggernauth.


Un jour, le rouleau compresseur de la destruction se mit en marche, avec un énorme bruit de ferraille, de casseroles, de cacophonie qui nous écorchait les oreilles.
Le vrombissement montait de quelque part par là...De là où l'horizon se voilait la face derrière une chaîne de montagnes, à moins que ce ne fût une forêt (je ne m'en souviens plus). En tout cas cela nous fit à tous autant que nous étions un effet boeuf.
Le vrombissement montait, grossissait, grandissait.
Tous gestes suspendus, muscles tendus, aux aguets, nous l'écoutions gagner peu à peu en puissance.
Et croyez-moi, c'était vraiment impressionnant !
Rien n'était visible. Mais il s'était mis en branle. Il avançait en faisant vibrer l'air et le sol. En provenance de là-bas, de tout là-bas au fond. Au fin fond de la plaine.
Le souffle destructeur avançait. Imposant. Là où il passait, il ratissait large et l'herbe renonçait à repousser, comme après Attila.
Le fait était qu'il gobait tout sur son passage. Il soufflait les choses. Sans, cependant, que rien ne bouge.
Il avait les mêmes effets qu'un cyclone et pourtant il ne charriait avec lui ni mouvement de vent, ni pluie violente. Non...le ciel restait étonnament dégagé, bleu.
Ce qu'on voyait, simplement, c'était que tout s'annulait...que tout se voyait annihilé, anéanti par une invidible et farouche volonté de faire table rase.
En un clin d'oeil, arbres, coteaux, fleuve se volatilisèrent. Rien ne pouvait opposer de résistance au rouleau compresseur. 
C'était rien moins que le rouleau compresseur de la destruction !
Et, un jour, il advint que ce rouleau compresseur-là s'ébranla. Dans un colossal ronronnement, qui vibrait et qui, de temps à autre, se ponctuait de toussotements rauques.
Nous avions tous les cheveux dressés sur la tête.
Les hululements des sirènes retentissaient. Mais trop tard. C'était trop tard, nous n'avions strictement rien vu venir.
La force, le flux déferlaient, depuis le fond de nulle part. De derrière l'horizon ou du profond du ciel...qui savait ? Qui aurait été en mesure de le dire ?
Les séismes ont un épicentre. La force du flux n'en avait pas.
Elle était comme une gigantesque main qui s'abat  et se referme sur le monde.
Elle approchait.
De proche en proche, elle avalait la chair du monde. Elle y plantait ses mâchoires d'acier elles aussi totalement invisibles, mais dont on sentait - et dieu sait si on la sentait ! - la puissance, dont on détectait le pouvoir d'arracher et de broyer, lequel surpassait tout autre pouvoir d'arracher, de broyer.
Nous finîmes par perdre notre verticalité glorieuse. Une pression surhumaine nous plaqua au sol.
On avait l'impression que le ciel avait jauni, ou peut-être verdi, et qu'il s'était solidifié dans le seul but de peser sur nos corps. Nous étions cloués et, tout en luttant pour nous arracher à cette pression de plus en plus lourde, nous nous demandions si nous n'étions pas tout bonnement en train de nous enfoncer dans le sol. Déjà, nous y avions creusé une profonde empreinte, une sorte de cratère. Après la lourdeur, la pesanteur féroce de la pression, vint la douleur, la sensation d'être poignardés par un objet pointu et à peu près aussi tranchant que le fil d'un coutelas. Nous sentions une lame se planter brutalement dans la chair de notre thorax et le transpercer, le défoncer, l'ouvrir proprement en deux, lui extorquant un élancement de souffrance qu'on ne pouvait décrire.
Nous entendions nos côtes qui produisaient un horrible bruit de craquement, nos chairs qui, elles, emplissaient notre ouïe d'un écoeurant écho flasque de pénétration des tissus mous.
La machine de guerre de la destruction était en marche. Elle faisait tout craquer, tout plier, tout ployer et tout grincer. Jusqu'à nos côtes, qui écrasaient de plus belle nos poumons, nous coupant le souffle.
Jusqu'à la terre qui n'en finissait pas de s'effondrer, de se craqueller. De se laisser entailler puis parcourir par des lézardes aussi longues que larges, à vrai dire non plus, à ce stade, des lézardes, mais de véritables canyons.
Quand le chariot de la destruction fut passé, il ne restait plus rien.
Nous rouvrîmes des yeux surpris sur une terre dévastée.
Endoloris, perclus, nous reprîmes (avec peine) la position verticale.
Le sol avait été mis sens dessus dessous comme par un bulldozer.
Tout avait été fauché comme par la pire des tornades.
Le silence qui régnait désormais était lisse, glacial. Sidéral.
Au point que nous n'étions pas loin de penser que le souffle de notre respiration était malvenu, voire blasphématoire dans un tel contexte.


P.Laranco.

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