Magazine Bien-être

La vie tourne en rond

Publié le 25 septembre 2008 par Brunetisa
Aujourd’hui je vous propose un très joli et très émouvant texte de Tatiana Potard « La vie tourne en rond » , extrait de la revue « La dixième Muse » de septembre 2008 :
« Tout cela résonne encore en moi comme autant de rires, d'odeurs et de sonorités. Ton rire lorsque, sachant à peine marcher tu m'as retrouvée essayant de suivre une mouche en escaladant les parois d'un mur. Ce rire en cascade, franc et assourdissant de beauté.
Odeurs. Odeur de la terre mouillée après cette putain d'averse tant attendue. Eau nourricière qui fait germer les graines et pousser les légumes. Terre qui macule mes phalanges tandis que, le nez dans les pommes de terre, je peste allégrement que je ne serai jamais une paysanne mais une citadine. Terre argileuse qui alourdit mes semelles et qui me manque tant aujourd'hui.
Odeur de l'herbe fraîchement coupée. Odeur du foin que je retourne méthodiquement pour y découvrir la dernière tribu de notre chatte. Odeur de la purée de légumes. Purée qui était ta fierté lorsque tu moulinais à tour de bras ce vieux pressoir en inox. Odeur du lait chaud qu'il fallait aller chercher à la ferme avec un petit pot. Odeurs de mes souliers neufs et de mon cartable, portés comme autant de trophées chaque rentrée de septembre. Odeur de ton cou lorsque j'y posais tendrement ma joue pour te faire un câlin ou un bisou-papillon.
Une vie simple, sans chichis ni fioritures. Une vie saine de petites gens de la campagne. Sonorités. Cocorico au lever du jour. Volets qui claquent avec le vent. Lattes du grenier qui grincent en pleine nuit et qui me font passer des heures blanches, la tête cachée sous mon lourd édredon de plumes. Bruit des tics tacs des réveils mécaniques, bien trop nombreux, qu'il fallait remonter le soir venu. Un comble pour cette maison où s'est figé le temps. Crépitements des bûches dans le vieux poêle Godin que tu tisonnais plusieurs fois par jour. Garder la flamme...
Bruit du ballon de foot qui tape si fort le bitume qu'il rend folle la voisine. Et nos cris enfantins qui sont autant de doigts d'honneur dressés à la solitude...
Les après-midi dînette où tu m'apprenais à être une vraie maîtresse de maison. Puisque savoir cuisiner c'est essentiel pour trouver un mari. Alors, je m'appliquais à concocter de bonnes salades composées de cailloux, de vers de terre et de pétales de pensées multicolores. Tu faisais mine d'adorer. Ne jamais faire de la peine à un enfant qui a cuisiné pour vous. Ne jamais briser ce sentiment de bonheur de sustenter celle qui vous donne la béquée depuis tant d'années.
Insouciance et petites joies passées, pourtant si présentes...
96 printemps et autant d'hivers. Les rosiers sont en fleurs et les fraises rougissent de plaisir. J'étouffe. Tu as perdu 20 kilos. La peau sur les os. Ta bonhomie d'antan n'est plus qu'un lointain souvenir.
Sur les murs, la photo de tes trois enfants, partis avant toi, et puis, la mienne. Je suis tout ce qui te reste et tu ne me reconnais plus. Pour toi, je n'ai plus d'âge. Je suis à la fois mère, tante, fille, petite-fille et étrangère.
Les ailes du moulin à paroles que tu étais ne tournent plus bien vite mais ton coeur, mais ton coeur, bat encore. Je me surprends à penser que sans cette pile qui métronome ta vie, tu ne serais plus là. Non, tu ne souffres pas. C'est déjà ça.
Viens petite mère courage. Viens, il fait soleil, viens allons jusqu'au bout du jardin. Tu claudiques sur le gazon et l'allée de pierres. Terre en jachère que tu aimais tant cultiver. Tu te places entre nous. Tu prends la main de celle qui partage ma vie puis, la mienne. Oui, je sais cuisiner. Non, je n'ai pas trouvé de mari. Regarde, j'ai une femme. On ne devient pas toujours ce que nos parents voudraient de nous.
Tu serres fort mes doigts tremblants. Tu balances tes bras flasques comme si tu avais cinq ans et qu'on t'amenait à l'école. Tout explose dans mes tempes. Je pleure sur ce que tu étais et que tu ne seras jamais plus.
La vie tourne en rond. 96 printemps et autant d'hivers. Ma grand-mère est redevenue une enfant. »
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