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Sartre/Camus : le mot de la fin

Publié le 27 septembre 2008 par Frontere

Sartre/Camus : le mot de la finCette citation de Jean-Paul Sartre (il réagit à la mort d'Albert Camus) extraite d'un livre de Jean Daniel (1) :

" [...] Nous étions brouillés lui et moi : une brouille, ce n'est rien - dût-on ne jamais se revoir - tout juste une autre manière de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petit monde étroit qui nous est donné. Cela ne m'empêchait pas de penser à lui, de sentir son regard sur la page du livre, sur le journal qu'il lisait et de me dire : "Qu'en dit-il? Qu'en dit-il EN CE MOMENT?"

(...) Il représentait en ce siècle, et contre l'Histoire, l'héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu'il y a de plus original dans les lettres françaises. Son humanisme têtu, étroit et pur, austère et sensuel, livrait un combat douteux contre les événements massifs et difformes de ce temps. Mais inversement, par l'opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait, au cœur de notre époque, contre les machiavélismes, contre le veau d'or du réalisme, l'existence du fait moral.

Il était pour ainsi dire cette inébranlable affirmation. Pour peu qu'on lût ou qu'on réfléchît, on se heurtait aux valeurs humaines qu'il gardait dans son poing serré : il mettait l'acte politique en question. "

Le texte intégral se trouverait, selon mon ami Michel Boissard, dans Situations (je ne sais pas exactement quel numéro accolé [IV?], les Sartriens me le pardonneront!).

Dans une sorte de mise en abyme, nous pourrions à notre tour commenter cette réaction.

On peut y voir un magnifique hommage à Albert Camus (1913-1960) avec qui Sartre s'était brouillé (le terme est faible!) en 1952 : il ne lui avait pas pardonné L'Homme révolté qui dénonçait le totalitarisme, à l'est mais aussi dans l'Histoire ; notamment, l'épisode de la Terreur sous la Révolution.

Ce fut, davantage qu'une brouille, une rupture brutale, et définitive, ce qui ne les empêchait pas l'un et l'autre de s'observer ... mais à distance.

Jean-Paul Sartre atténue ici le sens de cette rupture, il la dédramatise, il resitue Camus dans une tradition, celle des moralistes des XVIIe et XVIIIe siècle : les La Rochefoucauld, La Bruyère, Chamfort, etc. et il lui reproche en même temps une forme d'incapacité à accéder à la catégorie du politique.

À l'extrême rigueur, on peut déceler dans ce texte une certaine ambiguité, je pencherais pour ma part en ce sens. Le refus prêté à Camus de l'historicité, héritière de Hegel et du marxisme, sa tendance à discerner dans l'événement, et ce de manière intrinsèque, le fait moral bornerait l'univers de la pensée de l'auteur de L'Étranger.

Pourtant, une forme d'autocritique sourd dans le rappel des "machiavélismes" des années de guerre froide et du "veau d'or du réalisme" auxquels Sartre n'est pas resté étranger, et pas toujours à son corps défendant.

On le sait, un accident automobile, le 4 janvier 1960 sur une départementale de l'Yonne, met un terme à la carrière littéraire et à la vie - au moins sur terre (2) - de Camus, ainsi qu'à son débat avec le philosophe existentialiste (3). Le mot de la fin appartient alors à Jean-Paul Sartre : reconnaissons qu'il n'a manqué en la circonstance ni de mansuétude ni de grandeur. Noblesse oblige.

(1) Jean Daniel, Avec Camus, Gallimard, 2006, 9 € 50

(2) " Je crois aux forces de l'esprit, je ne vous quitterai pas ", François Mitterrand (vœux présidentiels, décembre 1994)

(3) c'est à tort, à mon sens, que d'aucuns classent parfois Albert Camus chez les existentialistes

Sartre/Camus : le mot de la fin

À propos de mfrontere

Vous en une ligneNé près des rives de la Méditerranée, je me sens des affinités particulières avec les gens qui vivent le long de l'ancienne Via Domitia romaine, quelque part entre Rome et BarceloneBiographieNé à Béziers (Hérault) dans une famille ouvrière de quatre enfants, père : maçon, mère au foyer, dont je suis le 3ème, je vis dans le sud de la France Cadre en relation avec la vie des collectivités locales, je suis titulaire des diplômes suivants : - jusqu'au baccalauréat : certificat d'études primaires élémentaires (1968) ; brevet d'études du premier cycle du second degré (B.E.P.C., 1971) ; baccalauréat de l'enseignement du second degré, série philosophie-lettres, diplôme obtenu avec mention du jury (1975) - universitaires : * Diplôme de l'Institut d'études politiques (I.E.P.) de Grenoble-II (Université Pierre Mendès France), section politique et sociale (octobre 1982) * Diplôme d'études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) en administration économique et sociale, option administration locale, de l'Université Paris-XII, diplôme obtenu avec mention du jury (novembre 1986) * Licence de lettres, option "lettres modernes", de Montpellier-III (Université Paul Valéry, mai 2006) Je prépare actuellement le master (anciennement maîtrise) de "Littératures française et comparée" Réussite examens et concours : - concours de l'Ecole normale d'instituteurs de Montpellier, 1971 (j'ai démissionné de l'Education Nationale pour reprendre mes études à l'Université) - examen professionnel d'attaché principal territorial, reçu avec mention du jury (1991) - rapports et études : "Le contrat insertion - revenu minimum d'activité : étude de mise en oeuvre dans le Gard et perspectives" (2004) ; "Un mécanisme précurseur de la décentralisation : le fonds départemental d'équipement des communes (F.D.E.C.) dans la Nièvre" (1986) Pour soutenir le journal, je suis actionnaire de la Société des Lecteurs du "Monde" et de son groupe de presse "LMPA" (Le Monde Partenaires Associés) Avertissement : 1/ Le blog "fragments.fr" © est hébergé sur le site du quotidien "Le Monde" 80 boulevard Auguste-Blanqui 75707 Paris Cedex 13 ; les articles, opinions et points de vue exprimés sur ce blog ne sauraient en aucun cas engager la rédaction du journal ni la responsabilité du "Monde" 2/ Les photos et extraits d'oeuvres publiés sur ce site, qui ne sont pas de mon fait, sont réputés avoir acquis un caractère public. Si vous êtes un ayant-droit d'une de ces photos - ou de l'une de ces oeuvres - et que vous ne souhaitez pas qu'elle apparaisse sur mon blog, merci de me l'indiquer par e-mail. Je la retirerai à réception de votre message ; ce site entend en effet se conformer aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L.111-1 et L.122-4 Le même principe vaut pour les sites auxquels renvoient les liens hypertextes 3/ Conformément à l'article 6.IV 1er alinéa de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, les personnes qui s'estimeraient mises en cause sur ce blog bénéficient d'un droit de réponse que je leur propose d'exercer selon des modalités à définir en commun 4/ Certains liens hypertextes sont susceptibles de ne plus fonctionner correctement après un certain temps Centres d'intérêtJ'aime la littérature (Walter Benjamin, Balzac, Valéry Larbaud, Patrick Modiano, Alberto Moravia), et surtout la poésie ; j'aime aussi les Chinoises ; Emmanuelle Béart ; Alain Bashung que j'ai vu trois fois en concert en 2004 (Théâtre de Nîmes, Printemps de Bourges et Paris, salle de l'Elysée-Montmartre) ; William Sheller ; les traités de ponctuation

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