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Les aventures du Prince Lexomil : XXIX

Publié le 30 septembre 2008 par Porky

Episode 29

Les différentes façons d’essayer de rencontrer sa bien-aimée, en l’occurrence Damoiselle Citalopram-Biogaran

L’irruption dans son histoire d’une jumelle jusque-là inconnue et pourvue d’un caractère fort désagréable impressionna si fortement notre Prince qu’il en resta silencieux, la main sur la joue, se contentant de regarder la porte se refermer à grand bruit devant sa gracieuse personne. « Seigneur, finit-il par penser, voilà un nouvel obstacle sur ma route ! Ma bien-aimée a une sœur qui, visiblement, ne désire pas me laisser entrer pour présenter mes hommages. Comment arriver jusqu’à Damoiselle Citalopram-Biogaran sans me heurter une nouvelle fois à cette harpie ? » Il en était là de ses réflexions lorsque la porte se rouvrit de nouveau et « la harpie » réapparut. « Je vous interdit de squatter le seuil de notre maison ! glapit-elle. Vous allez disparaître sur le champ ou je vous colle une autre baffe ! » « Vous n’avez que le mot interdit à la bouche », protesta le Prince. « Si c’est cela qui vous choque, je peux le remplacer par verboten ou forbidden » rétorqua la Damoiselle en levant la main et Lexomil, sans demander son reste, commença une retraite accélérée qui le mena loin de la demeure de Madame La Bourgmestre, sur la place centrale de la ville.

La situation paraissait quelque peu bloquée. Mais notre héros en avait vu d’autres au cours de son périple. Planté au beau milieu de la place, il ferma les yeux et se raidit du mieux qu’il put : « la force est en moi », psalmodia-t-il pendant cinq bonnes minutes au terme desquelles il se sentit toujours aussi déprimé. Puis, il eut la bonne idée de regarder autour de lui : sur un des côtés de la place, se dressait l’Hôtel de Ville, monument majestueux s’il en était, en haut duquel flottait vaillamment le beau drapeau du Royaume de Déprime. « Mais c’est bien sûr ! » s’exclama-t-il en se frappant le front. Puisque la demeure privée de Damoiselle Citalopram-Biogaran lui était interdite, il fallait s’adresser directement à la mère de la susnommée, à savoir la Bourgmestresse en personne. Et à cette heure-là, elle devait se trouver à son bureau en train de régler les innombrables affaires qui sont le labeur quotidien de tout bourgmestre qui se respecte.

Le Prince Lexomil s’attaqua donc à la montée de la volée d’escaliers, poussa la porte de la Bourgmestrerie, et se trouva dans un hall au milieu duquel trônait un huissier assis à une petite table. Devant lui, une clochette, un grand registre, un encrier, une plume d’oie et un réveil électronique. L’incongruité de ce dernier objet étonna le jeune homme mais il se garda de manifester sa désapprobation. « C’est à quel sujet ? » s’enquit l’huissier d’un air extrêmement affairé et ennuyé. « Je désirerais voir Dame Séropram, Bourgmestresse de son état », dit poliment Lexomil. « Avez-vous rendez-vous ? » « Point. Mais je suis amoureux de sa fille Damoiselle Citalopram-Biogaran et aimerais lui demander sa main. » « Le moment est mal choisi, répliqua l’huissier. Dame Séropram est en conférence avec son conseil municipal et traite de sujets fort importants. Prenez rendez-vous. » « Je veux bien, dit Lexomil. Dans deux heures, ça va ? » « Madame La Bourgmestresse est très occupée, lui répondit-on. Je ne peux vous donner rendez-vous que dans cinq mois, et encore, c’est bien pour vous faire une fleur et parce que je compatis aux déboires de votre impatience amoureuse. » « Ca va pas ! s’exclama Lexomil, outré. Je veux un RV tout de suite ! Je suis un citoyen de ce royaume et j’exige… » « Mon dieu, que c’est ennuyeux, coupa l’huissier. Vous allez m’obliger à lâcher les chiens. » « Les chiens ? répéta bêtement Lexomil. Quels chiens ? » « Ceux qui vont se jeter sur vous dans trente secondes si vous n’avez pas débarrassé le plancher. »

La minute qui suivit vit Lexomil dévaler en courant l’escalier et se jeter dans la première rue venue, poursuivi par une meute de dogues qui salivaient rien qu’à l’idée de goûter ses mollets. Lorsqu’il les eut semés, il s’aperçut, essoufflé et en nage qu’il était revenu non loin de la maison de sa bien-aimée. « Très bien, se dit-il. Puisqu’on m’interdit une visite officielle, je ferai une visite officieuse. Faisons le tour de la demeure, il doit bien y avoir une fenêtre entrouverte. »

Heureusement que personne ne prêta attention au spectacle qui se déroula alors dans le jardin cernant le palais de la Bourgmestresse. On eut vu quelque chose qui eut fortement déplu à sa Majesté Xanaxa : un prince à quatre pattes en train de se frayer un passage à travers quelques buissons, s’écorchant les genoux sur les cailloux de son chemin de croix et pestant d’une manière fort peu royale contre les « sans cœur » qui obligeaient les amoureux à se livrer à de telles singeries. Mais cet exercice physique eut bientôt sa récompense. Les zélés domestiques de Dame Séropram avaient négligé de clore une des fenêtres du rez-de-chaussée. La façon dont elle bâillait était une invitation on ne peut plus claire à entrer. Le prince se redressa précautionneusement et jeta un regard dans la pièce. Une damoiselle était assise dans un fauteuil, au coin de la cheminée, et semblait plongée dans la lecture attentive d’un livre qui devait peser –au bas mot- dans les vingt-cinq kilos vu son énormité. « Zut ! pensa Lexomil. A laquelle des deux jumelles vais-je avoir affaire ? Ma bien-aimée ou la tordue ? » Un autre regard sur le visage de la jeune fille le rassura aussitôt. Jamais on n’avait vu expression plus pensive, plus douce, plus sereine sur visage de Damoiselle. Ce ne pouvait être l’affreuse Citalopram-Beurk.

L’amour donne des ailes, dit-on. Encore faut-il que l’amoureux sache s’en servir. Hélas, ce n’était pas le cas de notre pauvre Lexomil. Emporté par sa fougue amoureuse, il se hissa sur le rebord de la fenêtre à la force des poignets, tenta un rétablissement, oublia d’ouvrir ses ailes et dégringola à grand bruit à l’intérieur de la pièce. La Damoiselle poussa un cri et se leva d’un bond. De sorte qu’au vacarme de la chute princière s’ajouta celui du livre prenant rudement contact avec le parquet.

« Oh ciel ! s’écria la Damoiselle en joignant les mains. Qui entre ici d’une façon aussi peu protocolaire ? » « C’est moi », fit Lexomil, tentant de se relever mais un rideau l’avait agrippé de sa main traîtresse et le maintenait rudement à terre. « Qui, moi ? » demanda la jeune fille, révélant ainsi un esprit fort logique. Le rideau s’agita désespérément. « Moi, votre bien-aimé », expliqua Lexomil du mieux qu’il put. La belle eut un mouvement d’épaules désespéré. « Hélas, je n’ai point de bien-aimé ! gémit-elle. Vous mentez effrontément et vous êtes un cambrioleur ou un envoyé de ma sœur pour me briser une fois de plus le cœur en se moquant d’une manière éhontée de mon état de célibataire. » « Point, point, fit Lexomil, de plus en plus prisonnier du rideau. Si vous vouliez bien m’aider à me désenrouler, je vous expliquerais tout. » Mais la Damoiselle avait déjà tiré sur le cordon d’une sonnette. « Je ne veux rien entendre, dit-elle. Et surtout pas vos mensonges. » Un domestique entra. « Veuillez me débarrasser de cette chose gémissante », dit-elle en désignant le rideau, pris de soubresauts frénétiques. « Parlez-vous du rideau ou de la personne qui est dedans, ô damoiselle ? » s’enquit le domestique. « Des deux, mon ami. Jetez l’individu à la décharge publique ainsi que le rideau. De toutes façons, je le trouvais affreux, ce sera l’occasion de le remplacer. »

Et c’est ainsi que le pauvre Prince se retrouva chargé sur les épaules gigantesques d’un domestique dont la hauteur devait avoisiner les deux mètres et la largeur les trois mètres et conduit en dépit de ses protestations vers une sorte de remblai qui servait de dépotoir et sur lequel on le jeta sans ménagement.

(A suivre)


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