Magazine Régions du monde

"View Master"

Publié le 20 septembre 2008 par Vivreenislande @vivreenislande
Il y a quelques jours, j'ai reçu par hasard un mail des Éditions Arhsens invitant ceux qui le souhaitaient à participer à un concours international de nouvelles organisé par l'association Sky Prod.
Me sentant trop peu entraîné pour ce genre d'exercice et doutant par ailleurs de parvenir à produire un bref récit suffisamment abouti pour mériter une quelconque récompense, j'ai supposé que, peut être, je pourrais laisser les fidèles lecteurs de ce blog décider pour moi.

En gros, je vous donne à lire (ci-après) la nouvelle en question et vous me laissez un très bref commentaire - genre "why not ?" ou "heu, joker !" - qui achèvera de me convaincre de participer ou pas à ce concours.

Thème imposé : la tentation.
Date limite des inscriptions : 9 novembre. Ça vous laisse un peu de temps.
Merci.
L'enfant prenait le petit disque en carton et l’insérait dans le boîtier en plastique.
Puis il regardait à travers les lunettes de cet écrin magique qui restituait les images en 3D.
Au premier plan,
trônaient fièrement un officier de la Police Montée canadienne et un chef indien en grandes tenues, accoudés, côte à côte, à la rambarde d'un pont. En contrebas coulait un immense fleuve qui s'engageait, en méandres et à perte de vue, dans un décor de montagnes gigantesques. Un paysage de pics échancrés et découpés, de sommets coiffés de neige de printemps. Un ciel couleur de ciel, quelques nuages blancs et duveteux, qui prenaient parfois la forme des délires de son imagination et qui à cette seconde n'existaient plus. La nature sauvage pénétrait le corps de l'enfant.
Il rêvait. Assis et penché au-dessus de la lampe allumée, les yeux rivés sur le décor de ses chimères, il concevait les scénarii improbables d’aventures héroïques, de belles en détresse à secourir et de bandits à capturer. Des frissons de plaisir lui chatouillaient l'échine et son cœur battait la chamade. Un sourire de béatitude s'esquissait d’abord, sans même qu'il s'en rende compte et illuminait son visage. Pourtant il avait peur et son ventre lui faisait mal. Une crainte sourde et mystérieuse qui le poussait à s'interroger, à comprendre qui il était, qui il voulait être, qui il pourrait être. Une appréhension qui témoignait de la transformation qui s'opérait en lui. Elle modifiait ses désirs, sa personnalité, le faisait à la fois douter et espérer. Plus qu'une image, plus qu'une photographie, plus qu'un mirage dans une boîte de plastique, c'était la vision d’un avenir possible qui prenait forme, l'éthique de sa vie qui s'ébauchait. Une existence faite de risques, d'aventures, de voyages, de rencontres, de couleurs, d'émotions. Serait-il écrivain, journaliste, explorateur, aviateur, ambassadeur ? Il n’en savait rien. Il voulait être un grand homme. Ça il le savait. Courageux et juste. Il voulait être aimé. Il souhaitait que sa vie soit à la hauteur de ses rêves. Il le souhaitait tant.
Serait-il un jour plus heureux qu’en ces instants ?
Chaque fois, toujours assis, l'enfant reposait la boîte, éteignait la lampe et demeurait de longues minutes dans l'obscurité. Des larmes salées glissaient ensuite jusqu'à ses lèvres, silencieusement, tandis qu'il observait depuis sa fenêtre la rue triste et inanimée, à peine éclairée par les réverbères blafards. Sa rue, depuis 10 ans déjà.
Des larmes pour soulager ses sourires et permettre à ce bonheur inédit, inconnu d’exprimer son intensité. La joie perlait sur ses joues comme les gouttes d’une rosée matinale sur la tige d’un coquelicot. Il laissait ces vagues euphoriques l’envahir de bien être et troubler son visage, devenu mirage le temps d’un sanglot.
Une cloche, au loin, vient de sonner et a sorti l’homme de son mutisme.
Il y a 60 ans aujourd’hui, il avait 10 ans. Ses envies, ses désirs, ses rêves d’alors ont creusé sa figure. Les sourires ont disparu. Désormais, seules les larmes hésitent, se regroupent en petites flaques translucides dans les rigoles roses, puis reprennent leur cheminement incertain sur le visage ridé, alors qu’elles coulaient sur la peau lisse de l’enfant, telles des étoiles filantes moites, diaphanes et prometteuses.
Tantôt il se concentre sur ses souvenirs, tantôt il laisse les larmes noyer sa peine et brouiller sa vision. L’homme joue désormais avec sa tristesse comme il réglait, enfant, l’objectif de sa boîte à rêves. Parfois net, souvent flou.
A ces envies-là s’est substituée la tentation d’en finir.
Il fait encore jour. Le sillon oblique d'une lumière qui agonise pénètre par la fenêtre entrouverte de la petite pièce. Tout est calme. Dehors, quelque part, il entend par intermittence la voix d'une femme, qui claque comme une porte avec le vent.
Parfois, comme une caresse invisible le souffle léger d'un été annoncé parvient jusqu'au vieil homme. Cet air chaud fait tanguer le duvet blanc de ses bras comme cent marins enivrés titubant sur un ponton de chair.
Une grosse mouche vient d'entrer, sans doute portée par cette brise cajoleuse. Le moteur ailé, miniature et bourdonnant entame ses figures épatantes d'un bout à l'autre de son espace. Tonneaux, boucles, retournements... dans le clair-obscur de la chambre, c'est à nouveau le vrombissement de sa bouche qu’il entend, et les loopings d'un d'avion de plastique qu'à cet instant il entrevoit, lorsque enfant il faisait virevolter ses rêves d'aventures.
Pendant un long moment il demeure ainsi avec ses souvenirs. Il attend. Cela fait 70 ans qu’il patiente. En vain. Sa fascination naïve pour un destin qui lui était jadis interdit s’est mue en résignation. Aujourd’hui ne lui reste que le souvenir de cet espoir imaginaire, de ces tentations auxquelles il ne cédera pas. Le souvenir seulement. Il le sait bien l’homme que la magie des moments plaisants dont nous nous acharnons à retrouver les saveurs, tient autant à leur caractère éphémère, qu’à l’impossibilité d’en savourer les réminiscences. Ces instants-là sont uniques. À jamais uniques.
À force d'attendre lui aussi, l’aviateur muscomorphe a interrompu ses démonstrations et décidé de filer ; il rebondit maintenant sur la vitre avec une absurde obstination.
« Le monde est décidément mal fait », se dit l’homme en voyant la mouche vigoureuse prendre son élan pour se cogner de plus belle.
Puis, las, il ouvre la porte de sa chambre en tendant le bras, et actionne la manette de son fauteuil roulant pour le faire avancer.

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