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Il a plu toute la journée (partie 2)

Publié le 30 septembre 2008 par M.

Quand j’en eus terminé avec le placard de l’entrée, il était l’heure de déjeuner. Personne n’avait vraiment faim, il s’agissait plus de nous régénérer au contact les uns des autres que de nous alimenter réellement. Je ne pris qu’un café, avec un carré de chocolat. Ma mère, pour une fois, n’insista pas pour que je mange, elle comprenait.

Dehors, la pluie avait repris. Je fumai donc sous le porche, bercée par le bruit des gouttes s’écrasant sur la tôle. Et je pensai soudain à cette baignoire en plastique orange qu’il mettait dans le jardin, l’été. Une piscine miniature pour mes cousines et moi. Je me mis en tête de la retrouver, de la garder avec les livres et le petit carnet, je demanderais à ma mère où donc cette baignoire pouvait se trouver. Et le vieux gilet gris, troué à la manche, qu’il me prêtait quand j’avais froid, le soir, devant la télé. Enfant, il m’arrivait au dessus des genoux et me faisait une robe. Plus tard, j’aimais le porter car il avait son odeur, un parfum que lui avait offert ma mère.



De toute la maison, le garage était sans nul doute la pièce la plus difficile à débarrasser. Il débordait littéralement. Des outils de partout, des étagères sur les quatre murs, même au dessus de la porte. De petites boîtes pleine de clous, vis et autres écrous. Certains minuscules objet dont j’ignorais jusqu’à l’existence et qui, j’en était persuadée, ne pouvaient se trouver qu’ici, dans le garage de mon grand-père. Il était un formidable bricoleur. Non, un formidable constructeur. Il savait tout faire, tout réparer. Il était grand et très musclé, sauf à la fin, bien sûr. Ses mains étaient toujours abîmées, coupures, brûlures, et il lui manquait une phalange à l’index gauche, souvenir de la guerre d’Indochine. La guerre… Il me l’avait tant racontée, mieux qu’un grand professeur ne l’aurait fait. Il était un livre vivant, et j’aimais lui demander de me lire ses pages, le soir, au coin du feu. Il aimait me les raconter, ses histoires, il aimait partager, il était d’une telle générosité…

Je quittai vite le garage, me sentant sur le point de craquer. Il ne fallait pas, pas maintenant. Plus tard, dans la solitude de mon lit, mais pas maintenant.

Je montai à l’étage rejoindre ma mère.


Elle était dans la chambre de mon grand-père. Assise sur le lit, silencieuse. Dans les mains, elle tenait sa médaille du travail.

- Il en était fier, tu sais…

Je savais.

Sous une pile de pulls, je trouvai son livret d’appel à la guerre. Dessus, il y avait la date, et sa signature. Quelques de ses missions, aussi. Je le glissai dans ma poche. Il y avait aussi une photo de ses neufs petites filles, probablement la seule que nous avions faite, elle datait d’une dizaine d’année. Une autre de lui et ma grand-mère, ils devaient avoir tout juste vingt ans, ils étaient beaux… Lui était si grand, et elle si menue. Elle avait les cheveux noirs, je l’ignorais, je lui avais toujours connu ces fines boucles blanches sur la tête. Sur la photo, il la tenait entre ses bras musclés.



Il était bientôt dix-huit heures lorsque l’étage fût vidé. Les hommes, par un intriguant miracle, étaient finalement venus à bout du garage. Ma mère et ma tante avaient fait du thé, dans la cuisine, une tasse chacun avant de partir.

- Tu viens ?

- Je descends !

Dans les escaliers, je croisai ma soeur. Assise sur une marche, les genoux repliés contre sa poitrine. Dans ses mains, une petite carte de carton rose, déssinée de papillons.

- C’est moi, la carte… C’était un cadeau pour son anniversaire. J’avais 5 ou 6 ans, je crois.

- Au coup de crayon, je dirais ça, oui.

- J’arrive pas à croire qu’il l’ait gardée.

- Il gardait tout.

- C’est vrai.

- Je tiens de lui, je crois : regarde.

Et je sortis de mon sac le carnet, les livres, les photos et les souvenirs divers.

- En effet… Moi, je n’ai pas osé. C’est difficile.

- Je dois être fétichiste. Ou juste masochiste.

- Non, malheureuse. On fait tout un tas de trucs débiles quand on est malheureux.

- T’as p’t'être raison. J’ai envie d’une clope

- Moi aussi. On va sur le balcon ?

Ainsi, nous fîmes une halte sur le balcon avant de rejoindre le reste de la famille, en bas, à la cuisine.

- C’est quoi, ta dernière image de lui ?

- Toi, dis moi ?

- C’est un secret ?

- Non, mais dis-moi d’abord.

- S’tu veux. Moi… c’est horrible. Je le revois le dernier jour, sur son lit d’hôpital. Il était maigre et pâle, ses yeux étaient presque transparents. Et ses mains tremblaient.

- …

- Voilà comment je me souviens de lui, c’est nul, hein ? C’est nul parce qu’il était tellement plus, tellement plus… Je regrette presque d’y être allée, je jour là, tu as de la chance de ne pas l’avoir vu, tu sais ?

- De la chance, je sais pas… Je ne l’aurais pas vu une dernière fois…

- Pour moi non plus c’était pas la dernière, tu sais. Enfin, je savais pas que c’était la dernière. Sinon…

- Ouais…

- … Et toi, alors : ton souvenir ?

- Moi… Tu te souviens, quand on était petite et qu’il se mettait à quatre pattes pour qu’on grimpe sur son dos ?

- Bien sûr !

- Tu te souviens de la façon dont il posait ses mains par terre ?

- Il ne posait pas ses mains, il posait ses poings !

- Voilà… Je revois ses poings fermés posés sur le carrelage du salon, son dos haut et droit, et toi et moi dessus.

- C’est un beau souvenir…

- Un beau souvenir, oui…

- Garde le.

Elle me pris alors par le bras et nous descendîmes à la cuisine.


Une tasse de thé, quelques plans pour les jours à venir, des coups de fil, des rendez-vous. Et des étreintes, des baisers, par trois, sur les joues.

Ma mère, ma soeur et moi partîmes les dernières. Je n’avais pas retrouvé la baignoire orange. Ni le gilet troué à la manque. Je supposai que le temps avait eu raison d’eux, comme de tant d’autres…


Ma mère me fit promettre de lui téléphoner dès que je serais arrivée. Et d’être, prudente sur la route, bien sûr, avec cette pluie…

Son téléphone portable sonna, c’était mon père. Il était bloqué à Paris, grève du service aérien, comme souvent. J’attendais qu’elle ait terminé sa conversation pour l’embrasser, et prendre le volant.

- Oui… Oui, et toi ? … Demain matin ? A neuf heures, ok, je viens te chercher. … Oui, bien sûr, appelle moi pour confirmer, avec eux on ne sait jamais. … Oui, ça va, enfin, comme ça peut. … Je te raconterai. … Il a plu toute la journée, mais… c’est fait.


Elle avait tort. Rien n’était fait. Ce ne serait jamais fait.

  

  

  

  

  

  





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