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Shingo La ou I comme Icare

Par Pandora

Shingo La ou I comme Icare   Photo de Yannick Arnoud

 J23 : Montée raide vers le Shingo-La (5052 mètres). 7h30 de marche

 
C’était la plus longue journée de marche du voyage, celle que j’avais repérée depuis un moment sur la fiche technique. Pour tout dire celle que j’avais repérée depuis le début, lors du choix du voyage, soupesant le pour et le contre à entreprendre ce trek avec mon poids et ma forme d’alors. Hésitante.
Puis celle qui m’avait fait peur, une fois inscrite, alors que ma préparation stagnait et que le départ approchait. Pas assez pourtant pour me stimuler dans ma chasse aux kilos et mon entrainement défaillants, un mois de sport, même en intensif, reste un peu court pour ce type de voyage.
THE big day donc.


26 août 2008
C’est l’avant dernière journée de marche mais la plus impressionnante. Le temps a passé bien vite, le trek a déroulé sans gros problème, contre toute attente, et nous y sommes déjà. Pas de plan B avec massages à Delhi ou ailleurs pour moi, ce trek sera bien un trek : j’ai marché les 300 et quelques kilomètres de cette grande traversée du Zanskar, gravi les nombreux cols qui se sont succédés les uns après les autres, j’ai serré les dents quelquefois, j’ai eu peur ne pas y arriver parfois, mais j’ai tenu bon, vraiment aidée par le grupetto. Merci infiniment Yannick, Thierry, Isa et Anita.

 
J’ai marché, grimpé, monté ces cols bien plus facilement que ce à quoi je m’étais attendu et préparée, ma meilleure ennemie s’est trompée.
Et aujourd’hui, c’est donc la fameuse journée du Shingo-La que j’appréhende autant que j’attends puisque j’ai gardé pour ce col un des drapeaux de prières que nous avons fait bénir au monastère de Thiksey, le dernier qui reste, celui qui me concerne. Le dernier drapeau pour le dernier col, pour le plus haut col. La dernière et plus difficile prière pour le col le plus difficile.

 
Nous laissons partir les warriors pour démarrer tranquillement à l'arrière comme d'habitude, en groupe(tto). Yannick avec sa boite à rythme donne le tempo, lentement pour que cette dernière ascension se passe bien, pour que nous en gardions un bon souvenir. Et effectivement nous montons lentement mais surement, la pente n’est pas aussi raide qu’annoncé même si le terrain devient plus lunaire, avec des pierriers et des morènes et l’occasion pour moi de découvrir ce qu’est un moulin, l’endroit où l’eau des glaciers s’écoule pour donner un torrent beaucoup plus bas. Une ambiance de haute montagne alors que nous dépassons l’altitude du Mont Blanc en simples chaussures de marche et pull polaire. Je me surprends même à plaisanter, un peu (il ne faut pas exagérer tout de même) en montant sans avoir le souffle court !

Shingo La ou I comme Icare

   Photo de Yannick Arnoud
Et après une première halte, nous arrivons au bout d'environ 2 heures de montée et presque sans nous en rendre compte au magnifique Col du Shingo-La. Nous avons réussi. J’ai réussi. Je suis en haut. J’ai vaincu mes démons. « ki ki so so largyalo ». Les Dieux seront toujours vainqueurs.

 
Je regarde autour de moi, me rappelant toutes les angoisses des semaines précédentes, toutes mes inquiétudes. Me rappelant ce que ce dernier Col représente pour moi aussi, ce défi, ce pari un peu fou d’y arriver malgré tout. Malgré elle.
Une flambée d’émotions me gagne quand je commence à dérouler mon drapeau à prières pour commencer le cérémonial et l’accrocher, toutes ces peurs qui s’apaisent enfin ici. Trop d’émotions. La fatigue des dernières semaines aidant, je suis submergée par des pleurs, mais de joie et non de tristesse, le débordement de ces sentiments et de ces peurs qui m’habitent depuis si longtemps, depuis ma décision d’entreprendre ce trek et pour certaines depuis beaucoup plus longtemps encore dans l’histoire que je vis avec mon intruse. Ces peurs qui se calment aujourd’hui puisque j’ai réussi mon pari, ce qui veut dire que les Dieux de la montagne m’ont entendue, qu’ils vont veiller sur moi.
 

C’est donc sereine et gonflée d’espoir que j’accomplis le cérémonial d’accrochage du lungta :

 
Dérouler les 10 petits drapeaux aux 5 différentes couleurs du bouddhisme, ornés de prières,
 

Me frotter les deux joues avec un drapeau de couleur jaune, comme Anita nous le recommande,

 
Faire ma petite prière aux Dieux de la montagne pour moi cette fois, comme je l’avais fait les autres fois pour les gens que j’aime, ma famille et mes amis (des drapeaux flottent pour vous aussi, offrant leurs prières au vent, sur le Sengge La à 4900 mètres).

 
Accrocher le drapeau pour que le vent emporte les prières en les récitant.
 
Crier trois fois de toutes mes forces « Ki Ki So So Largyalo ».

Shingo La ou I comme Icare
   Photo de Yannick Arnoud
Et j’ai savouré longtemps ces moments de victoire sur ce Col, jouant au drapeau de prières vivant ou regardant les paysages, le lac un peu plus bas, les montagnes.
Me gorgeant de la force et de l'énergie de ces grands espaces que j'aime tant, ces grands espaces où je trouve la paix et aujourd'hui plus encore l'espoir.
  

Une journée pleine d’heureux présages pour moi qui vit chaque trek un peu comme un défi par rapport à mon intruse et qui s’est achevée en beauté par le passage d’une étoile filante le soir au campement alors que j'allai me coucher.


  
Deux jours plus tard, assise dans le bus qui nous ramenait vers la civilisation, je commençai à ressentir les premières fourmis en fléchissant la tête. Mon intruse se rappelait déjà à moi...  Mais je ne m’en rendais pas encore compte…

  


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