Magazine

Plus personne ne nous voit !

Publié le 01 octobre 2008 par Perce-Neige
Alors, l’ayant serrée si fort contre moi, ce jour-là, que son souffle s’en est allé, comme s’en est allée, aussi, sa maladie, ses cellules cancéreuses, toute cette terreur qui la rongeait (comme elle nous rongera tous un jour ou l’autre), quittant l’hôpital qu’engourdissaient déjà les langueurs estivales, m’efforçant de ne rien oublier de la chambre au fond du couloir (ni les vertiges de fleurs dont elle avait toujours parfumé son existence, ni le balcon d’où l’on apercevait, en se déhanchant à peine, les dorures bleutées de l’Opéra, ni le silence glacial des moniteurs de surveillance cardiologique), quittant ce qui n’avait plus de nom, quittant ce lit blanc, ce mur blanc, ces draps blancs, toute cette blancheur funèbre qui me rappelait nos certitudes adolescentes de ne jamais mourir de rien, de ne jamais trahir personne, de ne jamais nous enfuir à l’intérieur de nous même, quittant l’ombre incertaine qui déjà me poursuivait, quittant l’écho d’autrefois enluminé de ce que, pourtant, nous ne nous étions jamais dit, quittant les bruissements estompés de nos lèvres qui gémissaient de devoir s’effacer, à jamais, dans le tourbillon définitif des indifférences, le bip intransigeant des téléphones, les murmures et les confidences d’ascenseur, les regrets brusquement opportuns, les souffrances suffoquées surgies d’un angle du couloir et qu’une escouade de blouses silencieuses emportaient sans voir personne pour disparaître, aussitôt, dans la mécanique automatique des sas chirurgicaux, alors, titubant dans le hall, titubant dans les jardins de l’Arsenal que dévorait l’été, titubant sur les quais, titubant dans les allées, titubant sur le banc où je me suis effondré et où quelque chose en moi s’est ébranlé, qui m’a donné le courage d’écrire quelques mots, quelques lignes, à celle, précisément, qui, si longtemps, lui avait tenu la main, cette jeune femme aux yeux en amande, cette jeune scientifique (M. ?) à qui je n’avais jamais dit plus de trois mots, jamais rien dit de moi, jamais rien dit du tumulte des sentiments qui me terrassait, jamais rien dit de l’extravagance ouatée qui avait caractérisé notre monde, à Jade, à Paul, à Maud et à moi, jamais rien dit de rien, sauf qu’elle était belle, alors...

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Perce-Neige 102 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog