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Le chevalier à la rose : 1

Publié le 02 octobre 2008 par Porky

Le Chevalier à la rose, c’est la fin du grand opéra. L’oeuvre est créée à Dresde en 1911 et le vieux monde va s’écrouler trois ans plus tard dans la boucherie de 1914. Le rideau tombe sur le dix-neuvième siècle.

Cet opéra évoque à la fois la Belle Epoque et la Vienne de Marie-Thérèse au milieu du 18ème siècle. Il a en lui-même quelque chose de cette extravagance émouvante et pathétique des fins de civilisation. La gloire de l’Autriche sous les Habsbourg n’était pas encore à son déclin, mais les personnages de l’opéra, la Maréchale amoureuse, l’aristocrate parvenu et les intrigants italiens reflètent à la fois la fin des Habsbourg et celle de la Belle Epoque. L’anachronique valse viennoise qui s’attache au personnage du baron en est le symbole évident.

Le Chevalier à la rose marque un tournant dans la carrière de Strauss. Après avoir développé dans  Elektra et Salomé un langage néo-wagnérien, il compose pour le livret de Hofmannsthal la musique joyeuse mais parfois mélancolique qu’il exige. Il continua plus tard dans ce style avec des sujets plus subtils. (Voir Capriccio, éblouissante conversation en musique, raffinée, intelligente, qui nous ramène encore au 18ème, français cette fois.) Mais ses derniers opéras sont toujours comparés, sans pitié, au Rosenkavalier.

Hofmannsthal et Strauss travaillèrent ensemble sur l’œuvre. Il faudra deux ans pour l’achever. La première allusion au Chevalier apparaît en 1909 dans une lettre de l’écrivain autrichien. Le projet initial se modifie peu à peu et du simple « spieloper » d’origine naît celui qui sera le dernier grand opéra. Hofmannsthal soigne particulièrement le texte, le récrit sans cesse : il veut décrire avec sensibilité les caractères et leur comportement. Cette subtilité du jeu des caractères apparaît pleinement dans le trio du dernier acte, depuis la sortie du baron jusqu’au grand ensemble « Hab mir gelobt… »

Le personnage de la Maréchale ne frappa l’imagination de son créateur que lorsque l’ouvrage fut bientôt fini. Elle ne parait pas de tout le deuxième acte et de la première partie du troisième. Mais dès qu’elle entre en scène, elle capte l’attention du public au détriment des autres personnages ; c’est d’elle dont le spectateur se souvient avec le plus d’intensité en quittant le théâtre. Hofmannsthal était soucieux de ce que la musique de Strauss exprime bien la grandeur bienveillante de la Maréchale et surtout le changement dans l’intensité de l’action survenant en dernière heure.

Souci inutile. Dès le premier acte, le changement est perceptible : à l’insouciance du réveil avec Octavian, du petit-déjeuner en amoureux, succède la prise de conscience du temps qui passe et qu’on ne peut retenir, de la jeunesse qui s’enfuit inexorablement, de l’inconstance des êtres et de la fragilité des choses. Joyeuse au début, la musique accompagne merveilleusement cette descente lucide et mélancolique dans l’âme de la Maréchale, dont le drame commence au moment où elle se rend compte qu’Octavian la quittera un jour pour une autre, « plus jeune ». Elle va devoir renoncer à son amant à cause d’une jeune fille qui appartient à la nouvelle génération.

La Maréchale, cependant, n’est pas une femme âgée qui renonce à tous les plaisirs de l’amour. Ce serait un contre sens de l’imaginer ainsi. Hofmannsthal est formel sur ce point : « la Maréchale doit être une femme jeune et belle, trente-deux ans au plus, qui, dans ses moments de tristesse, se sent « vieille » en comparaison des dix-sept ans d’Octavian. Octave n’est ni le premier, ni le dernier amant de la belle Maréchale et elle ne doit pas jouer la fin du premier acte sur un ton sentimental et pathétique, comme un adieu tragique à la vie, mais avec grâce et dignité, un œil humide et l’autre sec. » La Maréchale est un personnage très proche de la Comtesse des Noces de Figaro qui, elle aussi, est trop souvent interprétée à tort comme une grand-mère en puissance.

Quant au Baron Ochs von Lerchenau, c’est une sorte de Don Juan paysan, beau, âgé de trente-cinq ans environ, aristocrate, qui sait se tenir correctement dans un salon de telle sorte que la Maréchale ne soit pas obligée de le faire jeter dehors. Il est certes prétentieux et vulgaire, mais suffisamment présentable pour être agréé par Faninal, le père de Sophie, sa fiancée, grand bourgeois viennois. Il faut donc éviter d’accentuer son côté rustre et paysan.

L’argument de l’opéra n’est en soi pas très compliqué. Marie-Thérèse, Princesse de Werdenberg, dite La Maréchale a un amant, le jeune Octavian. Elle vient de passer la nuit avec lui et c’est le matin, on apporte le petit-déjeuner. Alors que les deux amants devisent, grand bruit dans l’antichambre : c’est une visite ! Affolée, la Maréchale pense d’abord qu’il s’agit de son mari puis reconnaît la voix d’un vague cousin, Ochs von Lerchenau. Octavian ne pouvant quitter la chambre sans se faire repérer endosse les habits d’une servante et se fait passer pour Mariandel, une domestique de la Maréchale. Le Baron entre et commence alors une conversation animée au cours de laquelle il explique qu’il va bientôt se marier et qu’il a besoin d’un jeune homme pour, selon la coutume, aller porter la rose d’argent en son nom à la fiancée. Pendant qu’il parle, Octavian essaie en vain de s’éclipser : Ochs trouve fort à son goût cette fille de la campagne et commence à lui faire une cour effrénée, sous l’œil hilare de la Maréchale. Finalement, cette dernière montre au baron un portrait d’Octave et propose le jeune homme comme « messager » de la rose d’argent. Ochs, étonné de la ressemblance entre Octave et la dénommée Mariandel, accepte. Un majordome fait entrer les quémandeurs qui attendaient dans l’antichambre. Pendant que la Maréchale se fait coiffer, Ochs discute avec le notaire des termes du contrat de mariage. Un ténor italien chante sa romance, deux intrigants italiens, Valzacchi et Annina proposent leur service à la Maréchale qui les repousse avec hauteur. Mais Ochs les engage pour se renseigner sur la mystérieuse Mariandel. Le baron laisse la rose d’argent à la Maréchale et enfin, se retire.

Restée seule, la Maréchale, après quelques réflexions désagréables sur son odieux cousin, se laisse aller à une mélancolique introspection. Le mariage prochain d’Ochs et de la jeune Sophie lui rappelle le sien. Le temps a passé trop vite, elle se sent vieille, et délaissée. Le retour d’Octave, dans sa tenue normale, ne lui remonte pas le moral, au contraire. Sa mélancolie s’accentue : « Je sens jusqu’au fond du cœur que l’on ne doit rien garder, que l’on ne peut rien saisir, que tout nous coule entre les doigts, que tout ce que nous cherchons à prendre se dissout, que tout s’évanouit comme une vapeur ou un rêve. » Octavian tente-t-il de la consoler ? « Le temps, c’est une chose étrange. Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie strictement rien. Et puis, brusquement, on n’est plus conscient de rien d’autre. Il est tout autour de nous, il est même en nous. Il ruisselle sur nos visages, il ruisselle sur le miroir, il coule entre mes tempes, et, entre toi et moi, il coule encore, sans bruit, comme un sablier… » Et à son jeune amant qui lui jure un amour éternel, elle répond avec une lucidité sans faille : « Aujourd’hui ou demain, tu t’en iras, et tu me quitteras pour une autre femme, plus jeune et plus belle que moi. […] Le jour viendra de lui-même. […] Je dis la vérité et je la dis autant pour moi que pour toi. Je veux nous rendre la tâche facile à tous deux. Il faut prendre les choses à la légère, le cœur léger et les mains légères, les tenir et les prendre, les tenir et les laisser… » C’est dans cette atmosphère de vague tristesse et de nostalgie que s’achève le premier acte, commencé dans la gaieté d’un réveil amoureux : Octave s’en va et la Maréchale réalise alors qu’elle ne l’a pas embrassé avant qu’il parte. Elle se perd dans sa rêverie tandis que le rideau tombe.

La vidéo qui suit montre la fin de l’acte I, alors que la Maréchale demande à Octave de la laisser seule. La Maréchale, c’est Elisabeth Schwarzkopf et Octavian, Sena Jurinac. Au pupitre de l’orchestre : Herbert von Karajan. Enregistrement réalisé en 1960, au festival de Salzbourg.

 


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