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Les inavouables rasoirs : la palme!

Publié le 03 octobre 2008 par Magda

Ça, c’est Sanary-sur-Mer. Prenez vos billets de train… on y va!

Imaginez que nous sommes à Sanary-sur-Mer. Car si je devais installer le festival de la palme du livre inavouablement rasoir, ce serait bien dans cette bourgade au bord de la Méditerranée, où tous les bateaux sont colorés et les poissons pêchés-grillés du jour.

Nous, membres du jury, tirés à quatre épingles, sobres mais chics, habillés par Yamamoto* par exemple - on ne fait pas plus sobre et intemporel. A l’image d’un grand classique de la littérature internationale. Nos invités sont nombreux et viennent des quatre coins du monde : Émile Zola en Martin Margiela, accompagné de Marie Darieussecq en Dior, Milan Kundera et son noeud-pap’ de chez Saint-Laurent, Michel Houellebecq qui a encore oublié de s’habiller, et qui est venu tout nu au bras de Marguerite Yourcenar qui écoute dans un casque le dernier morceau de son petit-fils, M. Et tant d’autres, illustres auteurs de livres décrétés rasoirs par un jury de blogueurs impitoyables : Marcel Proust, racé et phtisique, toussant toute la Recherche et perdant son temps à essayer de comprendre ce que Goethe lui raconte en allemand sur un jeune Werther qui en bave grave dans la vie. Khalil Gibran qui essaie de prophétiser les résultats, comme d’habitude. Camus qui a peur de chuter en recevant la palme, Paulo Coehlo intégralement vêtu de doré par Paco Rabanne, Tolstoï qui fait la guerre à Dostoïevski pour savoir s’il aurait voté pour lui, Robbe-Grillet jaloux de Boris Vian qui drague Antonia Fraser. Tous, sans exception, attendent le grand moment : la remise de la palme du grand classique littéraire qui est le plus tombé des mains des lecteurs de Ce Que Tu Lis.

Dans la lumière dorée du couchant, environné par le bruit des vaguelettes azurées, s’avance Louis Garrel (comment ça, qu’est-ce qu’il fout là? c’est mon festival, je choisis qui je veux pour remettre la palme, n’en déplaise à Roxane, Funny Face, Fashion, Maude et Stéphane). Il déplie l’enveloppe sacrée, remet une boucle noire en place dans sa chevelure de dieu grec (j’en fais trop, oui, je sais) et de sa bouche délicate il prononce le titre tant attendu…

Belle du Seigneur d’Albert Cohen!

Toute l’assistance frappée de stupeur se retourne vers le fond de la salle où Monsieur Cohen, charismatiquement tranquille, se lève pour recevoir son trophée. Et c’est bien là, chers amis lecteurs et participants à ce jeu cruel, que notre palme montre ses limites. Car si Belle du Seigneur est effectivement un grand classique que peu de gens arrivent à lire d’un trait, il a néanmoins été écrit par l’un des plus touchants auteurs de notre siècle, le magnifique Livre de ma mère étant le témoignage le plus émouvant de la production d’Albert Cohen.

Et là, j’imagine assez bien le grand écrivain monter sur scène, se saisir de la palme et regarder le jury avec un peu de compassion. Nous n’avons peut-être pas tous réussi à terminer Belle du Seigneur, mais ne serait-ce pas en fait parce que l’époque nous intime de consommer le livre comme on consomme un épisode de série TV ou un pot de Nutella? En fait, moi, j’ai un peu honte (et j’ai moi-même voté pour ce grand bouquin). Et j’ai très envie de reprendre Belle du Seigneur, d’en achever enfin la lecture et de me dire, comme Neige, que ça valait sacrément le coup.

Après ça, on irait tous clore le festival avec un bon coup de Bandol devant le port, Monsieur Cohen nous pardonnerait nos gamineries et on écouterait Marguerite Yourcenar chanter du M.

* Je ne peux que vous recommander le beau documentaire de Wim Wenders, “Carnets de notes sur vêtements et villes”, sur le couturier Yohji Yamamoto, entre Paris et Tokyo. Leçon de cinéma, comme d’habitude, par mon réalisateur chouchou.

  

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