INTERVIEW EXCLUSIVE "LE BLOG DRZZ"
(voir aussi l'entretien accordé par Guy Millière au blog drzz sur la géopolitique
mondiale, le 22 septembre dernier )
Nom :
Guy MILLIERE
CV
Titulaire d'un doctorat du troisième cycle en littérature, d'un autre en Sociologie culturelle et d'un doctorat d'État en Philosophie
/
Enseignant à l'Université de Paris VIII en Licence d'« Information et communication » /
Titulaire d'un "Master of Sciences in Economy" de l'Université de Stanford /
Visiting Professor à la California State University, Long Beach /
Conférencier pour la Banque de France /
Enseignant à Sciences po /
Conseiller
auprès de l’Union européenne en bioéthique et biotechnologie /
Éditorialiste à la Metula News Agency, Israël Magazine, FrontPage Magazine, Les Quatre Vérités, upjf.org... /
Membre du comité de rédaction d'Outre-terre, revue
de géopolitique dirigée par Michel Korinman /
Rédacteur en chef de la revue Liberalia de 1989 à 1992 /
Vice-Président de l'Institut de l'Europe libre et Directeur délégué /
Membre du Conseil scientifique de l'Institut Turgot /
Président de l'Institut Turgot /
Ses derniers livres :
- L'Amérique et le monde après Bush,
Editions Cheminements, septembre 2008
- Mille et une vies, Editions Cheminements, mars 2008
- Survivre à Auschwitz, Editions Cheminements, mars 2008
- L'Islam radical à la conquête du monde (traducteur), Editions Cheminements, mars 2008
- Michael Moore, l'ultime imposteur, Editions du Rocher, janvier 2008
- Houdna, Editions Underbahn, novembre 2007 (commander sur le site de
l'éditeur)
- Pourquoi la France ne fait plus rêver, Editions Page après
page, mai 2006
- Le futur selon George W. Bush, Page après Page,
octobre 2005
- Pourquoi Bush sera réélu, Editions Michalon,
septembre 2004
- Qui a peur de l’islam ? Editions Michalon,
mars 2004
- Ce que veut Bush, Editions La Martinière, mai
2003
- Écrits personnels de Ronald Reagan, Traduction,
présentation, et annotations de Guy Millière, Editions du Rocher, janvier 2003
- Un goût de cendres…, Editions François-Xavier de Guibert, avril 2002
- L’Amérique monde, Editions François-Xavier de Guibert, novembre
2000
DRZZ : Guy Millière, suite à l’entretien avec vous que nous avons publié récemment, et qui a rencontré
un grand succès, nous avons pensé utile de vous poser des questions complémentaires. La première vient de nos lecteurs : quelles sont vos sources d’information, et quelles sont les sources
d’information que vous pouvez recommander à ceux qui vous lisent ?
MILLIERE : Mes propres sources d’information sont trop
nombreuses pour que je les énumère toutes ici. Elles vont de mes nombreux voyages aux gens que je rencontre, des divers penseurs, géopolitologues et économistes avec lesquels je m’entretiens
régulièrement aux journaux et magazines que je lis, des livres que je lis également aux sites internet que je consulte quotidiennement. Le travail intellectuel est une œuvre de patience, de
scrupule, d’opiniâtreté : je ne peux pas dire que je m’y astreint, car je suis porté par une curiosité personnelle incessante, mais il est certain que je ne m’autorise à parler de quelque
chose qu’après avoir vérifié, analysé, mûrement pesé chaque élément.
Comme je le dis à mes étudiants à l’université, je n’ai pas d’opinion. J’ai trente ans de travail et de recherches derrière moi, et la poursuite incessante de ce travail et de ces recherches. Si
je n’ai pas d’opinion sur quoi que ce soit, j’ai des valeurs, certes, et elles orientent mon regard sur le monde. Il est impossible dans le cadre d’un entretien de les énoncer de manière précise
et exhaustive, je dirai donc qu’elles résident dans ce que j’ai tiré de l’enseignement de ceux que je considère comme mes maîtres : John Locke pour sa philosophie du droit et de la liberté,
pour sa « Lettre sur la tolérance », et pour sa conception de la connaissance, Friedrich Hayek pour sa vision de l’ordre spontané et tout ce qui se trouve inclus dans ce grand livre
qu’est « La constitution de la liberté », Karl Popper, pour la notion de société ouverte, Milton Friedman pour tout ce qu’inclut Capitalism and Freedom, Jean-François Revel
pour chaque page de La connaissance inutile. J’ai publié plus de vingt livres et des milliers d’articles, mais je n’en suis qu’au commencement de ce qui, je l’espère, sera mon œuvre. Je
répondrai plus facilement s’il s’agit des sources d’informations que je peux recommander.
En langue française, outre le blog drzz, je peux citer libres.org de mon ami Jacques Garello, extreme-centre, et si je puis me permettre, mes propres articles où qu’ils
paraissent, ainsi que mes propres livres : j’aimerais pouvoir dire le contraire, mais si on s’intéresse à l’évolution économique, politique, culturelle d’un pays crucial pour notre futur à
tous, les Etats-Unis, je ne vois pas de livre susceptible d’apporter autant d’informations pertinentes que L’Amérique et le monde après Bush, que je viens de publier, et que j’incite
tous ceux qui me liront ici à se procurer, car cela les changera du conformisme et des approximations qu’on ne cesse de déverser dans les grands médias. En langue anglaise, je lis chaque jour
l’assortiment d’articles proposé par les sites realclearpolitics, realclearmarkets et realclearworld. Je lis aussi ce qui est publié sur les sites du Weekly Standard, de la National
Review, de Frontpage magazine, de Americanthinker, de spectator.org, du Washington Times, de l’American Enterprise Institute, et du Wall
Street Journal. Parmi les revues, je ne manque jamais Commentary, qui publie en ligne un excellent blog : Contentions. Je ne manque jamais non plus le Hoover
Digest publié quatre fois par an par la Hoover Institution.
DRZZ : Depuis notre entretien, la crise financière qui commençait à marquer le monde, s’est accentuée,
pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
MILLIERE : C’est une très vaste question, mais elle doit être posée de façon vaste, comme
vous venez de le faire. La première chose à dire est que ce n’est pas une crise due à l’absence de régulation et à laquelle il faudrait répondre par davantage de régulation et de surveillance. Si
on veut tirer des leçons utiles de ce qui est en train de se passer, il importe de ne pas se tromper de diagnostic.
Au départ, vous avez au contraire des distorsions introduites dans le marché financier qui sont venues y semer des incitations perverses et des risques excessifs et artificiels qu’on s’est
ensuite efforcé de compenser. Vous avez ensuite des effets en cascade qui se disséminent. En l’occurrence, il faut voir comment s’est créée la bulle immobilière aux Etats-Unis. Au nom de
politiques sociales, le gouvernement américain a quasiment forcé les banques et les institutions financières à accorder des prêts immobiliers à des gens dont la solvabilité était très
hypothétique : les racines sont dans le Reinvestment Act voté en 1977 sous Jimmy Carter, puis reconduit et renforcé en 1994-95 sous Bill Clinton. Banques et institutions financières se sont
exécutées. Les prêts étant très risqués, ils ont été garantis ou rachetés par deux entités para étatiques, celles qu’on appelle Fannie Mae et Freddie Mac. Ils ont fait aussi l’objet de procédures
de titrisation et ont été introduits dans des produits financiers mis sur le marché et destinés à diluer les risques. La demande s’étant trouvée stimulée, le marché immobilier a gonflé, les prix
ont monté de plus en plus fortement, ce qui, d’une part a permis le montage d’opérations financières reposant sur une anticipation de hausse incessante des prix de l’immobilier, d’autre part, une
valorisation des produits. L’ensemble s’est trouvé lui-même renforcé par des taux d’intérêts maintenus artificiellement bas par le Federal Reserve Board. Quand les prix de l’immobilier ont cessé
de monter et que des gens ont commencé à se retrouver en défaut de paiement, un doute a commencé à se disséminer quant à la valeur des prêts consentis et quant à celle des produits dans lesquels
les prêts avaient été introduits par la titrisation. Les prix immobiliers ont commencé à chuter en divers lieux, ce qui a accentué le doute et l’a transformé en défiance. Des produits financiers
se sont vendus à la baisse, entraînant des pertes pour les établissements qui les détenaient et les investisseurs. Les pertes ont suscité davantage de défiance encore. Des banques et des
établissements financiers ont vu, entraînés dans la spirale, leur valeur s’effondrer. Certains ont été rachetés par d’autres établissements financiers pour un prix très bas, d’autres ont déposé
leur bilan, Fannie Mae et Freddie Mac se sont retrouvés tout au bord d’un dépôt de bilan qui aurait signifié le dépôt de bilan de l’ensemble du système de prêts immobiliers aux Etats-Unis.
En résultat, les grandes banques d’investissement américaines ont ou bien disparu, comme Lehman Brothers, qui a déposé son bilan, ou bien été rachetées par d’autres, comme Bear Stearns, ou été
restructurées. Des banques de dépôt ont subi le même sort, ainsi Washington Mutual, qu’on classe dans la catégorie des caisses d’épargne privée, ou Wachovia. Certaines, telle Citibank, ont été
sauvées par une augmentation massive de capital venu de l’extérieur. La Federal Reserve Bank a dû reprendre certains établissements, accorder des liquidités à d’autres. La spirale ne cessera que
lorsque le marché financier aura été assaini, lorsque les banques retrouveront confiance les unes en les autres, lorsque banques et institutions financières accorderont à nouveau des crédits.
Le projet Paulson rejeté lundi par la Chambre visait à faire cesser la spirale. Il n’a, comme on sait, pas été voté. Peut-être le sera-t-il jeudi sous une nouvelle forme. L’objectif est de
retirer du marché et de racheter tous les titres douteux puis, une fois la confiance revenue, de les revendre. Les 700 milliards de dollars évoqués et demandés par Paulson sont censés servir à
cette opération : ils ne sont pas censés constituer une dépense non recouvrable. Au pire, une part importante de cette somme reviendra dans les caisses du Trésor américain lorsque les titres
seront revendus. Au mieux, comme le disent certains optimistes, l’opération pourrait être bénéficiaire pour le Trésor car, une fois la spirale brisée, la bourse pourrait remonter, ce qui
permettrait d’établir un prix de vente plus haut. Cela dit, si le mal n’est pas traité à la racine, tout cela n’aura servi qu’à reculer pour mieux sauter un peu plus tard, car les mêmes causes
produiront tôt ou tard les mêmes effets. La seule réponse efficace dans le moyen terme sera d’en finir avec les prêts subprime, et de dissoudre et privatiser Fannie Mae et Freddie Mac.
J’ai peur qu’aucun candidat à la présidence ne soit prêt à s’engager dans cette voie. Chez les démocrates, on incrimine, comme on le fait en France, la dérèglementation, ce qui ne fait pas sens,
et ce qui permet d’exonérer les décisions qui ont conduit à la situation présente et de reporter les torts sur l’administration Bush à qui on peut reprocher seulement de n’avoir pas démantelé un
système pervers qui existait avant elle. Chez les républicains, certains soutiennent le plan Paulson, d’autres demandent que le marché soit à même de régler par lui-même les problèmes causés par
des décisions irresponsables, ce de façon à ce que les leçons soient effectivement tirées. Je serais enclin à me ranger sur la position de ces derniers.
Je pense malheureusement que sans un assainissement rapide et un rétablissement de la confiance, la situation ne s’aggrave dans les semaines
à venir. C’est pourquoi je pense que, dans les circonstances actuelles, le plan Paulson est, sous une forme ou sous une autres indispensable. Ce que le gouvernement a fait doit être défait par le
gouvernement. Les contribuables américains risquent d’y perdre, c’est vrai : je comprends qu’ils aient de l’animosité envers leurs élus. Si cela peut les conduire à exiger de leurs élus des
décisions drastiques telles celles que j’ai suggéré, un mal débouchera sur un bien. Je crains, cela dit, que le discours démagogique et populiste tenu par les démocrates ne l’emporte, ce qui
promettra des lendemains et des surlendemains douloureux.
DRZZ : Certains ont dit que la crise financière ne toucherait pas l’Europe...
MILLIERE : On commence tout
juste à voir à quel point c’était là une affirmation absurde. La finance est mondialisée. Ce qui touche les Etats-Unis touche le monde entier. Il existe des liens d’interdépendance entre banques.
Des produits financiers conçus et venus dans les conditions que j’ai décrites circulent sur la planète entière. Selon le degré auquel des banques européennes ont été impliquées dans l’achat et la
détention des produits susdits, elles seront plus ou moins concernées. La vague de défiance se dissémine en tous cas. En Europe, les gouvernements et le public sont bien moins réticents face à
des interventions de la puissance publique : on peut nationaliser des banques sans que cela pousse grand monde à s’interroger. Des discours tels ceux tenus par les démocrates aux Etats-Unis
se font entendre assez largement en Europe. Des gouvernements vont saisir le prétexte de ce qui se passe pour exiger davantage de réglementation et davantage d’interventionnisme, ce qui ne fera
qu’accentuer la tendance à la récession qui est déjà présente en Europe. Les investissements ne sont en mesure de produire leurs effets les plus féconds que si la main très visible des
gouvernements ne prétend pas les guider et les canaliser.
DRZZ : Y a-t-il des conséquences sur la campagne électorale aux Etats-Unis ?
MILLIERE : Les conséquences sont évidentes, oui. Avant ces
récents événements, John McCain pouvait apparaître comme avançant vers la victoire finale. La tourmente financière actuelle semble bénéficier à Barack Obama, et si les tendances actuelles se
poursuivent, il l’emportera le 4 novembre prochain. L’intérêt des démocrates est de laisser penser que c’est un problème de déréglementation, de spéculation et d’excessive liberté économique,
leur intérêt est aussi de faire peur, et je pense que les démocrates ne voulaient pas que le plan Paulson soit
voté lundi. La peur peut pousser des électeurs encore indécis à se rallier derrière le candidat qui leur promettra diverses protections et qui incriminera le plus les méchants spéculateurs. Une
explication plus précise telle celle qui peut émaner du camp républicain est plus difficile à transmettre et à résumer en des messages simples. Les chances de McCain résideraient en son aptitude
à expliquer que le problème tient à des interventions étatiques et à l’enrichissement personnel qui a résulté de ces interventions pour des gens situés à l’intersection du pouvoir politique et de
structures telles que Fannie Mae et Freddie Mac. Elles résideraient aussi dans son aptitude à rappeler que ce qui a fait la prospérité des Etats-Unis a tenu à la liberté économique et non à
l’interventionnisme, et donc à utiliser un populisme hostile aux politiciens en sa faveur. Entre un populisme hostile aux politiciens en général et un populisme hostile à la finance, le premier
est à l’évidence moins délétère.
Si Obama devait l’emporter, je l’ai déjà dit, s’ouvrirait une période très difficile pour l’économie américaine,
et plus difficile encore pour les économies européennes, qui dépendent pour partie de la croissance américaine. Des effets de déstabilisation toucheraient le reste du monde, pas simplement en
termes de politique étrangère : la Chine dépend, ainsi, de la croissance américaine et de la consommation aux Etats-Unis. Si, les chances existent encore, même si elles s’amoindrissent,
McCain l’emporte, ce ne sera pas facile pour lui non plus : il devra se donner les moyens d’assainir les comptes et de rétablir les équilibres. Ce sera, pour autant, moins difficile pour
lui, car il n’a pas fait de promesses redistributionnistes en de multiples directions comme Obama.
Obama élu ne pourrait satisfaire quasiment aucune des promesses qu’il a faites vis-à-vis du peuple américain, ce
qui impliquerait des retours de manivelle très sérieux. Je ne suis pas certain que ceux qui pilotent Obama aient des idées précises sur ce qu’ils feraient d’une victoire si celle-ci est obtenue
dans un contexte d’effondrement du système financier. Quelques analystes leur prêtent des idées très radicales, nettement à gauche, et plutôt socialistes, j’espère que ces analystes se trompent.
Ceux qui, en Europe, pensent qu’Obama se pilote lui-même devraient se pencher au plus vite sur les listes très longues de ses conseillers, lire ce qu’écrivent ou ont écrit ces multiples
conseillers, et écouter le flou des réponses qu’Obama apporte à la plupart des questions qui lui sont posées. Le flou peut séduire, il n’en est pas moins révélateur.