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Quelques heures avant l'aube.

Publié le 05 octobre 2008 par Perce-Neige
Et puis, plutôt que de reprendre l’avion directement pour Paris (via Bangkok, tout de même, m’avait-on dit au téléphone, depuis le Siège), une fois réglés ces arrangements qui n’en finissaient pas et ces entourloupes de merde avec l’administration cambodgienne, sans même imaginer, un seul instant, devoir m’en ouvrir à Lemercier, qui ne m’avait guère épargné, ces temps derniers, par parenthèse, j’ai finalement décidé, pour rejoindre le Laos, de m’embarquer sur une barge qui remontait le Mékong. Trois jours durant, j’ai somnolé en retrouvant, cette fois, enfin, un peu de sérénité, car simplement ensommeillé de rizières nonchalantes perdues dans la brume et parsemées de volutes de fumées bleutées qui montaient à la verticale, un peu partout, presque sur l’horizon, à peine deviné. Peu avant la frontière, les rizières, brusquement, ont dû céder la place à la forêt ; le fleuve engloutissant alors, en silence, les branches et les feuillages égarés à la surface des eaux. L’insistant gémissement des moteurs, entrecoupé de soubresauts arythmiques, comme autant de plaintes syncopées, déchirait en vain l’immensité végétale, pour se perdre dans des chemins improbables qui se noyaient dans les broussailles. Jusqu’à ce village, pour ne pas dire autrement, où nous nous sommes échoués, au soir du troisième jour, pour la nuit, histoire de nous ravitailler. Deux ou trois dizaines de cahutes de pécheurs, tout au plus, s’avançaient sans y croire au dessus du fleuve. Au bout de l’unique sentier, que se chamaillaient des enfants dépenaillés et toute une basse-court de canards et de dindons esseulés, de coqs et de poules à demi sauvages, de chiens efflanqués, j’en oublie, j’ai fini par trouver refuge, je ne sais plus trop comment depuis, chez une vieille femme à demi édentée qui ne cessait de venir m’importuner pour me questionner longuement sans que je comprenne un traite mot de ses interrogations (il se peut, tout de même, qu’il ait été vaguement question de ma présence ici, dans cette région isolée, inconnue des touristes). Avachi dans une chaise à bascule sauvée de quelque naufrage, je serais, sans doute, resté longtemps à ne rien faire, une fois annexé le balcon brinquebalant de ce taudis de bambous, serti de tôles et de ferrailles aux trois quarts rouillées qui me servait d’observatoire, si le ferry poussif venu de Ventiane n’avait accosté à ce moment-là, pour une heure ou deux, à l’embarcadère de fortune encombré de tout un trafic de victuailles, de bric-à-brac, de baluchons entassés pèle-mêle au milieu d’un amoncellement de vélos désaccordés et de scooters poussiéreux. Car c’est précisément de ce ferry à la splendeur déchue qu’est descendue, escortée d’un essaim de visages hypnotisés, la jeune journaliste italienne qu’il m’arrive, aujourd’hui encore, de confondre avec Maud, tant sa manière d’être à la fois pudique et sensuelle, lui ressemble. On avait dû lui vanter mon refuge, lui expliquer je ne sais quoi, lui assurer qu’un étranger taciturne s’était arrangé pour y passer la nuit car, dans la cour où s’affairaient deux ou trois cochons au groin couvert de terre, je l’ai vu, un quart d’heure plus tard, à peine, débarquer, craintive, le visage défait, entourée de toute une troupe joyeuse et bavarde d’adolescents innocents, puis franchir, avec précaution, le seuil de mon palais improvisé. Le reste n’appartient qu’à moi, au fond. Je dirais, juste, qu’anéantis par le bavardage vespéral des dauphins qui remontaient le courant en se dressant, le temps d’un soupir, fugitifs, hors de l’eau, nous avons, d’abord, suivi en silence leur manège avant de gagner, toujours silencieux, la couche que nous nous étions censés partager. Ensuite, il y aurait un peu de vent dans la torpeur tropicale, la moustiquaire en travers du lit, la nuit sans lumière et quelques feux allumés sur la berge, au loin. Ensuite il y aurait ce qui me pousse à mentir. Parfois.

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