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Les rapports de masculinité au Vietnam sont-ils en hausse?

Publié le 05 octobre 2008 par Anonymeses
Danièle Bélanger, Khuat Thi Hai Oanh,  Liu Jianye, Le Thanh Thuy, Pham Viet Than, “Les rapports de masculinité à la naissance augmentent-ils au Vietnam ? », Population, Volume 58 2003/2
Dans plusieurs grands pays d’Asie, la hausse parfois forte du taux de masculinité (le rapport de masculinité à la naissance est le rapport entre les naissances d’enfants vivants de sexe masculin et de sexe féminin) à la naissance est la marque du maintien d’une forte prédilection pour les garçons dans un contexte de baisse rapide de la taille des familles. Cette discrimination à l’encontre des filles a trois causes possibles : une sous-déclaration à la naissance, un avortement sélectif selon le sexe et une surmortalité des filles au cours de la première année de vie, suite à leur délaissement.
Depuis le décompte des « filles disparues » dans le monde, effectué par Amartya Sen (« More than 100 million women are missing », New York Review of Books, p. 61-65, 1990) et Ansley Coale (« Excess female mortality in the balance of sexes in the population: an estimated number of missing females », Population and Development Review, 17, p. 517-523, 1991) et dont on estimait déjà le nombre à 60 à 100 millions au début des années 1990, les recherches se sont multipliées. Il semble d’après ces travaux que l’avortement sélectif selon le sexe soit, le plus souvent, à l’origine de ce manque de filles, surtout dans l’Asie confucianiste, c’est-à-dire la Chine, Taiwan, Hong-Kong et la Corée du Sud. En Inde, ce seraient plutôt la conjugaison de stratégies prénatales et postnatales qui perpétue la discrimination envers les filles.
Ces sociétés ont en commun une structure sociale de type patrilinéaire, patrilocal et patriarcal, dans laquelle les fils ont un statut plus prestigieux et davantage de valeur aux yeux de leurs parents que les filles. Avoir des fils est indispensable pour les parents et les autres membres de la famille pour des raisons économiques, sociales, culturelles et spirituelles. La valeur des fils en tant que source de main-d’œuvre n’est pas le critère dominant, le cas de la Corée du Sud démontre la puissance de la valeur culturelle et spirituelle accordée aux fils, qui persiste dans un contexte de développement socio-économique (rsen U., Chung W., Das Gupta M., 1998, « Fertility and son preference in Korea », Population Studies, 52, p. 317-325). Le Vietnam partage avec la Chine et la Corée du Sud la même structure sociale fondée sur la parenté et le même héritage culturel confucianiste.
L’article de Danièle Bélanger et alii  se propose d’examiner le cas du Vietnam. Les analyses de la fécondité et du comportement contraceptif montrent que la préférence pour les garçons est forte. Les familles vietnamiennes ayant deux filles ont plus souvent un troisième enfant que celles ayant au moins un fils et les femmes n’ayant que des filles sont moins susceptibles de recourir à la contraception que les femmes qui ont un ou plusieurs fils. Les familles vietnamiennes ayant plus de deux enfants sont prêtes à recourir à des stratégies pour influencer le sexe de l’enfant à venir. Les résultats des auteurs ne permettent pas de conclure de manière certaine, étant donné les lacunes et défauts des données, à la hausse du rapport national de masculinité à la naissance au Vietnam. D’après les données du recensement, on peut conclure que la tension entre la préférence pour les garçons et le désir d’avoir une petite famille n’a pas entraîné de relèvement des rapports de masculinité à la naissance, comme c’est le cas en Chine. « Une chose est sûre, c’est que la question des avortements sélectifs de fœtus féminins n’a guère éveillé l’attention au Vietnam et qu’elle reste plus ou moins taboue. La grande majorité des médecins, des chercheurs et des décideurs auxquels nous avons fait part de cette recherche nous ont répondu d’emblée que l’avortement avec sélection sexuelle n’est pas pratiqué au Vietnam, tout en reconnaissant unanimement l’existence d’une forte demande de moyens permettant de concevoir et donner naissance à des garçons. » A l’inverse des données nationales, celles des hôpitaux et des enquêtes présentent des rapports de masculinité à la naissance anormaux dans certains groupes de la population vietnamienne.
La sous-déclaration des filles à la naissance est considérée comme un facteur important en Chine où, pour se protéger face à une politique démographique sévère, les familles sont conduites à cacher les naissances de filles ou à les proposer à l’adoption et ne pas déclarer leur naissance. Au Vietnam, un sous-dénombrement systématique des enfants de sexe féminin semble peu probable en ce qui concerne les recensements et l’enquête sur les niveaux de vie réalisée en 1997-1998. La politique vietnamienne de restriction des naissances à un ou deux enfants ne s’accompagne pas de sanctions qui pèsent directement sur les enfants de rang trois et au-delà, via un accès réduit aux soins de santé et à l’éducation par exemple. tous reçoivent en général une amende qu’ils doivent acquitter en nature (paddy) ou en espèces. Toutefois, son montant varie et, dans certaines zones rurales, il arrive que l’amende ne soit réclamée que plusieurs années après la naissance de l’enfant. Toutefois, la relative indulgence dans l’application de la politique démographique ne devrait pas induire une sous-déclaration systématique des filles à la naissance. Le deuxième facteur pouvant expliquer des rapports de masculinité élevés est une surmortalité des filles résultant de différences dans les soins et les traitements reçus dans la petite enfance. En Inde, par exemple, la discrimination dont sont victimes les filles en raison de la préférence pour les garçons se traduit par une surmortalité. Ceci ne semble pas être le cas au Vietnam. L’avortement, légal au Vietnam depuis 1954 est très fréquent au Vietnam. Les taux d’avortement sont très élevés, avec une progression très rapide au début des années 1990. Cependant l’impossibilité d’avorter après le premier trimestre, limite la possibilité des femmes d’avorter des fœtus féminins. Cela explique certainement que les rapports de masculinité à la naissance soient normaux au Vietnam, en dépit de la faiblesse de la fécondité combinée avec une préférence pour les garçons, la disponibilité du diagnostic par échographie et l’accès à l’avortement. Une interprétation résiduelle reste une différence d’attitude des Vietnamiens et des Chinois face au désir d’avoir un fils. « Il se peut que la majorité des Vietnamiens soient moins enclins à l’action lorsque la nature ne répond pas à leurs aspirations en matière de reproduction. Des recherches sur les rapports de genre, qui ont montré que les femmes ont un statut social plus élevé au Vietnam qu’en Chine, pourraient en fait donner à penser que, dans ce pays, les femmes et les couples sont plus réticents à faire disparaître des filles déjà conçues. »

Par Frédérique

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