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Géophagie à Château-Rouge

Publié le 03 octobre 2008 par Anonymeses

Giovanna Pessoa, « Le goût de l’argile. La géophagie des femmes africaines dans le quartier de Château Rouge (enquête) », Terrains et travaux, n°9, 2005/2

Le kaolin est une substance argileuse, de couleur blanche qui occupe une place particulière dans les épiceries. C’est l’étrangeté qui l’entoure, qui a attiré Giovanna Pessoa, alors qu’un après-midi de janvier 2004, dans un magasin d’alimentation africaine situé dans le 18e arrondissement de Paris, une cliente achète une petite poudre blanche, rangée dans les épices, qu’elle ne peut identifier. Interrogeant le vendeur, celui-ci est gêné quand il explique qu’il s’agit de kaolin.

Le kaolin est-il une substance comestible comme les autres, se demande-t-elle ? A partir de deux séries d’entretiens, d’une part de treize vendeurs hommes dans les épiceries du quartier de Château Rouge, vendant des sachets de kaolin, et d’autre part de quinze femmes originaires d’Afrique de l’Ouest qui sont tantôt vendeuses, tantôt clientes de ces épiceries, l’auteure réfléchit à la qualification du kaolin comme substance comestible.

Il apparaît que le kaolin est toujours disposé d’une façon qui le rend imperceptible aux clients qui n’en connaissent pas les usages, le kaolin occupe donc une place singulière dans l’espace de l’épicerie. Singulier parmi les marchandises, il l’est également dans sa consommation. Il n’est, en effet, pas considéré comme une nourriture, ni une épice, il est décrit comme un « petit rien ». Le caractère ambigu du kaolin en fait une substance marginale, classée entre le comestible et le non comestible.

Il faut rappeler, que le kaolin occupe dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, une place spécifique, qui est utilisé dans des rituels de mariage et les funérailles, ou pour des maquillages, dans des rituels de fertilité et de maternité. Il est ainsi étroitement associé par les populations originaires de ces pays à la maternité, à la sexualité des femmes, aux « forces vitales féminines ». De fait, les femmes qui mangent du kaolin le font dans des circonstances particulières : en privé, dans des espaces non généralement consacré à l’alimentation, puisqu’il est ingéré dans la salle de bain ou la chambre à coucher. L’ingestion de kaolin, est souvent solitaire et lorsqu’elle est collective, ne se pratique qu’entre femmes.

L’ingestion de kaolin est considérée comme une pratique honteuse par les hommes, à moins que la femme ne soit enceinte, et par certaines femmes, tandis que celles qui en consomment, en parlent comme d’une parole addictive. « Tant que le kaolin est mangé par les femmes pendant leur grossesse et tant qu’elles en attendent des avantages qui sont socialement reconnus comme légitimes, cette consommation ne suscite pas de critiques ou de sanctions. Mais si les femmes ingèrent le kaolin uniquement pour leur plaisir, cette pratique est alors énergiquement condamnée. La géophagie devient alors une pratique subversive parce qu’elle est le signe d’une résistance des femmes à l’égard du contrôle des hommes sur leur fécondité. La pratique géophagique, en même temps qu’elle manifeste le pouvoir féminin, isole la femme et l’exclut de la communauté, son corps étant simultanément perçu comme un récipient exposé à la saleté. Si les normes qui entourent la consommation de kaolin sont aussi importantes, et si la simple désignation du minéral est si difficile pour les personnes, c’est que cette pratique touche directement la question du contrôle par les hommes du pouvoir féminin de la reproduction »

par Frédérique

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