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La construction durable à la manière scandinave : réalisations norvégiennes

Par Marc Chartier

Après le Danemark et la Suède, la Norvège est la dernière étape de notre périple scandinave, à la découverte de quelques techniques et constructions respectueuses de l'environnement, telles que les appliquent les bâtisseurs et lotisseurs de ces pays.

Deux haltes significatives concluront ce voyage d'étude mis au point par la Fédération des parcs naturels de France et le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement de l'Oise : Fredrikstad et Oslo.


Fredrikstad : un collège au cœur de la nature


Des allures de bunker émergeant d'une nature à peine domestiquée : ainsi donc est-ce cela le célèbre collège Kvernhuset dont on a tant fait l'éloge et qui a fait l'objet de récompenses internationales ! Des cubes massifs, ton sur ton avec la roche de granit avoisinante, lardés de gabions garnis de pierres provenant de la même roche. De-ci de-là, au premier plan, des troncs d'arbre dont certains semblent avoir été rapportés pour mieux compléter ce décor surréaliste.

On y accède par une passerelle de bois franchisant un vague plan d'eau stagnante où les plantes ont toutefois la générosité de traiter les eaux usées. Puis l'on pénètre, par un sas de verre, dans l'antre troglodytique du hall d'accueil. Quelques plantes géantes en jardinières semblent s'y plaire. Un mini bassin sert d'espace de jeu à de grassouillets poissons qui, eux aussi, donnent l'impression d'être heureux de leur sort.

Et la surprise continue de plus belle. Le hall d'accueil ignore la ligne droite. Il a été creusé à flanc de colline, en en suivant les contours. D'ailleurs, de gros rochers n'ont même pas été extraits, comme pour narguer l'inventeur de la dynamite : ils sont restés là, dans le passage, sans autre utilité que celle de rappeler, par leur masse imposante, que la nature n'a pas besoin d'être dominée pour rester belle. À nouveau, des troncs d'arbre, privés de leur écorce, ont été plantés dans cet espace, donnant l'impression de soutenir quelque masse bétonnée qui n'en demandait pas tant... Ce qu'il faut bien appeler un rez-de-chaussée a été aménagé pour les bureaux administratifs du collège et, entre autres services, la cafétéria.

Au niveau supérieur, ont été construites trois ailes (les "home bases") pour accueillir les classes et autres locaux d'enseignement. Chacun de ces bâtiments est caractérisé par une couleur spécifique : jaune, bleu, vert. Le jaune fait référence à l'énergie solaire, active et passive (le collège est équipé de panneaux solaires et de vastes baies à double vitrage pour capter la lumière) ; le bleu, à l'eau (collecte et utilisation des eaux pluviales, notamment sur une toiture végétalisée) ; le vert, aux végétaux et aux plantes (respect de l'environnement ; traitement des eaux usées). Au-delà d'un simple effet de design, ces couleurs ont une dimension pédagogique, pour permettre aux élèves d'être à l'unisson de leur cadre de vie.

En plus de ces spécificités, des techniques d'éco-construction ont été appliquées pour l'ensemble des locaux : ventilation naturelle, géothermie, exploitation de la lumière naturelle, modulation des espaces en fonction des besoins pédagogiques et, bien entendu, utilisation des matériaux locaux pour le gros œuvre. PirII Arkitektkontor As et Duncan Lewis ont basé leur projet d'architecture sur l'utilisation des caractéristiques et qualités du site, à savoir sur la prédominance de la roche, de l'environnement boisé et du filtrage de la lumière par les arbres, dans une adroite symbiose entre le bâti et le milieu naturel.

N'ont-ils pas, dans le même temps et comme on a pu le faire remarquer, privilégié la symbolique au détriment de la fonctionnalité ? Quelle que soit l'appréciation que l'on puisse porter sur l'impact d'un tel univers minéral sur la qualité de l'accueil et de l'enseignement, il faut bien reconnaître qu'en utilisant au maximum et de diverses manières le granit pour la construction de l'ensemble des bâtiments du Kvernhuset, ils n'ont pas "dénaturé" leur environnement immédiat. Ils l'ont plutôt valorisé, tout comme ils auraient pu le faire au cœur d'une forêt avec des constructions en bois.

Winston Churchill affirmait que nous façonnons nos maisons et qu'après, ce sont elles qui nous façonnent. Et pourquoi pas ? Si, au terme de leurs années de formation, les élèves du Kvernhuset sortent avec non seulement en poche un beau diplôme, mais également dans la tête, quelques bonnes convictions sur le développement durable pour les avoir pratiquées quotidiennement, les concepteurs de ce collège né de la matière à l'état brut n'auront pas perdu leur temps. Mieux, ils auront fait preuve de génie !

Église de Mortensud : un lieu ouvert


Ce lieu de culte, construit sur une colline non loin d'Oslo, a été conçu comme un espace de liberté, ouvert à toutes les formes de l'expression religieuse. Certes, sa fonction première est de servir de cadre pour les cérémonies du culte chrétien, mais par sa simplicité, voire sa nudité, il ne peut être habité que par la présence que l'on veut bien y chercher et y trouver.

Ses architectes, Jan Olaf Jensen et Borre Skodvin, ont tout d'abord veillé à respecter l'harmonie entre l'architecture, la topographie et la végétation. La construction s'intègre en effet admirablement dans un site composé de rochers et de pins, qui n'a subi aucune transformation importante pour accueillir le bâti. Le sol de l'église suit la légère pente du terrain. Par endroits, notamment à l'entrée du chœur, les concepteurs ont abandonné toute perspective de planéité pour laisser en place des rochers qui affleurent, au risque de surprendre.

Les structures porteuses de l'édifice sont en acier et les murs sont montés en pierres posées à sec sans ordre apparent, non jointoyées, avec de nombreux petits interstices pour laisser passer la lumière naturelle. Pour répondre aux exigences d'étanchéité et d'isolation, mais en même temps pour préserver la transparence de l'édifice, celui-ci a reçu un revêtement en verre, distant du mur de 90 à 160 cm. Par de très grandes baies vitrées, le regard porte sur le bosquet avoisinant. À l'évidence, les architectes avaient la « volonté délibérée de modifier l'image traditionnelle d'une église lourde de son passé religieux ».

Réalisée avec des moyens modestes (le prix au m² correspond à celui d'un habitat social dans Oslo), cette église se distingue par une sobriété qui prête au recueillement. De petits espaces discrets ont même été aménagés pour l'intimité d'une méditation face à la nature.

Quant au campanile, il a été construit en bois, tel un poste d'observation dans certaines forêts, sans recherche architecturale particulière.

Le secret de la réussite de cette réalisation repose sur l'intégration exemplaire du bâti dans l'environnement naturel. Avec, sans nul doute, un coup de pouce de notions telles que le Modulor et le Nombre d'Or. Bâtir "pour" l'homme et concevoir des œuvres d'art en consonance avec la nature, n'est-ce pas le premier credo de toute architecte qui se respecte ?

Pilestredet Park : quand un hôpital fait place à un éco-quartier


Proche du centre d'Oslo, le Rikshospitalet University Hospital a fait l'objet en 2000, après un peu plus de cent ans d'activité hospitalière, d'une totale reconversion, soit par la réhabilitation d'anciens bâtiments, soit par la destruction et la reconstruction d'autres bâtiments, avec intégration de techniques de construction écologique, notamment pour l'amélioration de l'isolation thermique et acoustique, l'amélioration des conditions d'ensoleillement (création de balcons) et la diminution des consommations énergétiques (systèmes de contrôle pour les dépenses de chauffage et d'eau chaude).

Sur 70.000 m², le Pilestredet Park comporte actuellement 1.400 appartements, des bureaux, des commerces...

Ce vaste programme de réaménagement reposait sur les objectifs suivants :

  • réutilisation au maximum (en réalité : 90 %) des matériaux de déconstruction ;

  • forte réduction de la consommation énergétique des bâtiments : la consommation moyenne en électricité et chauffage est actuellement de 100 Kwh/m² pour l'ensemble des bâtiments, soit 50 % de moins que la moyenne nationale norvégienne ;

  • 30 % de l'occupation des sols réservés aux espaces verts ;

  • stricte limitation de la circulation automobile pour faire place aux piétons et aux vélos ;

  • création de parkings à vélos (2,5 vélos par appartement) ;

  • mise en place de toitures végétales ;

  • aménagement, en "fil rouge", d'un système de circulation d'eau en surface pour agrémenter le cadre de vie (rigoles, bassins, jets d'eau).

Quelques années après la création de ce nouveau quartier, les avis des résidents sont unanimes : ils ont la sensation d'habiter un "petit paradis", à proximité du centre d'Oslo. Le confort est apprécié à sa juste valeur (avec un petit bémol toutefois pour la consommation énergétique : peut mieux faire !). Les vélos et les piétons peuvent circuler librement, en dehors de tout encombrement. Les enfants s'adonnent à leurs jeux sur les places et les espaces verts, sans le moindre risque. Bref, le bonheur est... dans la ville !

Opéra d'Oslo... pour finir en musique !

On ne saurait clore notre périple scandinave de façon plus majestueuse. Le tout nouvel Opéra d'Oslo, inauguré en avril 2008, s'impose en effet par son architecture résolument moderne et son intégration à la fois dans la culture norvégienne et dans le site choisi pour sa construction : près de l'emplacement où les premiers Vikings débarquèrent, dans le quartier portuaire et industriel de Bjørvika qui devrait prendre, dans les années à venir, une place prépondérante dans la vie économique de la capitale norvégienne.

Cet immense iceberg, qui semble émerger du fjord sur les rives duquel le bâtiment a été construit, doit ses lignes aux architectes du cabinet norvégien Snøhetta, auteur notamment de la nouvelle Bibliothèque d'Alexandrie (Égypte). Le choix des architectes a été précédé, démocratie à la mode norvégienne oblige, par une consultation publique à laquelle ont répondu quelque 70.000 Norvégiens pour donner leur avis sur l'apparence et les fonctions du futur Opéra ainsi que sur son rôle dans la vie nationale.

Nul ne peut s'empêcher, en découvrant le grand plan incliné - une pente de 18 % - qui permet d'accéder à l'entrée, puis au sommet de l'édifice, à une piste enneigée qui part du toit de cet édifice pour se prolonger, en contrebas, dans les eaux du fjord. Sur le toit, on a en effet l'impression de se trouver en haut d'une montagne, quelque part dans les neiges du Grand Nord.

Pour la construction de ce que les Norvégiens appellent déjà un "manteau d'hermine", les concepteurs du projet ont choisi des matériaux nobles : 36.000 pièces de marbre de Carrare pour le toit, l'entrée et le sol du foyer, du chêne provenant d'Allemagne pour les sols et habillages intérieurs, du granit norvégien pour les surfaces verticales de la façade nord. Les plaques de marbre ont été mises en place selon des plans dessinés par trois artistes : Kristian Blystad, Jorunn Sannes et Kalle Grude. Quant à l'imposante façade, elle est en verre, avec 300 m² de panneaux solaires, cette "transparence" étant voulue non seulement pour capter le lumière naturelle, mais également pour rendre visible de l'extérieur l'activité au sein de ce bâtiment éminemment culturel qui a pris place au cœur d'un quartier voué au business.

Reste ce qu'il faut bien considérer comme l'essentiel pour ce haut lieu de la musique de 1.350 places : l'acoustique. Elle est, nous a-t-on dit, exceptionnelle, ce que nous admettons volontiers, tout en espérant l'expérimenter directement lors d'une représentation future.

Une ultime observation, dans le ton de l'ensemble des réalisations visitées lors de notre périple en Scandinavie : imaginerait-on, en France, un Opéra au sommet duquel on pourrait marcher (sans la moindre rambarde de sécurité), ou même pique-niquer, et qui servirait de rampe de départ pour une descente en skate-board vers les eaux du fjord ? La réponse semble évidente. « Ici, [par contre], explique Bjoern Simensen, directeur de l'Opéra d'Oslo, vous pouvez marcher sur le toit et piétiner ainsi l'œuvre d'art. C'est le seul Opéra où l'on peut faire ça. »

Décidément, en territoire viking, n'est n'est tout à fait comme ailleurs...




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