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QU'EST-QU'UNE * PERSONNE * ? (06/fin)

Publié le 07 octobre 2008 par Osmose

Pluralité du sujet.

Sujet originel de toute légitimité possible et par conséquent de l'humanité de chaque homme, l'œuvre, par quoi il n'y a donc de sujet qu'à en être ordonné, est la preuve ontologique en personne, dans sa consistance à chaque fois définitive et absolue.
Et pourtant il est objectivement vrai que les œuvres sont multiples - ce qui contredit bien évidemment l'absoluité consistante que nous sommes amenés à reconnaître, enfin et définitivement, à telle œuvre dont l'exemplarité proprement métaphysique est le sens, et donc aussi la nécessité, de son unicité. Il faut même aller plus loin dans l'indication de cette pluralité et préciser que par œuvre nous entendons la structure ontologique elle-même (pour l'étant : d'être) comme chose, et non pas surtout une classe de choses.
On aurait donc tort, malgré l'orientation des exemples que nous avons utilisés, de cantonner la compréhension de cette notion dans le seul domaine de l'art ou de l'esthétique - à moins précisément de prendre ce dernier terme en son sens le plus littéral, comme on va voir.

Car non seulement il y a des œuvres qui ne relèvent pas de l'art (la Relativité, l'hégélianisme, le Christianisme, etc.) et qui n'en sont pas moins des œuvres parce qu'à définir originellement le domaine de leur pertinence elles sont leur propre condition d'intelligibilité, mais encore il y a des actes qui répondent à cette dernière définition et qui sont donc essentiellement antérieurs, au sens où l'existence dont ils sont alors l'essence l'est toujours chez les hommes : ce sont les "gestes", c'est-à-dire les exploits des héros, mais aussi, en jouant sur le genre du mot français au sens du numen, ce geste du bras que faisaient les dieux grecs et qui scellait le destin des hommes.
Un héros, c'est en effet quelqu'un qui se trouve seulement défini par une certaine action dont la suffisance réduit à vanité tant les tenants que les aboutissants (les raisons déterminantes donc la déterminité mondaine, mais pas là consistance puisque l'existence ainsi essentialisée et donc universalisée l'a été par elle ), quelqu'un qui se trouve ainsi littéralement sorti de la vie où tout vaut toujours par autre chose et où rien n'est désintéressé, à la fois au-dessus et en-deçà d'elle parce qu'il en invente le sens en effectuant l'existence comme une certaine consistance dont son geste est dès lors l'inscription irrécusable, à partir de quoi désormais on aura raison ou tort de faire ce qu'on fait.

Remarquons que cela est aussi vrai pour l'atrocité : les tortionnaires et ceux qui déportent ont ouvert la voie à une humanité abominable; et si nous avons été sur la lune avec Armstrong ou pensé l'univers avec Einstein, nous avons aussi massacré les hommes et bafoué l'esprit avec les nazis.
Non pas que nous l'ayons forcément fait, mais en ce sens que de tels actes dont l'énormité interdit qu'aucune explication en soit jamais recevable, instituent par cela même une horrible légitimité. Nous l'avons dit, on n'y échappe pas : le mal existe; il est que des consistances abominables de l'existence en général (existence que ce qui fait défaillir toute explication a nécessairement pour essence, avons-nous vu) soient vérités sanctionnantes pour des atrocités dès lors légitimes. Car le mal, précisons encore, n'est pas qu'il y ait en fait des gens méchants (ce qui ne serait qu'un malheur explicable par différents déterminismes mondains et non la réalité du mal), mais c'est par exemple que l'existence soit en toute dernière instance absolument implacable, et que la corrélation métaphorique de cette nécessité avec l'abomination tortionnaire en soit humaine c'est-à-dire légitime. En effet : un nazi, pour garder le même exemple, n'est pas quelqu'un qui aurait commis une erreur sur ce que c'est vraiment que vivre.
En d'autres termes, on ne comprend la possibilité du mal en tant que sa notion est seulement possible en droit qu'à y voir un choix dont le caractère humain atteste paradoxalement de la légitimité, un choix originellement sanctionné d'une certaine consistance, disons implacable ou sauvage, de l'existence irrécusable comme telle. Le choix de torturer ou d'humilier n'est humainement possible qu'à ce qu'on y ait raison (qu'on le ramène à une aliénation sociale ou politique, à des pulsions destructrices, à une structure perverse ou à d'autres explications également mondaines, et c'est du malheur qu'on parle : pas du mal).C'est donc seulement du point de vue de la représentation qu'une condamnation en est à la fois possible et nécessaire, mais métaphysiquement - et c'est précisément cela, l'atrocité qui le constitue comme le mal et non pas comme un simple moment du monde - il y a quelque part une légitimité absolue des pires abominations...
Cette consistance de l'existence en général qu'on doit forcément supposer pour comprendre l'irrécusable humanité de certaines actions, elle est l'essence d'œuvres où d'actes qu'en ce sens il faut bien qualifier de diaboliques.

On pourrait encore parler, pour en terminer avec cette question du sujet absolument antérieur, des héros de faits divers - et à la limite de ces sujets de représentations qui valent pour eux-mêmes: ainsi Emma Bovary institue-t-elle la vie non pas comme une certaine activité d'écriture (cela, c'est l'œuvre de Flaubert qui le fait), mais comme impossibilité irréductible; ainsi encore les souliers usagés, examinés par Heidegger dans ce tableau dont il n'a rien vu (car il s'y agit toujours et seulement de la définition de la peinture, puisque c'est un tableau), et qui sont bien les sujets d'une existence toute de pesanteur difficultueuse, à par de laquelle seulement la vie du paysan peut avoir son sens.
Ajoutera-t-on encore que de ce point de vue les mythes valent pour des œuvres, et qu'il y a toutes sortes de mythes...

On aperçoit donc le paradoxe : chaque œuvre est absolue, définitive et totale, parce qu'en elle il s'agit de la vérité. Et pourtant il y a plusieurs œuvres. Dans un premier moment, on reconnaît bien sûr le caractère réflexif de cette pluralité: si tel film de Fellini est la première des œuvres (les autres n'ont existé que pour la préparer, et les suivantes sont inutiles, puisque désormais tout est dit...) et donc l'invention même de l'existence, je puis bien forcer mon intelligence, qui s'appuiera pour nier l'évidence sur une mémoire que je ne reconnaîtrai pas, à prononcer que d'autres œuvres sont aussi des œuvres. Mais il nous semble qu'une pluralité bien plus réelle dans son essentielle impossibilité est envisageable: celle-là même dont témoigne la diversité des institutions de l'existence (et par conséquent, pour chacun, de la légitimité de sa vie), telle qu'on peut la reconnaître dans l'impossibilité d'unifier ce que nous vivons, nous qui ne nous reconnaissons pas dans la plupart de nos actions. D'où cette question apparemment aberrante : l'existence en général serait-elle donc plurielle?

L'existence en général ou la vérité, nous le savons, il faut la concevoir selon la " consistance " dont l'œuvre est l'irrécusable établissement; de sorte que si l'œuvre est multiple autrement que d'une manière réflexive c'est-à-dire conceptuelle - et malgré le caractère contradictoire de l'idée, il semble bien que ce soit le cas - nous devons poser que l'existence en général est plurielle...
En nommant "essence" cette consistance (en quoi l'être (esse ) consiste), nous posons donc une pluralité des essences qu'il serait alors absurde de prétendre unifier. Et pourtant ce dernier refus est contradictoire, puisque l'existence en général (car il est bien entendu que nous ne mentionnons pas ceci ou cela comme existant) est UNE par principe, tautologiquement. En effet, et c'est précisément la thèse dont l'absolue nécessité nous est apparue. Mais si ce principe-là était plusieurs?...

L'existence en général serait toujours une, sauf que nous devrions en admettre la pluralité... de sorte que pour chaque individu humain il faudrait employer la notion de vie au pluriel : chacun serait plusieurs vies, c'est-à-dire qu'à partir d'œuvres multiples mais à chaque fois absolument unique (s), une certaine métaphore, sa vie avec son sens irréductiblement propre, en serait comme parallèlement la signification sanctionnée. La thèse paraît folle, j'en conviens, mais elle est simplement la reconnaissance que dans le monde il n'y a pas qu'une seule œuvre.

Folle pourquoi? sinon parce que nous avons l'habitude, à force de confondre la vérité et donc l'être avec la représentation, de concevoir l'existence en général à partir de l'unité de notre cogitation, et implicitement sa consistance à partir de ce que Sartre nomme notre "projet existentiel"? Mais c'est une pétition de principe, puisqu'il n'y a pour chacun de projet unique possible (sa vie, au singulier) que par l'unicité de l'existence en général dont ce projet est l'assomption. Entre une pétition de principe et la nécessité de nier que toutes les autres œuvres soient des œuvres, il faut choisir.
Contre l'unicité actuelle de ma réflexion, je pose qu'en moi il y a des vies parce que je vis à partir d'une pluralité d'œuvres qui fait que ces vies sont des sens, que nous nommerons en référence à Leibniz des "incompossibles". Et puisque cela conditionne la possibilité vitale de tout, nous dirons que ces sens (la métaphore de la consistance dont chaque œuvre qui m'a fait humain est à chaque fois l'origine) relèvent essentiellement de l'esthétique, au sens littéral annoncé plus haut.
Car si je vois, c'est que des choses - pas n'importe lesquelles - se sont révélées pour instituer l'existence en général à chaque fois comme une certaine et définitive visibilité, et par conséquent ma vie que chacune autorisait comme une certaine vision (en cela donc, et réflexivement : je ne vois pas, mais j'ai des "visions"- car à vivre de Picasso, je ne renie pas Van Gogh; et pourtant ils s'excluent, puisque l'existence en général en quoi tel ou tel tableau consiste, c'est l'absolu) ; et si j'entends, c'est que d'autres œuvres n'étaient faites que pour instituer à chaque fois d'une certaine audibilité l'existence en général, etc...
Et qui nierait de toute façon qu'il y ait des pans entiers de notre vie (mais s'ils sont entiers, alors ce sont bien des vies...) qui soient façonnés par des œuvres que nous n'avons d'ailleurs pas nécessairement approchées ?

Nous récuserons donc la notion habituelle d'un sujet humain qui devrait être absolument un parce que l'origine de ce sujet, dans l'exclusivité qui la définit, est néanmoins toujours plurielle (si Sartre m'apprend à penser, mais aussi Lacan, c'est Beethoven mais aussi Bach qui m'apprend à écouter, etc.).
Non pas donc que nous niions que ces vies ne se réfléchissent dans l'unité de la vie individuelle, mais nous nions réflexivement que pour chaque être humain la vie individuelle ait un seul sens, parce que s'il n'y a de vie que par l'UN dont nous avons reconnu le sujet (l'un n'est pas mais toute vie est qu'il y ait de l'UN), il ne peut pas y avoir, à cause de la pluralité indéniable de ce sujet, une unité personnelle totale : c'est tout dans l'homme qui est personnel, et la maîtrise absolue qui définit l'humain est aussi bien absolue et totale dans tel ou tel moment de la vie que dans tel autre qui lui est juridiquement exclusif : dans le même individu, celui qui parle n'est par exemple pas nécessairement le même que celui qui écoute, ni celui qui est doux celui qui est brutal, ni celui qui est intelligence celui qui est sot (on pourrait même montrer qu'il y a des existences de bêtise possibles chez les gens les plus ouverts), mais il est à chaque fois, dans 1'"incompossibilité", engagé dans une relation de droit à l'existence : des attitudes éventuellement contradictoires ont une légitimité qui s'assure à chaque fois absolument et donc exclusivement dans l'existence, puisqu'à chaque fois. elles sont humaines.

EN Conclusion nous dirons que :

On ne peut concevoir la personne qu'à reconnaître l'antériorité de la vérité sur la vie parce que celle-ci doit s'en autoriser (elle n'est humaine qu'à être valable et pas simplement réelle), et qu'à reconnaître l'antériorité de la vérité sur elle-même (que la vérité ne soit pas un dernier fait métaphysique, qui resterait comme tel stupide et inerte, dont rien ne pourrait dès lors s'autoriser).

On appelle " génie " l'antériorité de la vérité sur elle-même : la nécessité qu'elle soit vraiment (par opposition à réellement) la vérité, autrement dit l'impossibilité qu'on en ait jamais fini avec l'œuvre, dès lors qu'elle en est une. Définir la personne comme sujet de droit, c'est la définir à partir de la vérité et donc, à cause de l'antériorité à soi qui la définit, à partir du génie.

Subjectivement parlant, le génie est une notion éthique : elle ne concerne pas un " don " qu'on pourrait imputer à une Nature impersonnelle et aveugle et qui dédouanerait chacun de sa responsabilité (on ne serait pas plus responsable d'être ou non " doué " qu'on est responsable de la couleur de ses yeux ou de sa peau), mais au contraire c'est le refus d'avoir cédé sur le fait qu'on est singulièrement soi-même - et pas n'importe qui (un représentant anonyme de l'humanité en général : celui que n'importe qui aurait été à notre place) que nous reconnaissons au principe des œuvres et qui se trouve impliqué dans la reconnaissance que nous éprouvons malgré nous envers leurs auteurs (alors que l'idée de gratitude envers un individu caractérisé par une aptitude naturelle rare est absurde, même si cette aptitude se révèle utile aux autres).
Les " créateurs " nous donnent ce que nous ne savions pas manquer : la vérité (pour nous à chaque fois partielle) dont nous pourrons dès lors nous autoriser, c'est-à-dire le lieu où notre parole (ou au contraire notre démission dans la conformité aux impératifs communs) peut être vraiment la nôtre.
C'est de cette éventualité seule que la personne se définit.

On appelle humanité cet ensemble de vivants dont quelques-uns font que tous les autres ont raison de vivre.


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