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Qu'est-qu'une * personne * ? (03)

Publié le 07 octobre 2008 par Osmose

La double métaphore du droit.

A l'impossibilité qui vient d'être établie d'identifier l'humain à sa représentation, on opposera cependant la nécessité de ne pas réduire la personne à la pure subjectivité, une légitimité sans extériorité ne pouvant bien entendu pas en être une.
Aussi ne nions-nous pas la nécessité du moment représentatif, mais seulement la conception absurde du droit qu'impose, à travers la théorie de la réciprocité des reconnaissances, son hypostase en origine absolue - et qui serait précisément qu'on identifie la personnalité c'est-à-dire l'humanité à la "représentabilité" ("respectabilité" n'est pas loin, comme on voit).
Or le paradoxe ici, c'est que le " réel ", dont la représentation est par définition toujours l'écart, doit être originellement juridique c'est-à-dire déjà constitué d'une irréductibilité elle-même juridique du droit au fait (à commencer par celui qu'il constituerait lui-même : c'est un fait qu'il y a le droit).
Car c'est la personne, dont la réalité n'est envisageable qu'en droit, qui accède à la reconnaissance ; de sorte que si cette dernière institue le droit comme l'extériorité des volontés, elle le fait d'un droit plus originel qu'elle-même auquel elle se substitue pour le signifier : de sorte que ce n'est plus la maîtrise originelle de l'humain (que tout homme préfère toujours la mort à l'inacceptable) qui sera au principe des droits réels, mais bien sa reconnaissance par les autres ; ainsi le "droit naturel" est-il l'énoncé de tout ce qu'implique la reconnaissance, et l'interdiction de tout ce qui la contredit.

La métaphore est dès lors la structure de cette exclusion : substitution pour signifier la personne d'un signifiant à un autre, à savoir de sa reconnaissance à son existence déjà juridique (en tant qu'elle est à elle-même la preuve de son acceptabilité, puisque c'est personnellement qu'elle a lieu).
Qu'il soit dans l'essence du droit de se précéder lui-même, c'est donc ce que la nécessité pour la reconnaissance de ne jamais porter que sur du déjà légitime, elle qui en est positivement l'institution, contraint à désigner sous le terme de "métaphore juridique".

En ce sens, la personne effective n'est jamais que métaphorique sans qu'aucun fait premier puisse jamais être supposé
(à commencer par celui du droit, qui ne serait comme tel qu'un fait parmi d'autres).

L'essence métaphorique du droit et donc de la réalité personnelle, on peut très facilement la mettre en évidence au moyen d'un exemple banal. Imaginons une revendication quelconque, disons salariale.
Si le travailleur revendique, ce n'est pas au nom de son désir de gagner plus d'argent qui ne relèverait que du fait et impliquerait seulement l'engagement d'une épreuve de force, mais c'est au nom d'une légitimité qu'il aperçoit forcément comme telle, d'un droit à gagner plus qui lui paraît être le sien sans qu'il ait jamais eu à en décider, et dont pour cette raison précisément il est impossible qu'il n'exige pas la reconnaissance institutrice d'objectivité. Elle ne viendra pas nécessairement, mais cela restera sans incidence aucune sur la légitimité de la revendication elle-même.
Or cette reconnaissance, si elle advient, c'est elle qui va rendre signifiante la revendication (on signe une nouvelle convention salariale) en la convertissant en sa propre représentation (dans une discussion ultérieure, le travailleur pourra arguer de la convention signée). Et la corrélation de la reconnaissance et de la représentation où l'employeur verra seulement la légitimité a posteriori de la demande ("vous avez raison de citer ce chiffre, puisque c'est celui qui a été convenu"), nous devons bien constater qu'elle s'identifie au passage de la légitimité première "sous la barre de la signification" : refoulée de l'ordre social qui se constitue précisément de son absence (c'est la convention signée qu'il faut respecter, non la légitimité dont elle est la reconnaissance), elle n'en continuera pas moins de travailler par en dessous des situations où elle pourra faire retour (par exemple la hausse des prix pourra conduire à ce qu'on dénonce comme inique l'accord où le droit était pourtant clairement signifié).
On voit bien là non seulement que la vérité ne peut pas s'identifier à la représentation (ou plus exactement que leur identification est un effet exclusivement idéologique, que dans notre exemple on pourrait appeler, en manière de clin d'œil lacanien et en pensant à Marx découvrant "la forclusion de la plus-value" au principe du discours capitaliste, la "métaphore patronale"), mais encore qu'il n'y a de droit possible que par l'impossibilité de dire une légitimité première : une prétention peut être légitime, elle ne sera pas entendue si elle n'est pas légale, précisément parce que la légalité se constitue de signifier la légitimité.
Et ce mécanisme de substitution par lequel c'est un signifiant (dans l'exemple, la convention) qui se substitue à une vérité propre ainsi rendue impossible à dire, c'est ce qu'on peut aussi bien indiquer dans le cadre d'une interrogation sur la personne en disant qu'il s'agit de passer d'une légitimité qu'on est à une légitimité qu'on a, puisque ce n'est pas la maîtrise originelle qui s'effectue en droits réels mais la reconnaissance : ce n'est pas la légitimité antérieure à la reconnaissance de la revendication qui la rend signifiante, mais sa légalité postérieure. Ainsi le droit n'advient-il qu'à se scinder de sa propre antériorité : ce n'est pas par la légitimité qu'elle sanctionnait que la convention salariale de notre exemple est signifiante, mais par l'ensemble des autres règlements et conventions qui forme le droit du travail.
Cette métaphore où la légalité se constitue de rendre la légitimité impossible à dire, c'est ce que nous appellerons le premier niveau (pour nous et non pas en soi) de la constitution du droit.

Si la reconnaissance où se motivent les droits réels interdit que la légitimité originelle puisse être signalée, celle-ci, qu'on vient de décrire comme préférence de la mort à l'inacceptable, interdit à son tour que le critère par quoi ce dernier est précisément tel puisse lui-même être énoncé.
C'est-à-dire que la reconnaissance installant le sujet à se représenter dans le droit, est à son tour la métaphore d'une personnalité dont la représentation qu'elle est de son propre devoir vivre (représentation qui est le motif de l'exigence de reconnaissance) métaphorise la raison qu'elle a de vivre : celle-ci ne s'entend pas selon l'indication qu'on pourrait donner du critère par lequel vivre serait valable, mais par la certitude cogitative, dès lors définitivement coupée de sa justification, qu'on a, pour le moment encore, raison et non pas tort de vivre.
Ecartée par la constitution de la réalité personnelle autrement dit par la reconnaissance dont le cogito est la répétition pour soi, la maîtrise originelle, qui est la noblesse ou encore l'humanité de l'humain, est à son tour l'écart de son critère (qui concerne la vie comme telle et par conséquent ne peut figurer en aucun moment de celle-ci) et donc - à cause de ce caractère second - sa forclusion : impossible de jamais énoncer ce que signifie qu'on ait raison de vivre, précisément parce que c'est cela qui est reconnu dans l'institution de la personne réelle et que celle-ci est déjà le refoulement de notre humanité de principe (seul ce qui est légal peut être signifié).
Les droits dont on jouit positivement et dont la reconnaissance de ceux qu'on reconnaît est le principe - et ils ne peuvent reconnaître qu'une personne humaine, c'est-à-dire un sujet constitué de l'irreprésentabilité de sa raison de vivre - sont ainsi formellement intelligibles dans la légitimité qui les définit selon la métaphore au carré de cette vérité originelle doublement perdue, par laquelle seulement nous sommes humains : le refoulement de la personne en sa représentation pour la positivité du droit est lui-même la métaphore de la vérité originelle dont l'irreprésentabilité assure la représentation de soi, dans le cogito de la vie qui se continue d'être personnelle.

Originel à la personne comme celle-ci l'est à son droit
, il faut donc poser à travers une double "métaphore" où se conditionne toute légitimité ce qu'on nommera énigmatiquement un principe originel de légitimité, que le sujet personnel peut encore moins se représenter quand il continue de vivre que le sujet psychologique ne peut se représenter ce qu'il cherche vraiment dans tout ce qu'il désire.

Le droit dont la personne effective est le sujet apparaît ainsi procéder d'une légitimité plus originelle que celle qui se trouve au principe de la reconnaissance, parce que cette légitimité (la maîtrise originelle) en est elle-même la métaphore : il y a une nécessité, dès lors forcément absolue, dont la vie humaine accède à la reconnaissance d'être précisément la métaphore, et qui est celle de la raison de vivre.
C'est-à-dire que le caractère légitime de la vie, dont le fait même de vivre est chez l'homme l'irrécusable témoignage, révèle que le principe originel dont la personne humaine réelle est l'effectuation (au sens où la légalité effectue la légitimité), que ce principe, donc, a lui-même pour essence paradoxale d'être absolument légitime. Il est quelque chose dont on peut dire que "la vie" est, comme valable, le signifiant métaphorique et ainsi son critère, puisque ce que la métaphore signifie est le critère de sa pertinence.
Ainsi apercevons-nous que tout droit ("naturel" ou positif) procède d'une légitimité originelle qui est la préférence de la mort qu'on vient d'exposer, mais que cette légitimité procède elle-même en dernière instance de l'absolue nécessité de ce que la vie a à être métaphoriquement. Aucun droit n'est par conséquent jamais possible qu'il ne se fonde, selon la double métaphore qui structure ainsi la personne, sur l'absolue nécessité de ce à quoi la vie se rapporte nécessairement pour être personnelle, c'est-à-dire valable.
Ce critère dont la nécessité dès lors métaphysique apparaît ainsi comme l'origine de tout droit possible, nous l'appréhendons pour le moment par son absolue antériorité, qu'il convient donc d'expliciter.

L'antériorité absolue.

La raison - par opposition à l'éventuel tort - de vivre, c'est la raison qu'il y ait la vie, c'est-à-dire que la vie soit valable. En cela consiste donc la notion de valeur des valeurs, pour définir l'humain toujours antérieur à sa représentation.

Or si l'on ne vit qu'à trouver la vie valable, c'est qu'elle relève d'une vérité plus originelle qu'elle-même
et par quoi seulement une essentialité positive ou éventuellement négative peut lui être reconnue, une essentialité dont le principe reste irreprésentable, puisque toute représentation est encore un moment de la vie alors que c'est la vie elle-même et comme telle qui s'en trouve sanctionnée. Pour cette dernière raison, nous comprenons que le principe de toute légitimité n'était pas refoulé au sens où la légitimité d'une revendication peut l'être par la légalité qui signifie le droit - bien qu'on puisse comparer, à cause du redoublement de la structure métaphorique, l'être humain que les circonstances amènent à dire "la vie, ce n'est pas ça" avec la personne qui s'insurge contre l'ordre légal parce que "le droit, ce n'est pas ça" - mais il est forclos.
L'antériorité dont relève l'origine de toute légitimité et par conséquent de tout droit possible est donc en quelque sorte absolue, et c'est pourquoi il faut parler de forclusion.

La vie qui comprend tout ce qui vaut a elle-même à être valable. L'antériorité du critère se confond par conséquent avec la nécessité pour tout ce que la vie comprend de relever d'une valeur qui soit non pas celle que la vie lui impose en tant qu'elle en est la compréhension, mais qui soit la valeur dont cette valeur relève elle-même : si je sais ce que valent vraiment les valeurs qui font la réalité de la vie, c'est la vérité ultime de celle-là que je possède (la sagesse, idéalement, est la juste estimation non pas des choses, mais des valeurs).
Ainsi la valeur des valeurs apparaît-elle comme l'absolument antérieure: il y a toujours des valeurs, et elles interdisent que leur valeur soit seulement interrogée, puisqu'elles ne valent pas par quelque chose qui vaudrait absolument (le principe absolument légitime dont on vient de parler, et dont la mention est toujours énigmatique), mais les unes par les autres (autrement dit: la vie est "sérieuse").

Cependant on peut dire encore que l'absolument antérieur
, qui est ce que les valeurs de toutes les choses constituent à chaque fois comme impossible, est aussi bien l'être. Car la vie se confond précisément avec l'impossibilité pour l'étant de s'entendre selon son être, puisqu'elle est, dans sa positivité, l'identité toujours-déjà effective de cet étant à la valeur dont elle est la définition - autrement dit parce qu'elle est l'identification de l'être de cet étant à la compréhension qu'elle en est nécessairement.
Par exemple, tel animal pour tel autre vaut seulement comme proie et nullement comme étant (on ne peut pas dire que son être propre consiste à se faire dévorer ; or dans la vie de son prédateur, il ne peut consister qu'en cela).
La collusion de l'être et de la valeur dont la vie, où chaque chose vaut et signifie relativement aux autres choses qui sont ses raisons d'être dans le monde d'un certain vivant, est l'ordre de définition, on peut donc la nommer indifféremment forclusion de l'être parce que ce n'est jamais par son être propre que l'étant est mais toujours par les autres et dans l'horizon d'une certaine ipséité du vivant, et forclusion de la valeur des valeurs parce que cette constitution réciproque des choses, en identifiant leur être à l'essentialité qu'elles sont les unes pour les autres, exclut que soit jamais possible un point d'ancrage axiologiquement absolu ou fixe, à partir duquel les valeurs pourraient positivement valoir.

Comme si l'être était en toute dernière instance la valeur des valeurs, c'est-à-dire le critère de la vie...

Car comment les valeurs pourraient-elles se voir estimées, sinon précisément par l'essentielle vérité (pour l'étant : son être) dont elles sont structurellement la forclusion ?
Ainsi la compréhension exacte de l'être d'une entité quelconque, en admettant qu'elle soit possible, constituerait le critère de la valeur qui le représente.

Mais le sens que la vie impose à toute chose en tant qu'elle en est la compréhension, est comme tel toujours le bon, si elle-même est valable comme vie, c'est-à-dire si elle est la vie d'un vivant qui a raison de vivre !

Il faudrait donc considérer non pas tel ou tel étant particulier selon son être, mais les choses de la vie selon ce qu'il faudrait dès lors nommer l'être en général et par quoi c'est la vie, réciprocité des valeurs en fonction du vivant, qui pourrait elle-même être valable. Ainsi comprenons-nous que cet être dont la vie est littéralement l'impossibilité ne doit pas s'entendre selon la détermination de l'étant qui, dans la vie, en serait le sujet (l'étant est "cela qui est"): il n'y a de détermination que par les raisons déterminantes et celles-ci sont encore et toujours des moments de la vie, c'est-à-dire de la forclusion de l'être.
Ce qu'on justifiera logiquement à rappeler que la déterminité, en tant qu'elle relève de raisons déterminantes, est strictement corrélative de la valeur qui est le degré d'essentialité de quelque chose relativement à ses raisons d'être qui sont les raisons déterminantes - relevant comme telles de la compréhension c'est-à-dire encore de la vie.
Sauf donc à confondre ce que tout notre problème est de concevoir comme séparé c'est-à-dire l'antériorité de la vérité sur la vie ou encore de l'être sur le monde, on retiendra que la forclusion de l'être en quoi nous pouvons dire que consiste, à parler négativement, toujours la vie, le concerne en général, et qu'il n'y a aucune possibilité de dire qu'elle concernerait l'être de tel ou tel étant particulier. Or l'être en général, ce n'est pas l'être de quelque chose qui devrait s'entendre à partir d'autre chose (on peut aussi bien dire que c'est l'être de tout, hors de quoi il n'y a rien) ; de sorte qu'il nous paraît, d'un point de vue strictement terminologique, plus exact d'en remplacer la notion par celle de l'existence - puisqu'on nomme ainsi l'être de ce qui est en soi au lieu de se perdre dans des expressions dont il serait l'intelligibilité propre (à strictement parler, cette table existe, mais pas la loi de la gravitation, qui est l'intelligibilité propre d'un ensemble de phénomènes), autrement dit l'être dans l'intransitivité de sa position.
Ainsi devons-nous plutôt dire que c'est l'existence en général qui se trouve constitutivement forclose par la vie. L'impossibilité de la vérité que la vie est proprement, on peut donc dire qu'il faut la penser comme l'impossibilité qu'en elle où tout vaut toujours par autre chose il aille jamais de l'existence en général - laquelle serait donc le critère de la vie.

C'est ce que révèle en effet l'essentielle possibilité qui définit l'humain de récuser son existence plus encore que sa vie, ou plus précisément de récuser sa vie en tant qu'elle est son existence. Car ce n'est pas du tout le même de refuser la vie, et de se supprimer (bien qu'évidemment le premier comportement finisse par donner le résultat du second).

Refuser la vie, c'est refuser quelque chose, c'est-à-dire demander autre chose (ainsi les anorexiques meurent de faim à refuser les substituts de l'amour), tandis que se supprimer, c'est se rapporter non pas à tel ou tel objet même total dont on ne veut pas (et notre vie peut bien être un objet total: par exemple ce que nos parents ont désiré ou au contraire ce à quoi ils se sont résignés), mais à l'être en tant qu'être selon quoi seulement la vie et la réflexion qui la prend pour objet peuvent tout uniment être récusées.
Comprendre que refuser la vie et se supprimer ne sont pas le même, c'est donc se libérer de l'apparence selon laquelle la vie serait l'horizon ultime de tout - et c'est commencer à entrevoir que la vie puisse paradoxalement relever d'un horizon essentiellement autre que celui qu'elle est pour toute chose : horizon par lequel une valeur sera possible non pas seulement pour les choses comprises, mais pour leur compréhension elle-même, horizon dès lors absolument antérieur et dont on ne peut plus nier qu'il soit celui de l'existence.


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