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Autoflagellation au Palais royal

Publié le 10 octobre 2008 par Combatsdh

Signalé par esthreya, la plus fidèle critique de combats pour les droits de l’homme, cette boulette erreur matérielle du Conseil d’Etat.

L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 juin 2008 Gestas est commenté partout (v. JCP A 2008, act. 584 ; JCP G 2008, act. 475; AJDA 2008 p. 1237)

Mais ce n’est pas tant l’apport de cette décision qui nous intéresse - la reconnaissance pour la première fois de la possibilité d’une indemnisation pour faute lourde en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice du fait du contenu d’une décision juridictionnelle pour violation du droit communautaire.

“Considérant que la requête de M. A tend à rechercher la responsabilité de l’Etat, d’une part en raison de la durée excessive de la procédure suivie devant la juridiction administrative et, d’autre part, du fait de fautes lourdes que cette dernière aurait commises dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ;

(…)Considérant qu’en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité ; que si l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l’Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entachée d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers”

Ce qui va nous intéresser ici c’est la première partie de la décision qui est un cas désormais classique d’application de la jurisprudence Magiéra .

Sauf que là il s’agit pour le Conseil d’Etat de s’autoflageller puisque la responsabilité de l’Etat en raison de la durée excessive de la procédure suivie devant la juridiction administrative est due au… Conseil d’Etat lui-même.

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11 ans pour rendre une décision en appel et… près de 2 ans pour la notifier!

Sans oublier les 3 années pour rendre une décision en rectification d’erreur matérielle.

Soit un délai total de 15 ans et 8 mois pour obtenir une décision définitive.

Dans les conclusions pas un mot n’est dit sur le dysfonctionnement interne à la haute juridiction administrative expliquant ce délai excessif.

Mais le plus drôle dans cet exercice de condamnation de l’Etat pour son propre fait par le Conseil d’Etat est qu’il a commis une nouvelle… erreur matérielle en rendant sa décision du 18 juin 2008.

Attention soyez attentif aux faits et à la procédure :

“Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. A a saisi le 17 mai 1985 le tribunal administratif de Pau d’une demande d’annulation d’une décision relative à sa situation professionnelle, qui a été rejetée le 24 juin 1986 ; que, saisi par la voie de l’appel par le ministre de l’éducation nationale, le Conseil d’Etat a statué par une décision du 29 décembre 1997 qui lui a été notifiée le 18 octobre 1999 ; que, face à l’inaction de l’administration, l’intéressé a demandé au juge administratif l’exécution de la décision sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, puis a introduit un recours en rectification d’erreur matérielle ; que ces instances, déterminantes pour la solution donnée en définitive au litige, doivent en principe être incluses dans le décompte du délai mis par le juge administratif pour se prononcer à titre définitif sur le litige opposant M. A à l’administration de l’Education nationale ; que, toutefois, si le Conseil d’Etat a statué en qualité de juge de l’exécution et de juge en rectification d’erreur matérielle par des décisions des 3 juillet 2002 et 19 novembre 2003, l’intéressé a obtenu de l’autorité administrative dès le 29 janvier 2001 l’entière exécution de la décision du 18 octobre 1999 ; que c’est, par suite, seulement jusqu’à la date du 29 janvier 2001 que doit s’apprécier le délai mis par la juridiction administrative pour se prononcer sur le litige que M. A lui avait soumis ; que ce délai a ainsi été de 15 ans et 8 mois”

Rien ne vous a choqué!

Aie aie aie. Vous n’êtes pas (encore) prêt pour l’examen d’avocat.

Pourtant l’épreuve de procédure administrative contentieuse approche….

Allez on se la refait.

M. Gestas a “saisi le 17 mai 1985 le tribunal administratif de Pau d’une demande d’annulation d’une décision relative à sa situation professionnelle, qui a été rejetée le 24 juin 1986 ; que, saisi par la voie de l’appel par le ministre de l’éducation nationale“.

Mais oui!

Si le ministre a fait appel c’est que le tribunal administratif de Paris a nécessairement annulé la décision relative à la situation professionnelle de l’intéressé.

C’est confirmé par les conclusions du commissaire du gouvernement Catheriine de Salins, publiée à la RFDA (2008, p.755):

“M. Gestas a été recruté en 1977 par le ministère de l’Education nationale en qualité de maître-auxiliaire et a été affecté à cette date au lycée d’enseignement secondaire Charles Despiau à Mont-de-Marsan (Landes). Il a sollicité en 1983 sa titularisation (…). Une proposition lui a été faite qui impliquait une nomination sur un poste dans l’académie de Paris. L’intéressé a décliné cette offre en raison de l’état de santé de sa mère et s’est retrouvé sans emploi lors de la rentrée 1983-1984. Il a cependant été ré-employé comme maître-auxiliaire du 5 décembre 1983 au 28 juin 1984 pour assurer un remplacement mais cette nouvelle affectation s’est traduite par une perte d’échelon puis l’intéressé n’a à nouveau plus reçu d’affectation à compter de la rentrée 1984-1985.

M. Gestas a, à la suite de ces mesures, présenté plusieurs demandes à l’Administration (…)

M. Gestas a alors saisi le tribunal administratif de Pau d’une requête tendant à l’annulation du refus de la prime pour perte d’emploi puis d’une autre requête tendant à l’annulation du refus de reconstitution de carrière et d’octroi de la prime prévue par le décret de 1984, enfin d’une troisième requête tendant à la condamnation de l’Etat à réparer les conséquences de l’abaissement d’échelon illégal.

Par un jugement du 24 juin 1986, le tribunal administratif de Pau a annulé le refus d’octroi de la prime pour perte d’emploi.

Par un second jugement du même jour, le tribunal a annulé la décision du recteur en date du 21 février 1985 (…).

Le ministre a relevé appel de ces jugements en tant qu’ils donnent satisfaction à M. Gestas : par un seul arrêt en date du 29 décembre 1997, le Conseil d’Etat a rejeté ses deux recours.”

Le dossier est depuis 22 ans au Conseil d’Etat - imaginez Frédéric Rolin lui-même aurait pu l’avoir perdu classé dans l’amoncellement de son bureau en dessous d’autres priorités - lorsqu’il travaillait à la section du contentieux.

Mais manifestement le Conseil d’Etat n’en maîtrise pas encore tous les détails. On dit pourtant de lui qu’il est attaché au dogme de son infaillibilité.


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