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Un jour à faims

Par Deathpoe
Alors je me défonce à la codéine parce qu'il n'y a rien d'autre à faire pour le moment. Rien d'autre à faire que d'attendre que mon corps se lasse d'énergie, s'emmitoufle de lui-même entre les draps. En quelques sortes, la dernière invitation cachée. La journée avait commencé avec l'éclat du soleil blanc sur le pare-brise des voitures; elle se termine avec la découverte du jouet que j'ai entre les mains l'espace de quelques minutes encore. Conduire parvient parfois à me détendre, et dans le cas présent j'écrase l'accélérateur comme s'il représentait cette quantité d'agacements du jour, ces dos tournés et gentilles cachotteries. Ces chiffres qui sifflent zéro en route pour la prochaine Lune.
Je mélange la solution à l'aide d'une cuillère. Le médicament générique se dilue beaucoup moins bien et il me semble que je commence peu à peu à reprendre mes esprits, à pouvoir enfin me délester de tous ces sentiments contradictoires, à taire une fois pour tout cette envie de gueuler face au ciel vide.
Les lampadaires allumés sont parfois les seules étoiles disponibles. Voilà ce à quoi je pensais dans la nuit de mardi à mercredi, en rentrant d'un inventaire effectué dans une grande enseigne de produits sportifs. C'était là mon premier travail effectué et il m'avait semblé n'être devenu guère plus qu'une saleté d'esclave, prêt à faire n'importe quoi pour gagner l'argent qui lui permettrait d'assouvir ses excès. En rangeant constamment les articles à la main, je m'étais dit que j'aurai pu être ailleurs, à faire autre chose, comme la prendre dans mes bras sans trop prêter attention aux programmes désolants de la télévision, savourer un verre de vin ou un café accompagné d'une cigarette, ou même fermer les yeux et sentir les fourmis du plaisir jusque dans les lèvres pendant une fellation. Mais non, j'étais là à passer un rayon rouge sur des conneries de codes-barres, inlassablement, tout en empêchant le signal sonore de se répéter à chaque fois dans mon crâne. Finalement, il aura fallu des mois pour cela, mais je me suis mis moi-même au pied du mur: je ne savoure plus un verre de vin mais une bouteille entière, je fume beaucoup trop et me laisse facilement submerger par mes sentiments.
Alors je vois mes jours se profiler à un rythme infernal. Un instant, je n'en peux plus, toute énergie me quitte et j'ai la désagréable sensation d'étouffement, la gorge comprimée sous les coups de l'angoisse et des certitudes nocives. Oui, dans ces moments, je serai prêt à craquer, à brûler définitivement toute vie en moi, à littéralement exploser sans me soucier de la brisure qui s'ensuivrait. J'en perdrai la raison et l'amour, la connaissance et la vue, le silence et les battements cardiaques. A quelque chose prêt, comme lorsque j'ouvrai il y a quelques semaines une enveloppe me signifiant un échec supplémentaire, certainement l'un des plus cruels d'entre tous. Je sentais que quelque chose allait littéralement se tordre dans un dernier spasme des plus grossiers. Oui, je peux dire que j'étais prêt à abandonner d'avance toute tentative supplémentaire sans que cela intéresse quiconque, sans que l'on me dire "ce que tu as écris là, ça, ça m'a touché". Les étincelles renaissent toujours, même au fond du cendrier.
Et ce jour, tout a foutu le camp petit à petit et les heures n'étaient pour la plupart que des échardes de plus à retirer. Tout avait pourtant bien débuté, alors que traversai la route pour aller attraper mon bus. Vivre à cent à l'heure, sans se retourner, s'épuiser encore et encore, et sentir ses sources d'énergie se régénérer à chaque instant. "Voilà, je suis agile et pressé, mon esprit est de plus en plus vif et je devine tout ce que l'on me cache. Elle me dit que je suis beau, des femmes se retournent maintenant à mon passage. Je pourrai détailler chaque personne avec précision, en décrire les attentes et les déceptions, les non-dits et les insolences, sans que cela soit plus difficile que de préparer du café." Il y avait dans ces certitudes un goût de sel, comme n'importe quelle sécrétion humaine, et je m'en gorgeai avidement en tendant une cigarette à l'homme qui venait de m'accoster.
Et puis, en montant dans le bus, une pensée s'insinuait en moi comme une pierre que l'on tente d'avaler. "Je n'ai plus le temps d'écrire.", et cette soudaine soumission m'est d'autant plus absurde que je n'ai rien produit d'un tant soit peu valable depuis des semaines, en plus d'être incapable de prendre en main mes projets. D'un coup j'étais comme tous ces gens, ceux-là même qui se tassent sur eux-mêmes et laissent l'encombrement se faire, maudissant l'ennui alors que c'est tout un univers intérieur qui est à découvrir. C'est à ce moment que la journée à commencé de foutre le camp petit à petit, pour finalement déborder alors que je fumais une cigarette, entièrement nu sur le lit.
Je sais tout et je puis encore parvenir à fournir des efforts insensés. Ces mascarades sont beaucoup trop absurdes pour être totalement dénuées de sens. Essayons au moins d'aller dormir.

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