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Subprimes : comment l'hyper régulation des marchés financiers a exacerbé la crise

Publié le 15 octobre 2008 par Objectifliberte

Justice Parmi les fables qui circulent à propos de la crise des subprimes, figure en bonne place celle selon laquelle le secteur financier, et notamment celui des Etats-Unis,  aurait été totalement dérégulé depuis la fin du siècle dernier. Entre autres voix, je lisais encore, sous la plume de DSK, ou j'entendais avant hier par la voix de Pascal Lamy sur BFM, que "le secteur financier américain était beaucoup trop dérégulé". Martelez un mensonge ad nauseam et il deviendra vérité. Bien des honnêtes gens, abusés par tant de certitudes assénées par de si doctes gens, croient que le secteur financier est devenu une sorte de jungle sans foi ni loi.

C'est, bien évidemment, une pure fadaise destinée à alimenter un préjugé anti-libéral. En fait, dans le monde entier, les règles applicables aux secteurs de l'assurance et de la banque sont devenues toujours plus nombreuses et contraignantes. L'économiste Philippe Nataf a découvert que le code bancaire du Massachussets comportait 37 pages en 1860. Aujourd'hui, la réglementation occupe des rayonnages qui couvrent l'intégralité des murs d'une grande salle de bibliothèque de la représentation locale de la FED.

J'ai eu l'occasion d'évoquer le caractère hautement nocif de l'application bête et méchante d'une norme comptable appelée Mark to Market, ou "Fair value accounting". Mais ce n'est là qu'un des volets de l'hyper-réglementation qui touche la sphère financière américaine.
Quelques chiffres

Tout d'abord, voici une liste des lois importantes ayant affecté le secteur financier américain (Banques - Je n'ai pas trouvé de liste similaire pour les assurances), et dont beaucoup sont encore en vigueur. Attention, les lois "secondaires" en sont omises, encore que l'on puisse se demander si le CRA, qui ne figure pas dans la liste, est une loi secondaire... Ces lois sont de longueur inégale, je ne les ai pas toutes examinées. Mais à titre d'exemple, vous pouvez vous même juger du nombre de pages du "Bank Holding Company act" de 1956 toujours applicable, ou de la loi Sarbanes Oxley en 2002. Notez que lorsqu'on dit, par exemple, que le "Glass Steagall act" de 1933 a été aboli, cela signifie seulement que certaines dispositions en ont été abandonnées et que les autres ont été reprises par la loi  de 1999 qui l'a remplacée, en complément de nouvelles règles. Que certaines de ces règles soient venues assouplir d'anciens textes ne permet pas, à l'examen de ces lois, de parler de "dérégulation sauvage"  !

Cependant, même une thèse d'un assouplissement des réglementations ou de leur application au cours des dernières années demanderait un examen approfondi. Une étude du Mercatus Center (George Mason University) nous apprend que durant la période 1990-2007, les dépenses des agences fédérales régulant le monde financier ont cru de 43% hors inflation, et que le nombre de régulateurs financiers travaillant pour ces agences est de l'ordre de 12 000. Accessoirement, dans les années qui ont suivi le vote de Sarbanes Oxley, la réglementation du secteur financier (Banque et assurance) a gonflé de 70 000 pages (soixante dix mille, pas une faute de frappe). Qu'est-ce que ce serait si la finance américaine n'était pas "abusivement dérégulée"...

Exemple de régulation nocive: l'évaluation normative des portefeuilles d'investissements

Mais plus que le poids brut des textes opposables, ce sont leurs effets pervers qui mériteraient un livre. Je m'en tiendrai à ce qui restera sûrement considéré plus tard par les historiens de l'économie comme le "noeud" non pas du déclenchement de la crise, mais de sa transmission à tout le système financier mondial: l'essor de techniques de titrisation aux effets mal maîtrisés. 

Mindles Dreck (Pseudonyme ironique d'un professionnel de la finance), déjà cité sur ce blog, a écrit, au lendemain de l'affaire Enron, un article très pédagogique sur  les origines des produits dérivés les plus "shadocks": ils sont les enfants d'un abus de régulation, de normes imposées aux banques et assurances pour pondérer la valeur de leurs portefeuilles de couverture. Je vous livre un très libre "résumé-traduction", car cela en vaut la peine pour comprendre le bazar dans lequel nous sommes :

Les compagnies d'assurance furent une mine d'or pour les vendeurs de dérivés. Non  que leurs managers soient des idiots, mais parce qu'ils doivent gérer leurs investissements dans un enchevêtrement de réglements particulièrement contraignants. Régulation fédérale, régulation d'état... Ils remplissent chaque trimestre un rapport statutaire utilisant des calculs de prix réglementés (NdT: pour leur portefeuille d'actifs), qui déterminent des ratios de risque.

Bien que l'assurance ait été lourdement réglementée depuis la fin de la seconde guerre, les cas de fraude ou de mauvaise gestion ont été nombreux et spectaculaires, et encore, pour chaque cas médiatisé, il y en a des dizaines moins importants dont vous n'entendrez pas parler. C'est peut être la nature de l'activité qui le veut, mais cela ne constitue pas à première vue un argument pour plus de régulation.

Les régulateurs passent trop de temps à regarder les instruments utilisés dans un portefeuille d'une compagnie d'assurance plutôt que le portefeuille en lui même. Les règles, dans la plupart des états, pénalisent voire interdisent l'investissement dans les obligations de signature de qualité inférieure, et la plupart du temps en capital. Ils évaluent les crédits en fonction de leur notation S&P ou Moody's...

Seulement voilà: les compagnies d'assurance ont besoin du rendement des obligations les moins bien notées (ndT: Sans quoi, leurs fonds n'auraient pas de valeur ajoutée par rapport à l'achat de bons du trésor...). Les vendeurs de dérivés trouvent là une opportunité de bâtir des produits autour de ces réglementations. Ils packagent des fonds de placement qui dissimulent la volatilité des prix pour certains types de risques en théorie proscrits. Ainsi l'investisseur peut il être récompensée pour une prise de risque additionnelle, et le banquier est rémunéré pour son montage.

Un exemple simple en sont les CBO, "Obligations collatéralisées par des obligations" (ndt: !!!), crées en groupant des obligations de signature moyenne ou basse dans un "véhicule à usage spécial" (SPV), et faisant émettre par ce fonds au moins deux instruments de dette, l'un "senior" à remboursement prioritaire et taux plus faible, l'autre "junior" à taux élevé mais risque de défaillance plus élevé. La tranche "sénior" obtient une note élevée du fait de l'effet amortisseur de la tranche "junior". Le coupon "junior", par exemple, absorbe les premiers 10% de pertes de tout le portefeuille, les bons "séniors" ne sont impactés que lorsque les pertes excèdent ce montant. Les obligations "junior" sont communément appelées les "Tranches Z", obligations à haut risque, adaptées seulement aux spéculateurs... Ou à certains gestionnaire de fonds publics incompétents, comme dans certains comtés de Californie. 

Les CBO ne sont qu'un exemple parmi d'autres d'outils financiers bâtis autour de la réglementation de notation du crédit. La plupart d'entre eux parviennent au même résultat: ils réduisent la fréquence des pertes, mais a contrario, ils en augmentent la sévérité. Ils s'écroulent rarement, mais quand cela arrive, cela produit souvent un immense désordre !

(ndt: La crise actuelle vérifie plus que largement ce constat !)

Les instruments packagés autour des notations d'agence sont moins risqués que le pool d'actifs qu'ils représentent mais bien plus risqués et surtout plus illiquides que les investissements directs autorisés auxquels ils se substituent. Résultat, ils versent un rendement plus élevé à l'investisseur, malgré des commissions bancaires plus élevées. Le "premium" peut couvrir ou ne pas couvrir suffisamment le risque associé, mais l'important est que ces titres obtiennent la sacro-sainte note d'agence exigée par le législateur. Ils sont ainsi, parfois, le seul véhicule d'investissement possible pour des portefeuilles encadrés par des règles de rating mais qui recherchent malgré tout un peu de rendement.

Ces transactions enrichissent surtout les banquiers d'affaires, mais réduisent les rendements corrigés du risque versés aux investisseurs, lesquels subissent donc un coût des contraintes réglementaires plus élevés que ceux qui peuvent se permettre d'acheter directement des actifs ne recourant pas à ces techniques de titrisation, qui n'embarquent donc pas avec eux le coût du montage financier.

Note du traducteur: et voilà pourquoi dans cette crise, les Hedge Funds, peu réglementés, subissent des pertes moins élevées que les banques et les assurances sous la coupe de Bâle II et lois similaires...

Les règles qui se focalisent sur la transparence sont bien plus efficaces que celles celles qui tentent d'infléchir les choix des investisseurs, et imposent bien moins de charge bureaucratique sur les entités régulées. La SEC est très constructive de ce point de vue, les obligations de divulgation qu'elle impose aident efficacement les analystes privés (agences de notation ou autres) et permettent à de l'information utile de qualité d'être disponible pour le plus grand nombre.

La réponse aux crises n'est pas d'ajouter des listes plus ou moins vagues d'interdits, mais d'obliger à la plus grande transparence possible des livres de compte (Ndt: la complaisance vis à vis des engagements hors bilan, que les états ne sont pas les derniers à utiliser, doit évidemment cesser !) et laisser l'acheteur faire ses choix en conséquence. En paraphrasant Winston Churchill, "c'est le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres".

Avec les meilleures intentions du monde, des réglementations censées limiter les risques encourus par les établissements en charge de notre épargne ont en fait réduit la probabilité d'occurrence de pertes, mais en ont démultiplié les montants : ce n'est pas vraiment ce que l'on peut appeler une bonne façon de réduire les risques !

Au contraire, la liberté de composition des portefeuilles des investisseurs institutionnels aurait d'une part permis d'économiser les coûts d'intermédiation artificiellement imposés à leur fonds par la titrisation, et surtout, cette liberté aurait permis d'éliminer plus rapidement les mauvais investissements de leurs portefeuilles, car des "petites" crises affectant un nombre limité d'acteurs se seraient produites plus tôt, envoyant à temps un signal salutaire aux autres gestionnaires de fonds.

Réguler plus ? ou réguler mieux ?

Ce sont donc, une fois de plus, les réglementations qui ont conduit les agents économiques à mettre au point des outils mal maîtrisés qui ont transformé une crise sectorielle, la crise du crédit hypothécaire américain, en crise financière mondiale. On pourra toujours reprocher aux acteurs de la finance de n'avoir pas été clairvoyants dans l'évaluation des risques induits par leur créativité financière, et ce reproche est fondé: la contrainte étatique ne supprime pas l'obligation d'être compétent ! Mais dans l'ordre des responsabilités, ce sont bel et bien les états et leurs règles ultra-normatives qui arrivent nettement en première position.

Et quelle que soit la somme d'intelligence mise dans l'élaboration de nouvelles régulations législatives toujours plus restrictives, celles ci ne parviendront jamais à éviter ni les effets pervers ni les stratégies de contournement qui en découlent, amenant elles même leur lot d'effets pervers.

Ce n'est pas de  "plus de régulation" dont nous avons besoin, mais un retour à une régulation simple, fondée sur des principes connus de tous -- honnêteté, sincérité des contrats, responsabilité--, mettant l'accent sur la transparence et non sur l'interdit, exprimée en terme de résultat, laissant les questions normatives à des labels privés contractuels, obligeant les investisseurs à exercer leur jugement, et où l'intervention prioritaire de l'état serait celle du juge, chargé d'identifier les responsabilités quand un contrat est mal exécuté.
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