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Au nom de la loi (1) - Teresa

Publié le 15 octobre 2008 par Mtislav
    Ici ou là, l’esprit qui habite notre rédaction rebelle se trouve décrié. Oui, dès l’instant où votre combat se nomme justice, liberté et indépendance, n’en soyez pas étonné, vous serez traîné dans la boue. On voudrait faire de votre voix un organe, de vos cris le babillage d’enfants de toute petite taille. Or, sachez que la rédaction de ce blog, sereine et confiante, revendique ce statut de nain, terme idiot pour désigner un esprit plus proche de l’océan qu’un autre. Justement, franchissons ce bel océan pour lire ce texte doux et amer que nous envoie une véritable grande reportrice de notre temps. Le vocable s’impose à toute une profession alors même que les correcteurs d’orthographe sursautent et proposent retordeuse, rebouteuse ou même remonteuse

Teresa croyait en la force de l’écrit. A 25 ans, elle apprenait à lire. Elle n’en avait pas eu l’occasion jusque là. Son père, Fernando, possédait un bout de terre non loin de Juazeiro do Norte. Durant l’année 1952, la sécheresse s’installant, le père laissa femme et enfants au labeur quotidien et partit pour la ville. Il demanda à parler au juge D. car il se trouvait privé du peu d’eau dont il aurait pu disposer par son voisin, propriétaire particulièrement prospère puisqu’il possédait plus des trois-quarts des terres du município. On l’écouta avec une attention aiguë. Le juge garda en dépôt la grosse enveloppe de couleur jaune, plutôt défraîchie, dans laquelle Fernando gardait ses titres de propriétaire et les récépissés de l’administration fiscale. 
Une semaine plus tard, un peloton de gendarmerie se présentait à la ferme. La famille disposa de trois heures pour entasser quelques affaires dans le camion. L’expulsion immédiate ordonnée par le juge faisait valoir que Fernando occupait illégalement sa terre. Le voisin prospère avait rapidement produit un dossier inattaquable. Dactylographié, encre et tampons plus neufs et brillants qu’une larme sur le visage d’un aveugle. La vieille enveloppe jaune n’était plus qu’un souvenir.
La famille était partie pour le Sud. Un oncle les avait hébergé un moment dans sa petite maison sur le Morro de Santo Antônio. Les habitations avaient été rasées pour fournir le matériau nécessaire à la construction de l’Aterro do Flamengo, large espace gagné sur la baie, qui apparaîtrait quinze ans plus tard. Teresa avait quatorze ans lorsqu’elle commença son service dans la famille V. de P.. Elle savait tout faire et restait particulièrement timide. Elle n’aimait pas qu’on se moque de accent nordestin, de la maigreur qui l’accompagne. Elle ne sortait que pour le service dominical et le carnaval. Lorsqu’elle se retrouva enceinte, elle se promit de ne mettre au monde son enfant qu’après avoir appris à lire. Le géniteur avait disparu de la circulation aussi vite qu’il était apparu. Carioca de fraîche date, il était originaire du Nordeste. Lui n’avait pas appris à se souvenir.
Elle fut heureuse de savoir lire car ce fut une double naissance. Il fallut très vite inscrire un nom sur un petit bracelet. En hommage au savoir, elle chercha dans ses souvenirs de lecture encore très hésitants le nom d’un de ces détenteurs du savoir tant admiré. Le premier fut nommé Heitor Hugo et le second Alexandre Dimas. Teresa aurait voulu avoir davantage de temps à leur consacrer mais c’était des enfants de la famille V. de P. dont elle s’occupait à longueur d’année. Heitor Hugo et Alexandre Dimas ne jouirent de leurs prénoms que durant quelques jours. L’encre apposée par fonctionnaire de l’état-civil n’était pas sèche que tout le monde les appelait Dudu et Didi.
Dudu était vite devenu dodu et malin. Il adorait sa mère et avait le sens de la famille. A 14 ans, il disparut et personne n’entendit plus jamais parler de lui. Didi était maigre et travailleur. C’est lui qui s’occupa de Teresa au moment où les généraux quittaient le pouvoir et sa mère son enveloppe terrestre : elle avait été renversée à un arrêt de bus ainsi qu’une douzaine de supporters du Flamengo. Ses blessures étaient graves au point de nécessiter plusieurs opérations. Justement, son employeur venait de se préoccuper de mettre à jour son dossier de sécurité sociale. Elle aurait pu commencer à en bénéficier mais malgré ses efforts, Didi ne parvint pas à la faire admettre dans une clinique digne de ce nom. Il n’y eut pas d’enquête de police très approfondie, seul le Jornal do Estado relata l’affaire, suggérant que le chauffeur, supporter du Vasco de Gama, avait été irrité par la partie nulle arrachée la veille par le Flamengo. Le Maracanã tout entier il est vrai s’était soulevé devant l’insondable incompétence de l’arbitre. Teresa reposait paisiblement dans une concession du cimetière Jardim da Saudade qui proposait un service d’inhumation abordable à plus de trois heures de bus du centre ville.
    

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