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Bucarest je t’aime : où sont passés les fruits d’antan ?

Publié le 16 octobre 2008 par Memoiredeurope @echternach

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Même dans la chaleur accablante, à peine entrecoupée de pluies orageuses, même la plupart du temps à l’abri du soleil, j’ai vécu quinze jours, j’allais dire… de vacances à la maison.

Ces journées m’ont procuré le temps du recul politique. Je j’ai déjà évoqué. Mais elles m’ont aussi donné l’occasion de prendre un recul plus général dont je sais que l’application ne sera pas immédiate, mais qui va me servir pour la vie plus libre qui suivra la phase heurtée qui s’annonce dans l’immédiat : la préparation pendant un peu plus d’un mois d’une réunion d’évaluation pour de nombreux partenaires des itinéraires culturels.

J’ai pris le temps de réfléchir à l’évolution fulgurante d’un pays dont les relations avec le mien, je veux dire celui où je suis né - la France, sont longues et profondes. Ce qui pourrait sembler un slogan de bonne camaraderie à destination des politiques de coopération culturelle va bien au-delà : je parle de relations qui unissent les langues, les échanges intellectuels, les relations architecturales et bien d’autres faits d’évidence. Je ressens physiquement ce rapport comme une relation bipolaire, de deux univers qui se situent à deux extrêmes d’un Empire dont chacun ressent réellement l’unité impériale, tout en sachant parfaitement ce qui l’oppose en permanence à l’autre extrême. Et tout en ayant conscience que des liens qui se tissent depuis aussi longtemps ne peuvent se rompre du jour au lendemain, puisque la longue coupure entre l’Est et l’Ouest de l’Europe n’a pas réussi à les briser. 

Mais malheureusement, je ne peux être aveugle au point d’occulter que nous sommes arrivés au moment d’un véritable basculement. Il y a d’abord un basculement des économies. Lorsque j’ai fait mon premier voyage en Roumanie, il y a treize années, la ville de Bucarest révélait immédiatement un inconfort aussi matériel que psychologique. 

L’inconfort psychologique, je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises. Qui sortirait en effet indemne de la période de dictature ? quand les consciences s’ouvrent de nouveau, simultanément aux archives et que le soupçon généralisé requiert un long travail de mémoire, avant même un travail de pardon, s’il est possible. 

Reste l’effet économique qui lui, est perceptible même quand on ne fait que traverser une ville, avant même d’en connaître les habitants, si on est un visiteur pressé. En septembre 1995, la seule banderole qui traversait l’avenue prestigieuse, la Calea Victoriei, à son entrée, vantait les mérites de l’ouverture d’un Mac Donald. Celui-là, le premier sans doute, espéré comme une conquête politique, est aujourd’hui accompagné de beaucoup d’autres, dans la capitale, comme dans tout le pays et bien d’autres marques de « junk food » ont rempli à la fois un vide et une demande et continuent à rester des centres d’attractions. 

Mais les autres signes extérieurs de la normalité internationale et les autres outils de la consommation ordinaire sont arrivés dans la foulée. Après les « malls » urbains, ces marchés de marque installés dans des espaces intérieurs découpés en piazzas, pourvus de dédales, et entrecoupés de jets d’eau, qui restaient encore à taille humaine, sont apparus d’énormes centres commerciaux périphériques. La marque « Carrefour » et d’autres grands distributeurs, s’entourant d’un écrin de boutiques diverses où le luxe n’est pas absent, sont venus se poser, comme un couronnement. Ils ont contribué à satisfaire la demande de normalité et j’ai vécu leur arrivée en Roumanie, comme j’ai vécu leur arrivée dans la banlieue parisienne des années soixante dix, à la manière d’un lieu de convergence, d’un espace de socialisation, en un mot d’adhésion d’une nouvelle génération à la culture d’une consommation ludique. Il s’agit là de symboles de reconnaissance et de participation à une richesse mondiale qui a fait sortir la France, il y a trente ans, et la Roumanie dans les dernières années, d’un exotisme provincial où le lait venait encore des vaches et les fruits tombaient des arbres. 

Aujourd’hui le marketing des produits lactés est tellement subtil et diversifié, que l’on peine à croire que des prairies, des paysans et des bovidés y soient vraiment pour quelque chose. Quant aux pommes, on peut se rassurer, elles sont parfaitement bien enveloppées et leur origine est parfois très lointaine.

Qu’on me pardonne, je parle des grandes villes. La Roumanie est encore un pays rural où les cigognes ne sont pas apprivoisées pour le décors et où les carrioles sillonnent les routes. Mais justement, l’opposition entre les deux mondes ne demande plus que quelques années, en gros une génération, pour être en très grande partie résorbée. 

De l’autre côté du miroir, dans l’Occident où je vis, je n’entends que des slogans prônant le retour au biologique, au naturel, au territoire, au local. Les produits typiques, c’est à dire ceux que des anciens ou plus souvent encore les néo paysans se plaisent à proposer à nouveau dans leur contexte local, viennent se placer en opposition frontale aux exportations mondialisées. Elles utilisent toutefois des méthodes de marketing qui sont certainement loin de la vente directe et du marché de producteur, mais que l’alliance avec la culture pare de vertus qui, heureusement sont le plus souvent réelles et fondées sur une mémoire authentique.

Je vois bien que je me promène sur le fil du paradoxe, mais comment se fait-il que je puisse trouver maintenant de merveilleuses tomates « cœur de bœuf » au Luxembourg et du fromage de Salers à Metz, que je peux composer à peu près partout en Italie des plats qui respirent l’odeur de la forêt et la rusticité du paysage, alors qu’il faut vraiment que je fasse le trajet dans les villages roumains d’Olténie ou de Transylvanie, avec les amis qui savent y pénétrer où y possèdent de la famille ou des amis, pour redécouvrir la saveur des fruits et des légumes d’été ? 

J’exagère certainement parce que dans les villes roumaines, ceux qui aiment garder leurs racines, savent comment trouver les produits et retrouvent le tour de main de leur grand-mère. Mais enfin, combien de temps est-ce que cela va durer ? Et devant cette disparition qui gagne en vitesse celle, plus lente, que j’ai connue devant ma porte à mon adolescence, je regarde avec humour les couples qui viennent dans les arrières salles des restaurants ou dans les auberges de campagne à Paris, à Lyon, à Marseille, apprendre à cuire la viande correctement ou à choisir un vin dont la culture et la préparation suivent les préceptes biodynamiques.

La bascule est en marche, la croissance est passée à l’extrémité orientale de l’Empire ; et la décroissance fait de plus en plus d’adeptes en Occident, surtout lorsque les modèles de l’économie spéculative s’écroulent à la manière d’un château de cartes.

Mais n’aurons nous pas bientôt, de l’Est ou de l’Ouest, le besoin impérieux de retourner à nos jardins ?

Je ne sais pas toujours très bien pourquoi mais Bucarest, je t’aime pour m’avoir donné cette occasion unique de regarder des deux côtés du miroir. 


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