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Saké et cohésion sociale au Japon

Publié le 17 octobre 2008 par Anonymeses

Jane Cobbi, « Goût du saké, coût de la cohésion sociale », in La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges. Actes du colloque de Rouen, publications de l'université de Rouen n °178, 1992

La société japonaise, si elle présente la caractéristique d'être complètement exotique pour nous, est aussi pour cela un formidable terrain d'observation ethnologique. Au Japon la sociabilité se trouve liée, à des degrés divers, aux pratiques alimentaires dans principalement trois domaines : les repas, les dons en nourriture, la consommation de saké. Les pratiques de consommation qui reposent sur le saké sont chargées d'assurer la ,cohésion sociale. Fait de riz fermenté, le saké ne se consomme pas avec le riz, et à ce titre il ne fait pas partie intégrante du repas. Le riz n'est en principe associé à aucune boisson alcoolisée, et s'il arrive que vin, bière, ou saké soient servis dans le cadre d'un repas, en ce cas la boisson alcoolisée se prend au tout début, et le riz tout à la fin du repas. Riz et saké ne font donc pas l'objet d'une consommation simultanée, mais d'une consommation en séquences distinctes, successives (à une même table) ou indépendantes (en des lieux séparés).

Le saké a aussi un statut bien distinct de l'autre boisson traditionnelle qu'est le thé. Pour accompagner le riz ou terminer un repas, on boit du thé vert; le thé est la boisson la plus courante, consommée quotidiennement et à toute heure. Servi en signe de bienvenue, à tout visiteur, dans les bureaux et les lieux publics, le thé est aussi un facteur de repos, et à ce titre généralement associé aux pauses dans le travail. Le thé est en outre associé aux rites funéraires et aux cultes bouddhiques en général; chargé de ce sens symbolique, il se trouve exclu par exemple des entrevues de mariage. La boisson gaie, festive par excellence, est le saké, qui accompagne toute célébration joyeuse.

Les activités productives sont traditionnellement suivies de libations, en milieu rural comme en milieu urbain. Si, après chaque étape des travaux agricoles, un repas est prévu pour remercier tous les participants de leur contribution, il faut attendre la phase terminale, fin du repiquage du riz, ou rangement après la moisson, pour que du saké soit servi. Le saké est très présent dans les rites funéraires et les mariages. Mais aussi plus quotidiennement, un accroc entre collègues, ou une tension apparue au cours d'une réunion, se règlent aussi avec du saké. On va, le soir même "prendre un pot" (en fait plusieurs), alcoolisé, autour d'une même table, à l'initiative d'un aîné voire du chef de bureau lui-même, pour reprendre dans une ambiance plus favorable les discussions évitées sur le lieu de travail. De ces face-à-face soutenus dans une euphorie naissante, de ces libres échanges de points de vue, émergent une relative compréhension mutuelle, et surtout un sentiment renouvelé d'appartenance à une même raison sociale.

Que les Japonais apprécient les boissons alcoolisées est un fait incontestable d'autant plus compréhensible que celles-ci offrent des opportunités d'échanges verbaux et affectifs ; ces lieux de communication que sont les libations ont une fonction sociale importante, dans la mesure où parler de soi, exprimer une opinion personnelle ne sont pas recommandés dans le cadre formel d'une relation sociale ou de l'activité professionnelle: elles ont donc l'avantage de permettre un contact direct, et des échanges de points de vue aussi bien, entre égaux qu'entre supérieurs et inférieurs hiérarchiques. On voit ainsi pourquoi boire est au Japon un véritable fait de société, considéré à la fois comme inhérent à la vie de chacun, et nécessaire au fonctionnement de l'économie nationale, et de la société globale. La consommation du saké semble avant tout basée sur la notion de partage et de participation. Ceci est tellement vrai qu'une des règles de l'étiquette relative au saké interdit de remplir soi-même sa coupe (ou son verre), ou tout au moins la première coupe de la soirée, sous peine de perdre les bons auspices. Le saké a donc bien un rôle social particulier; son impact dans le domaine de la communication est considérable.

Par Frédérique


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